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Mineur isolé étranger considéré comme majeur : absence de traitement inhumain

Le traitement d’un mineur isolé étranger, à partir du moment où il a été considéré comme majeur par les autorités, n’a pas été contraire à la Convention, même s’il est resté quarante nuits sans solution d’hébergement, dans la mesure où le requérant n’établit pas ne pas avoir été en mesure de faire face à ses besoins élémentaires. 

par Sébastien Fucinile 25 octobre 2019

La Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée sur la conformité à l’article 3 de la Convention du traitement d’un mineur isolé étranger demandeur d’asile qui avait été considéré à tort comme majeur sur la base d’un examen osseux. Elle a considéré qu’il n’y avait pas eu violation de la Convention, et en particulier de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants malgré la difficulté de sa situation entre le moment où il a été considéré comme majeur et le moment où sa minorité a été établie. Elle relève pour ce faire que même s’il est resté quarante nuits sans solution d’hébergement, il n’établit pas n’avoir pas été en mesure de faire face à ses besoins élémentaires. Elle ajoute que les autorités françaises ne sont pas restées indifférentes à sa situation. Cet arrêt, qui s’inscrit dans une jurisprudence nourrie concernant le traitement des mineurs isolés étrangers, appelle quelques observations.

Tout d’abord, la Cour ne s’est pas beaucoup attardée sur la manière dont les autorités françaises ont considéré le requérant comme majeur. Lorsque le requérant est arrivé en France, se présentant comme mineur à la plateforme d’accueil des demandeurs d’asile, des tests osseux ont été pratiqués, lesquels ont conclu que l’intéressé avait dix-neuf ans. Il a cependant saisi le juge des tutelles afin de bénéficier d’une protection en sa qualité de mineur isolé. Si cette demande a été admise en première instance, elle a par la suite été rejetée en appel, en ce que sa minorité n’était pas établie. Sur la base de ce même test osseux, il a été considéré comme majeur par le préfet qui a délivré un ordre de quitter le territoire français. La cour administrative d’appel a alors infirmé le jugement en retenant que le requérant était mineur, sa minorité ayant été établie par le passeport qu’il s’est fait délivrer par les autorités guinéennes. 

Dans la présente affaire, le requérant avait ainsi été considéré comme majeur sur la seule base des tests osseux, ce qui l’a privé de la protection dont il bénéficiait, notamment en matière d’hébergement, en sa qualité de mineur isolé. La Cour de Strasbourg a simplement considéré que les autorités nationales sont mieux placées pour déterminer les modes de preuve de la minorité d’un étranger se présentant comme mineur et a ajouté qu’il n’y avait aucune raison de remettre en cause l’appréciation faite par les juges de l’élément de preuve que constituaient les tests osseux. Il est à noter que le Conseil constitutionnel a considéré pour sa part l’article 388 du code civil, permettant le recours aux tests osseux, conforme à la Constitution, dès lors que son recours est autorisé par l’autorité judiciaire et que d’autres éléments sont pris en compte pour la détermination de l’âge de l’intéressé (Cons. const. 21 mars 2019, n° 2018-768 QPC, AJDA 2019. 662 ; ibid. 1448 , note T. Escach-Dubourg ; D. 2019. 742, et les obs. , note P. Parinet ; ibid. 709, point de vue H. Fulchiron ; ibid. 1732, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2019. 222, obs. A. Bouix ; RDSS 2019. 453, note A.-B. Caire ; Constitutions 2019. 152, Décision ).

La Cour a alors analysé la situation du requérant durant trois périodes différentes : celle où il était considéré comme mineur, c’est-à-dire avant l’arrêt d’appel qui a infirmé l’ordonnance du juge des tutelles, celle où il était considéré comme majeur et enfin celle entre le moment où il a été à nouveau considéré comme mineur et sa majorité. Si la première et la troisième période n’appellent pas d’observations dans la mesure où le requérant a fait l’objet d’une prise en charge complète, les difficultés portent sur la deuxième période. La Cour rappelle fréquemment la situation d’extrême vulnérabilité dans laquelle se trouvent les mineurs isolés étrangers (CEDH 24 mai 2018, n° 68882/13, NTP et autres c/ France, § 44 ; 28 févr. 2019, n° 12267/16, Khan c/ France, § 73, AJDA 2019. 489 ; D. 2019. 1092, et les obs. , note A.-B. Caire ; ibid. 1096, entretien K. Parrot ; ibid. 1732, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2019. 111 et les obs. ; AJCT 2019. 292, obs. E. Aubin ).

Cette extrême vulnérabilité justifie une prise en charge particulière (CEDH 5 avr. 2011, n° 8687/08, Rahimi c/ Grèce, AJDA 2011. 1993, chron. L. Burgorgue-Larsen ). Mais s’agissant de la période où il a été considéré comme majeur, la Cour, ayant considéré que l’appréciation des juges des éléments de preuve n’avait pas lieu à être remise en cause, a analysé le traitement dont il fait l’objet à l’aune des garanties dont doit bénéficier un demandeur d’asile majeur. Or, s’agissant des demandeurs d’asile majeurs, la Cour considère qu’il y a traitement inhumain et dégradant, s’agissant des conditions d’hébergement, lorsque l’intéressé n’a pas pu faire face à ses besoins élémentaires ou essentiels, à savoir se nourrir, se laver et se loger (CEDH 21 janv. 2011, n° 30696/09, M.S.S. c/ Belgique et Grèce, § 254, AJDA 2011. 138 ; D. 2012. 390, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; RFDA 2012. 455, chron. H. Labayle, F. Sudre, X. Dupré de Boulois et L. Milano ; Constitutions 2011. 334, obs. A. Levade ; RTD eur. 2012. 393, obs. F. Benoît-Rohmer ; 28 juin 2011, n° 8319/07, Elmi c/ Royaume-Uni, § 279).

Elle a relevé que l’interruption de la prise en charge complète du requérant n’était de ce point de vue pas critiquable et a souligné que sur 122 nuits durant lesquelles il a été sans domicile fixe, il a bénéficié d’un hébergement d’urgence pour 75 nuitées. Elle a en outre souligné qu’il a pu continuer sa scolarité dans un lycée professionnel dans lequel il a été admis comme interne, grâce à une subvention exceptionnelle du Conseil régional, et qu’il était hébergé durant les week-ends et les vacances scolaires par une famille d’accueil avec l’aide d’un réseau associatif. S’agissant des nuits durant lesquelles il n’a bénéficié d’aucun hébergement, la Cour ne considère pas qu’il y a eu traitement inhumain ou dégradant, alors même que, sans allocation d’attente puisque se présentant comme mineur, il n’est pas établi qu’il ait pu faire face à ses besoins élémentaires. Mais la Cour, considérant que le requérant ne fournit aucun élément tendant à démonter qu’il n’avait pas pu faire face à de tels besoins, conclut à la non-violation de l’article 3 de la Convention.

Cet arrêt, qui s’inscrit dans une situation complexe, montre toute la complexité de la prise en charge d’un étranger se présentant comme mineur mais qui ne peut pas fournir de document jugé probant pour attester de sa minorité.