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Mésentente entre associés d’une SCI : désignation d’un mandataire ad hoc

Par cet arrêt, la troisième chambre civile fait œuvre de rupture en approuvant une cour d’appel justifiant la désignation d’un administrateur provisoire par une simple mésentente entre associés.

par Ariane Gailliardle 10 juillet 2018

L’associé avait d’abord assigné la société civile immobilière (SCI) en retrait de l’autre associé gérant, avant de renoncer en cours d’instance à ses demandes initiales pour solliciter la désignation d’un mandataire. La cour d’appel a fait droit à ses demandes en s’appuyant sur les règles relatives au droit d’information des associés des sociétés civiles (C. civ., art. 1855 et 1856). Demanderesse au pourvoi, la SCI reprochait à la cour d’appel d’avoir simplement constaté une mésentente entre associés pour justifier cette désignation. Elle soutenait que seule la preuve de circonstances exceptionnelles rendant impossible le fonctionnement normal de la société et la menaçant d’un péril imminent pouvait justifier la désignation d’un administrateur provisoire.

Dès lors, la question posée à la troisième chambre civile portait sur les conditions de désignation judiciaire d’un administrateur provisoire en matière de SCI. Par un arrêt du 21 juin 2018, et à l’appui du rejet du pourvoi, celle-ci considère que la cour d’appel avait relevé par « motifs propres et adaptés qu’il existait une mésentente entre les associées », reposant sur le fait que la demanderesse s’était heurtée au refus de l’associé gérant de réunir une assemblée générale et de communiquer les comptes sociaux.

L’arrêt vient ainsi préciser qu’en cas de litige entre associés et pour désigner judiciairement un mandataire ad hoc, il n’est pas nécessaire pour les juges du fond de rapporter la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société ou la menaçant d’un péril imminent. En cela, l’arrêt vient marquer la différence avec une solution rendue par la chambre commerciale en matière de sociétés par actions, qui a considéré l’exact inverse : « la désignation judiciaire d’un administrateur provisoire est une mesure exceptionnelle qui suppose rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d’un péril imminent » (Com. 6 févr. 2007, n° 05-19.008, D. 2007. 587, et les obs. ; ibid. 2008. 379, obs. J.-C. Hallouin et E. Lamazerolles ; RTD com. 2007. 373, obs. C. Champaud et D. Danet ). La demanderesse au pourvoi avait assurément cette solution en tête, dont les bases ont été posées en 1965 par l’arrêt Fruehauf. Les règles de désignation d’un mandataire ad hoc sont donc désormais plus souples concernant la SCI. Il en résulte une harmonisation avec les règles relatives au retrait : la simple dégradation de relations entre associés peut justifier le retrait d’une SCI (Civ. 3e, 23 mars 2017, n° 16-13.649, AJDI 2017. 375 ; Rev. sociétés 2018. 39, note B. Saintourens ). En revanche, les juges du fond auront un rôle plus actif, puisqu’il leur appartiendra de caractériser eux-mêmes la mésentente. En outre, la solution n’est peut-être pas des plus heureuses si l’on estime les graves conséquences que la désignation d’un mandataire ad hoc peut avoir. Cet interventionnisme judiciaire représente une immixtion dans la vie de la société (v. sur ce point J.-C. Hallouin et E. Lamazerolles, note sous Com. 6 févr. 2007, n° 05-19.008, préc.), qui est ici justifiée par l’intérêt social. Reste désormais à savoir si la chambre commerciale s’alignera sur cette solution ou si elle maintiendra sa position.