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La médiation dispose, au stade du pourvoi en cassation, d’un formidable potentiel. Possible en l’état actuel des dispositions législatives et réglementaires, ses modalités de mise en œuvre requièrent néanmoins d’être adaptées aux spécificités de la procédure érigée devant la Haute juridiction.
Peu à peu, par la loi Justice du 21e siècle du 18 novembre 2016, la loi de programmation pour la réforme de la Justice du 23 mars 2019, et tout récemment le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire1, le législateur installe profondément et durablement les modes amiables de règlements des différends dans le paysage juridique et judiciaire français.
À l’automne dernier, le groupe de travail « médiation devant la Cour de cassation », composé de magistrats du siège, de magistrats du parquet général, de la directrice de greffe de la Cour de cassation ainsi que de l’Ordre des avocats aux Conseils, était installé afin de réfléchir à l’opportunité et à la faisabilité de développer la médiation devant la Cour de cassation. Cette question n’est en effet dépourvue d’intérêt ni pratique ni théorique.
La médiation, qui se développe désormais depuis une quinzaine d’années aux côtés d’autres modes de règlements amiables des litiges, est un outil permettant au juge d’assurer sa mission de conciliation des parties, dans un contexte de judiciarisation croissante de la société.
L’intérêt de mettre en place une mesure de médiation au stade de la cassation est évident dans la mesure où un pourvoi en cassation s’inscrit dans un temps judiciaire long qui peut conduire à une forme de lassitude des parties, à plus forte raison dans la perspective d’une éventuelle cassation avec renvoi de l’affaire devant le juge du fond. En outre, les contradictions possibles entre les motifs du jugement et ceux de l’arrêt d’appel peuvent être source de confusion dans l’esprit du justiciable, qui pourra souhaiter se tourner vers une autre voie de règlement de son litige.
Le groupe de travail, prenant ainsi la mesure de la pertinence de la mise en œuvre de la médiation devant la Cour de cassation, a cherché à répondre à plusieurs questions pratiques pour en faire une mesure applicable, efficace et attractive.
Il est ainsi apparu, assez naturellement, qu’à droit constant, la médiation pouvait être mise en œuvre au stade de la cassation. Néanmoins, les réflexions menées ont conduit à considérer, que sur certains points, des réformes de nature réglementaire étaient souhaitables, voire nécessaires afin de rendre la médiation devant la Cour de cassation efficace et pérenne.
La possibilité de recourir à la médiation au stade du pourvoi en cassation
De prime abord, il peut sembler que la Cour de cassation n’est pas la juridiction au sein de laquelle il est possible de proposer la médiation. La Cour de cassation juge en effet en droit et veille à l’harmonisation de la jurisprudence sur l’ensemble du territoire afin d’assurer une égale application de la loi. Le magistrat a certes pour rôle premier de trancher un litige mais aussi d’apaiser les relations sociales et de contribuer ainsi au vivre-ensemble. Or, parfois, trancher un litige n’est pas vecteur de paix sociale, quand la médiation entre les parties permet de rétablir un dialogue jusqu’alors rompu.
Aucune définition de la médiation n’est donnée par la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, qui a consacré la médiation. L’article 22 de ladite loi, concernant l’ensemble des juridictions, dispose que « le juge peut désigner un médiateur judiciaire pour procéder à une médiation en tout état de la procédure, y compris en référé ». La jurisprudence, quant à elle, a présenté la médiation comme « une modalité d’application de l’article 21 du nouveau code de procédure civile tendant au règlement amiable des litiges »2. Or, cet article 21, selon lequel « il entre dans la mission du juge de concilier les parties », figure parmi le Livre Ier du code de procédure civile, relatif aux dispositions communes à toutes les juridictions, de sorte que cet article est applicable à la Cour de cassation.
Selon Madame Natalie Fricero, professeure de droit privé et sciences criminelles à l’université de Nice-Côte d’Azur, entendue par le groupe de travail, la désignation d’un médiateur suppose d’apprécier l’opportunité d’une situation et, par conséquent, de procéder à un examen factuel. Or, l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire dispose que la Cour de cassation peut « statuer au fond lorsque l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie ». Ainsi, la nécessité de procéder à un examen factuel pour apprécier l’opportunité de recourir à la médiation ne constitue pas un obstacle.
Aucune disposition ne restreint le recours à la médiation à la première instance, de sorte que le développement de la médiation au stade de la cassation semble envisageable à droit constant. Toutefois, l’ensemble des membres du groupe de travail ont estimé opportun d’affirmer dans les textes la possibilité de recourir à la médiation à ce stade afin de normaliser et pérenniser le recours à ce mode de règlement amiable devant la Cour de cassation.
Si le recours à la médiation est possible devant la Cour de cassation, les spécificités de la procédure devant la Haute juridiction supposent d’examiner les modalités de mise en œuvre d’un tel mode de règlement des différends à ce stade.
La médiation devant la Cour de cassation : comment ?
Le développement de la médiation au stade du pourvoi en cassation suppose de prendre en considération les spécificités de la procédure devant la Haute juridiction. La Cour de cassation se distingue en de nombreux points des juridictions du fond, d’abord parce que le juge de cassation statue en droit, mais également parce que les avocats qui plaident devant elle sont les avocats aux Conseil d’État et à la Cour de cassation, regroupés au sein d’un ordre spécifique, et disposant de la qualité d’officier ministériel. Ces spécificités inhérentes à la Cour de cassation invitent à penser les modalités propres à la mise en œuvre de la médiation devant la Cour de cassation. Ce sont ainsi les questions relatives aux litiges susceptibles de faire l’objet d’une médiation, aux acteurs de la médiation, mais encore aux délais de la médiation proposée au stade de la cassation qui ont été abordées par le groupe de réflexion.
Quels litiges ?
Il est évident que tous les litiges ne peuvent faire l’objet d’une médiation et ce plus encore que la Cour de cassation dispose, en statuant, d’un véritable pouvoir créateur. Ainsi, il est certain que la médiation ne peut être mise en place que dans un litige au sein duquel elle a une chance d’aboutir, sans priver la Cour de l’opportunité de se prononcer sur une question de droit présentant un caractère nouveau ou sérieux, pour laquelle la décision à intervenir est susceptible de revêtir une véritable portée normative. Trois méthodes d’identification des litiges ont été présentées par le groupe de travail : l’identification des litiges par matière – certaines matières étant propices à la médiation, telles que le droit social, le droit commercial ou encore le droit des contrats, quand d’autres en sont exclues, notamment celles relevant de l’ordre public, comme le droit pénal et certains pans du droit de la famille –, par critères (ex : risque élevé de cassation) ou encore selon le circuit procédural emprunté (circuit court ou intermédiaire)3. Quelque soit le critère choisi, le groupe du travail a souligné tout l’intérêt de préserver la souplesse dans le processus de médiation, condition indispensable de son succès.
Cette identification de l’affaire propice à la médiation peut être effectuée par une diversité d’acteurs, qui, en raison de la connaissance qu’ils ont des dossiers, sont particulièrement qualifiés pour repérer les affaires susceptibles d’être soumises à une médiation. Ainsi, les conseillers pré-orientateurs4, les conseillers rapporteurs, le parquet général ainsi que les avocats aux Conseils peuvent proposer cette mesure.
Le groupe de travail a également abordé la question de la désignation du médiateur.
En ce sens, la décision ordonnant ou renouvelant la médiation étant une mesure d’administration judiciaire, le rapport propose que le président de la formation à laquelle l’affaire est distribuée soit compétent pour ordonner la médiation.
Quel médiateur ?
Un soin tout particulier devra bien sûr être apporté dans le choix du médiateur. À ce titre, les avocats aux Conseils apparaissent tels des candidats privilégiés à la fonction de médiateur. Par le regard neuf qu’ils portent sur l’affaire, ils disposent du recul suffisant pour accompagner les parties dans le cadre d’une médiation. En outre, ils sont à la fois avocats et officiers ministériels, de sorte qu’ils présentent l’avantage de fournir des garanties fortes en matière de déontologie.
Le choix des médiateurs ne peut être le fruit du hasard, aussi le rapport a-t-il proposé de suivre le modèle qui a été celui des cours d’appel, formulant ainsi une proposition de décret relatif à la liste des médiateurs devant la Cour de cassation. En tout état de cause, le rapport retient une condition qui devrait être satisfaite par les médiateurs devant la Cour de cassation, celle de la nécessité de justifier d’une inscription sur une liste dressée par une cour d’appel depuis au moins trois ans. Cette proposition permettrait de favoriser la constitution d’une liste comprenant des médiateurs locaux sur l’ensemble du territoire, géographiquement proches des parties.
La question des délais a également été source de riches débats. Alors que certaines procédures peuvent s’étendre sur dix ans, il ne s’agissait évidemment pas d’augmenter le temps judiciaire. Une attention singulière a dès lors été portée sur la détermination du moment idoine pour proposer la médiation mise en œuvre au stade du pourvoi en cassation. À ce titre, le dépôt des mémoires, ampliatif et en défense est considéré comme éminemment opportun. Ce n’est en effet qu’après avoir déposé les mémoires que les avocats aux Conseils sont à même à prendre position sur le risque de cassation et partant sur l’opportunité de recourir à une médiation. C’est ainsi parfaitement éclairées et conseillées que les parties accepteront de soumettre l’affaire à la médiation.
Le délai s’écoulant entre le dépôt des mémoires et l’audience se révèle de plus suffisamment long pour mettre en œuvre une médiation – d’une durée moyenne de 6,9 mois5 – sans entrainer de retard dans le traitement de l’affaire ni empêcher le pourvoi de poursuivre le circuit de procédure classique. La mesure ne présente ainsi pas l’inconvénient de rallonger la procédure, et permet au justiciable d’envisager sereinement d’y recourir. En outre, il demeurera toujours possible de recourir à la médiation en cas de cassation avec renvoi devant une juridiction du fond, laquelle est invitée à rappeler aux parties la possibilité de régler amiablement le différend qui les oppose, lorsque les circonstances s’y prêtent.
Enfin, la réflexion menée sur la mise en œuvre de la « médiation à la Cour de cassation » a été l’opportunité de proposer à la chancellerie de compléter les dispositions réglementaires relatives à la médiation. Aussi, il apparait nécessaire de clarifier le régime applicable à la médiation. En ce sens, une proposition est émise, visant à préciser que la consignation de la provision – inhérente à la médiation – s’effectue entre les mains du médiateur ou au greffe de la régie. Semblablement, il est proposé de spécifier le point de départ de la durée de la mission de médiation, à savoir de le fixer au jour où le médiateur est informé par le greffe de la consignation ou au jour où la provision est consignée entre ses mains, selon les circonstances de dépôt de ladite consignation. Encore, il est judicieux, dans un même objectif de clarification, de réaffirmer la possibilité qu’ont les parties, quel que soit le stade de la procédure auquel il est fait recours à la médiation, de se faire assister par un avocat ou toute personne habilitée à les représenter devant la juridiction ayant désigné un médiateur. Une dernière proposition est exposée, relative à l’homologation par le juge de l’accord intervenu entre les parties. Si cette homologation a expressément vocation à rendre exécutoire l’accord conclu au terme de la médiation, elle constitue également, de fait, un instrument de contrôle de non-contrariété à l’ordre public d’un tel accord. C’est ce rôle que le groupe de travail propose de clarifier et d’inscrire dans le marbre de la loi.
La volonté du groupe de travail « médiation devant la Cour de cassation » aura été d’inscrire la Cour de cassation dans la dynamique de promotion de la médiation que connaissent déjà les juridictions du fond, en en structurant le procédure, sans la rigidifier, au risque de s’éloigner de ce qui la caractérise en premier lieu : la souplesse. Formons le vœu que les propositions pratiques et concrètes formulées par le groupe de travail assurent un développement pérenne de la médiation au niveau de la cassation et participe ainsi à la promotion des modes amiables de règlement des différends.
1. Le projet de loi prévoit la mise en place d’un Conseil national de la médiation, chargé notamment de rendre des avis dans le domaine de la médiation et de proposer aux pouvoirs publics toutes mesures propres à l’améliorer.
2. Civ. 2e, 16 juin 1993, n° 91-15.332.
3. L. Garnerie, Pourvois : la Cour de cassation se dote de trois circuits de traitement, Gaz. Pal. 21 juill. 2021, n° 383g3, p. 7
4. Les conseillers pré-orientateurs ont pour mission, au sein de chaque chambre, d’orienter les dossiers vers l’un des trois circuits (court, intermédiaire ou approfondi), avant leur distribution au conseiller rapporteur.
5. A. Bascoulergue et P. Charrier, « Étudier la prescription de la médiation judiciaire », La médiation – expériences, évaluations et perspectives, Actes du colloque organisé par la Mission de recherche Droit et Justice, 5 juill. 2018, p. 22.
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