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Mediator : possibilité d’agir contre le producteur sur le fondement de la responsabilité du fait personnel

La victime d’un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité contre le producteur sur le fondement de l’article 1240 du code civil si elle établit que son dommage résulte d’une faute commise par le producteur, telle que le maintien en circulation du produit dont il connaît le défaut ou un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit. 

Un régime spécial de responsabilité des producteurs du fait des produits défectueux – applicable que les victimes leur soient ou non contractuellement liées – a été imposé aux États membres par la directive européenne n° 85/374/CEE du 25 juillet 1985. Alors que la date maximale pour sa transposition avait été fixée au 30 juillet 1988, la France ne l’a réalisée qu’en 1998 (Loi du 30 juill. 1998, intégrée dans le code civil). Cette réticence – pour ne pas dire cette hostilité – française s’explique en grande partie par le fait que les conditions posées par la directive sont moins protectrices des victimes que le droit français antérieurement applicable (notamment concernant l’exonération pour risque de développement). La directive enferme l’action contre les producteurs dans des délais particulièrement contraignants. D’une part, un délai de prescription de trois ans est prévu « à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l’identité du producteur » (C. civ., art. 1245-16). D’autre part, un délai de forclusion s’applique, la responsabilité du producteur étant « éteinte » dix ans après la mise en circulation du produit, « sauf faute du producteur » (C. civ., art. 1245-15). Au contraire, en droit commun de la responsabilité, le délai pour agir contre le responsable est de dix ans après la date de consolidation des dommages corporels (C. civ., art. 2226). Par faveur pour les victimes, la Cour de cassation interprète souplement les règles prévues par la directive de 1985 en matière de délais.

Quatre arrêts rendus le 5 juillet 2023 par la première chambre civile (nos 22-21.174, 22-21.178, 22-21.179 et 22-21.180) témoignent une nouvelle fois de cette volonté.

Quatre affaires similaires

Dans les quatre affaires, le patient a présenté des lésions cardiaques après que le Mediator lui ait été prescrit pendant plusieurs années. À chaque fois, le collège d’experts de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), saisi par la victime, a rendu un avis retenant que le dommage était imputable à ce médicament. Le producteur a adressé une offre d’indemnisation à chacune des victimes, qui l’ont toutes refusée. Une action en justice a été intentée par chaque victime sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux. Le producteur a opposé la prescription de l’action, et les victimes ont alors fondé leurs actions sur la responsabilité du fait personnel prévue à l’article 1240 du code civil.

La Cour d’appel de Versailles a débouté toutes les victimes de leurs demandes, considérant leurs actions irrecevables comme prescrites aux motifs, d’une part, que l’assignation avait été délivrée plus de trois ans « après la connaissance du dommage acquise à la date de l’avis de l’ONIAM » et, d’autre part, « que la faute reprochée au laboratoire, prise d’un manquement au devoir de vigilance et de surveillance du fait de la commercialisation d’un produit dont il connaissait les risques ou de l’absence de retrait du produit du marché français contrairement à d’autres pays européens, n’est pas distincte du défaut de sécurité du produit, de sorte que la responsabilité délictuelle pour faute ne saurait se substituer au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux ».

Dans leurs pourvois en cassation, les victimes ont toutes invoqué une violation des articles 1245-17 et 1240 du code civil. Elles soutiennent que le régime de responsabilité du fait des produits défectueux n’exclut pas l’application d’autres régimes de responsabilité, dès lors que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d’un défaut de sécurité du produit litigieux, tels la garantie des vices cachés ou la faute. Or, selon elles, le producteur, bien que connaissant la dangerosité du Médiator, s’était volontairement abstenu de toute mesure pour en suspendre la commercialisation et l’avait délibérément maintenu en circulation, commettant ainsi une « faute distincte du simple défaut de sécurité du produit ».

Suivant leur raisonnement, la première chambre civile casse les décisions rendues par la Cour d’appel de Versailles. Elle commence par rappeler que, aux termes de l’article...

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