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Les mesures d’instruction préventives et la condition d’absence de procès

Il résulte de l’article 145 du code de procédure civile qu’une mesure in futurum ne peut pas être ordonnée lorsqu’une instance est ouverte au fond sur le même litige et que celle-ci a été introduite avant le dépôt de la requête. Le juge est tenu d’examiner l’existence de ces conditions au jour du dépôt de la requête.

L’existence d’une demande reconventionnelle formée dans l’instance au fond ne constitue pas un obstacle à la mesure d’instruction in futurum, dès lors qu’elle est formée après le dépôt de la requête.

L’article 145 du code de procédure civile n’exige pas pour que l’instance au fond ouverte à la date de la requête soit considérée comme le même litige que les parties aux deux procès soient identiques. Il suffit que l’intéressé, qui sollicite une mesure d’instruction in futurum, soit partie à l’instance au fond.

Par honnêteté intellectuelle, l’auteur du présent commentaire tient à souligner qu’il a délivré une consultation concernant une problématique en partie similaire à celle soulevée dans la présente affaire.

 

Chacun sait que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ». L’application de ce texte, dont le contenu n’a pourtant pas été modifié depuis l’entrée en vigueur du décret n° 75-1123 du 5 décembre 1975 instituant un nouveau code de procédure civile, continue de soulever des difficultés. Tel est le cas de la condition d’absence de procès au fond. L’arrêt rendu le 26 octobre 2023 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation précise notamment comment doit être appréciée cette absence de procès, qui constitue la condition de recevabilité de la demande fondée sur l’article 145 du code de procédure civile.

Les faits étaient assez classiques. Invoquant des actes de concurrence déloyale, une société a été autorisée, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, à pratiquer une mesure d’instruction dans les locaux d’une société concurrente. Cette dernière a répliqué en sollicitant la rétractation de l’ordonnance conformément aux dispositions de l’article 496 du code de procédure civile. La demande aux fins de rétractation de l’ordonnance a été rejetée par le président du tribunal judiciaire et la cour d’appel a confirmé la décision ainsi rendue. Il ne restait plus à la société qu’à former un pourvoi en cassation.

Dans le cadre de son pourvoi, elle prétendit, d’une part, que la cour d’appel ne pouvait retenir qu’il existait des circonstances justifiant de déroger au principe du contradictoire sans répondre préalablement au moyen qu’elle avait soulevé soulignant qu’il n’existait aucun risque de disparition de certaines pièces dont elle devait assurer, en application de la loi, la conservation. D’autre part, elle fît valoir que la mesure d’instruction n’avait pas été ordonnée avant tout procès car elle permettait d’éclairer les mérites d’une demande reconventionnelle formée par la société requérante à l’encontre de certains de ses anciens salariés dans le cadre d’un contentieux prud’homal parallèle.

La Cour de cassation, en se fondant sur les motifs reproduits plus haut, a estimé qu’aucun des moyens n’était fondé et a rejeté le pourvoi.

Il est permis de tirer plusieurs enseignements de cet arrêt.

La caractérisation des circonstances justifiant de déroger au principe du contradictoire

Nul n’ignore, désormais, que celui qui agit sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ne dispose pas du droit de choisir d’emprunter la procédure de requête plutôt que celle de référé : ce n’est en effet que s’il existe des raisons de déroger au principe du contradictoire que s’ouvre la voie de la procédure sur requête (Civ. 2e, 8 sept. 2011, n° 10-25.403 P, Dalloz actualité, 29 janv. 2011, obs. C. Fleuriot ; D. 2012. 244, obs. N. Fricero ; 30 janv. 2003, n° 01-01.128 P, D. 2003. 604 ; 23 nov. 1994, n° 92-17.774 P ; 5 juin 1985, n° 83-14.268 P). Il faut, en conséquence, que l’ordonnance soit motivée sur ce point : l’arrêt fournit quelques enseignements sur la forme que peut revêtir cette motivation et son contenu.

a) L’arrêt, même si cela reste implicite, indique dans quelle mesure les motifs de l’ordonnance rendue par le président de la juridiction peuvent être puisés dans la requête qui l’a saisi.

Il est, en effet, de coutume d’enseigner que l’ordonnance rendue par le président de la juridiction fait corps avec la requête qui l’a saisi. Dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation avait d’ailleurs invité le juge, lorsqu’il est saisi d’une demande de rétractation, à s’assurer que l’ordonnance ou la requête mentionne bien l’existence de circonstances justifiant de déroger au principe du contradictoire (Civ. 2e, 29 sept. 2022, n° 21-14.552, inédit, Rev. prat. rec. 2022. 5, chron. O. Cousin et O. Salati ; 3 mars 2022, n° 20-22.349 P, Dalloz actualité, 24 mars 2022, obs. N. Hoffschir ; AJ fam. 2022. 176, obs. D. D’Ambra ; Rev. prat. rec. 2022. 8, chron. E. Jullien et R. Laher ; RTD civ. 2022. 970, obs. N. Cayrol ; 11 mars 2010, n° 09-66.338 P, Dalloz actualité, 31 mars 2010, obs. S. Lavric ; D. 2011. 265, obs. N. Fricero ) ; leur lecture pouvait même parfois laisser penser que ce lien s’établissait presque de manière automatique dès lors, naturellement, que le juge faisait droit à la requête.

C’était oublier que si le juge peut adopter les motifs figurant dans la requête, rien ne l’y oblige ! À l’aune des explications que le requérant a pu lui présenter, parfois même oralement dans son cabinet, il peut préférer écarter certains motifs pour en conserver d’autres. Le lien entre la requête et l’ordonnance ne peut par conséquent résulter que d’une manifestation de volonté du juge. C’est ce que rappelle implicitement l’arrêt commenté lorsqu’il y est souligné que les juges du fond avaient constaté que l’ordonnance renvoyait bien à la requête : sans ce renvoi, le contenu de la requête n’aurait pu être pris en considération. Ce renvoi n’a pas à revêtir une forme particulière, mais il doit au moins exister !

Il appartient ainsi au requérant qui, comme le veut l’usage, rédige un projet d’ordonnance, de ne pas omettre ce renvoi.

b) Le second enseignement de l’arrêt concerne le contenu de la motivation de l’ordonnance et de la requête.

Il est désormais acquis que l’ordonnance, ou la requête à laquelle elle renvoie, ne peut être fondée sur des affirmations de principe : elle doit s’appuyer sur une motivation circonstanciée (Civ. 2e, 19 nov. 2020, n° 19-12.086, inédit ; 19 mars 2015, n° 14-14.389 P ; 26 juin 2014, n° 13-18.895 P, Dalloz actualité, 8 juill. 2014, obs. F. Mélin ; D. 2014. 1456 ) et « être motivée de façon précise » (Civ. 2e, 29 sept. 2022, n° 21-14.552, inédit, Rev. prat. rec. 2022. 5, chron. O. Cousin et O. Salati ). Le plus souvent, lorsqu’est ordonnée une mesure d’instruction préventive, c’est la nécessité d’un «...

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