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Le ministre de la culture présente une vaste réforme de l’audiovisuel

Après avoir reçu les avis de l’HADOPI, du CSA, de la CNIL, de l’ARCEP et du Conseil d’État, le ministre de la culture a présenté le 5 décembre, en conseil des ministres, le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, ainsi qu’un projet de loi organique le complétant.

par Amelie Blocmanle 19 décembre 2019

Le gouvernement a engagé la procédure accélérée sur le texte. Alors que celui-ci devrait être examiné à l’Assemblée nationale en début d’année, son examen pourrait être repoussé. Plusieurs décrets devraient néanmoins être publiés sans attendre.

Le projet de loi modifie en profondeur la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, afin de l’adapter aux enjeux du secteur confronté à de fortes mutations. L’objectif est notamment d’établir des conditions de concurrence plus équitables entre les chaînes de télévision et les grandes plateformes extraeuropéennes de fourniture ou de partage de contenus. L’Autorité de la concurrence alertait en février dernier (21 févr. 2019, avis n° 19-A-04) sur la nécessité de desserrer les contraintes pesant sur les acteurs historiques du secteur, pour leur permettre de rivaliser à armes égales avec les plateformes de vidéo en ligne (Amazon, Netflix et bientôt Disney+, notamment). Cet objectif passe notamment par l’assouplissement des règles publicitaires. Le projet de loi opère par ailleurs une grande rénovation de la régulation du secteur. Il transpose également certaines dispositions de la directive 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique.

Développement et diversité de la création 

Le projet de loi comporte tout d’abord une série de mesures tendant à soutenir la création, en intégrant notamment les plateformes numériques dans le financement et la diffusion des œuvres cinématographiques et audiovisuelles françaises et européennes. Ce soutien passe par l’assujettissement des services de télévision et de médias audiovisuels à la demande étrangers ciblant le territoire français au régime de contribution à la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles qui s’applique aujourd’hui aux seuls éditeurs établis en France.

Le projet de loi vise ensuite à simplifier les dispositions législatives applicables concernant la contribution des services au développement de la production, notamment de la production indépendante, d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles. Il ne prévoit plus qu’un seul décret d’application fixant les principes et obligations de contribution, différenciés selon la nature des services et de leur programmation. Il dispose également que les services de médias audiovisuels à la demande, qui relevaient jusqu’ici d’un régime déclaratif, seront à l’avenir soumis, en fonction de leur chiffre d’affaires, à un régime de conventionnement avec l’autorité de régulation.

Allégement des contraintes légales pesant sur les services de télévision en matière de publicité et de diffusion d’œuvres cinématographiques 

Le projet de loi autorise la publicité télévisée sur écran partagé dans les retransmissions de manifestations sportives et confie, à cette fin, à l’autorité de régulation un pouvoir réglementaire délégué. Le nombre de coupures publicitaires autorisées au cours de la diffusion d’une œuvre cinématographique ou audiovisuelle d’une durée supérieure à deux heures est porté à trois. Le texte vise par ailleurs à transposer les dispositions de la directive 2018/1808 « services des médias audiovisuels (SMA) » du 14 novembre 2018 en matière de placement de produit, compte tenu de l’évolution des réalités du marché.

Mais l’assouplissement publicitaire devrait être mis tout d’abord en œuvre par voie réglementaire, par la modification du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 qui fixe les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de téléachat. Le gouvernement a proposé d’encadrer, d’une part, l’ouverture de la publicité télévisée segmentée en interdisant notamment la mention de l’adresse de l’annonceur et, d’autre part, la publicité pour le cinéma. D’autres assouplissements devraient être mis en œuvre dans le cadre de cette modification réglementaire : suppression de la règle dite des vingt minutes entre deux interruptions publicitaires ; assouplissement des conditions de diffusion des émissions et spots de téléachat. Le ministère de la culture a ouvert une consultation publique destinée à recueillir, d’ici le 31 décembre 2019, les observations des acteurs concernés.

L’objectif est également d’assouplir les règles de diffusion des œuvres cinématographiques sur les services de télévision. La première étape consiste en une levée de certaines restrictions en termes de jours de diffusion et de plafonnement annuel du nombre de films diffusés par chaîne. Cet assouplissement a vocation à être mis en œuvre en deux temps. D’abord par la modification du décret n° 90-66 du 17 janvier 1990, soumis à consultation publique jusqu’au 31 décembre 2019, avant sa publication qui pourrait être envisagée début 2020. Les dispositions de la loi du 30 septembre 1986, relatives à l’encadrement de la grille horaire de diffusion des films par les chaînes, seront supprimées dans un second temps, lors du vote de la loi.

Une régulation rénovée 

Le second axe du projet de loi, objet de son titre II, est de procéder à une rénovation de grande ampleur de la régulation du secteur. L’élément central en est la fusion du CSA et de la HADOPI au sein d’un organe unique, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), dont la coopération avec l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) est institutionnalisée. La création de l’ARCOM permet de tenir compte notamment des nouvelles missions que lui confie la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information ainsi que la proposition de loi relative à la lutte contre la haine sur internet.

Un chapitre, qui transpose la directive SMA révisée, rassemble les dispositions particulières aux plateformes de partage de vidéos. L’ARCOM sera notamment désormais chargé du règlement des différends entre utilisateurs de ces plateformes pour lesquelles est instauré un régime de corégulation. Le texte renforce les mesures de protection des publics sur l’ensemble des services de médias audiovisuels (télévision, radio et services de médias audiovisuels à la demande).

Le projet de loi vise également au renforcement de la lutte contre la contrefaçon sur internet. Les anciens pouvoirs de l’HADOPI en matière de lutte contre le piratage sont renforcés et transférés à l’ARCOM. Compte tenu de l’urgence inhérente aux retransmissions audiovisuelles en direct de manifestations sportives (live streaming), le texte consacre un dispositif spécifique de référé pour lutter contre le piratage sportif dans le code du sport.

Le titre III du projet de loi est consacré à la transformation de l’audiovisuel public à l’ère numérique, dont la gouvernance est rénovée par la création d’un groupe avec à sa tête une société mère unique, « France Médias », qui devra définir une stratégie globale. La composition des conseils d’administration et le mode de désignation des dirigeants sont également révisés.

Modifications du code de la propriété intellectuelle 

Le projet de loi a également vocation à transposer les articles 17 à 22 de la directive 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, en introduisant de nouvelles dispositions dans le code de la propriété intellectuelle (CPI) concernant l’utilisation de contenus protégés et le régime de responsabilité des plateformes de partage de contenus en ligne, ainsi que la juste rémunération des auteurs, artistes-interprètes ou exécutants dans le cadre des contrats d’exploitation.

Le gouvernement se voit également habilité à prendre par ordonnance des dispositions modifiant le CPI en vue d’achever la transposition des articles 3 à 6 de la directive, qui consacrent de nouvelles exceptions obligatoires au droit d’auteur, et les articles 8 et suivants, qui visent à améliorer les conditions d’octroi de licences d’exploitation des œuvres considérées comme indisponibles dans le commerce au profit des institutions du patrimoine culturel.

Le projet de loi habilite également le gouvernement à transposer par voie d’ordonnance la directive 2019/789 du 17 avril 2019, dite « câble et satellite », qui établit des règles sur l’exercice du droit d’auteur et des droits voisins applicables à certaines retransmissions de programmes de télévision et de radio. L’objectif est notamment de faciliter la retransmission linéaire des chaînes de télévision sur les différentes plateformes en Europe et de clarifier le régime de l’« injection directe », modalité spécifique de distribution des œuvres.