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La modulation dans le temps de l’application d’une règle jurisprudentielle de forclusion

Le juge peut moduler dans le temps l’application d’une règle jurisprudentielle de forclusion qui ne se borne pas à tirer les conséquences de dispositions antérieures mais qui revient sur une jurisprudence constante.

par Estelle Benoitle 21 mars 2020

À l’occasion d’un recours pour excès de pouvoir formé par la société Hasbro European Trading BV (HET BV) tendant à l’annulation de plusieurs paragraphes de commentaires administratifs de l’administration fiscale publiés les 12 septembre 2012 et 7 août 2019 au Bulletin officiel des finances publiques – impôts (BOFiP-impôts), le Conseil d’État module dans le temps l’application d’un revirement de jurisprudence concernant le délai de forclusion applicable.

Il a ainsi distingué selon que les commentaires ont été publiés entre le 10 septembre 2012 et le 31 décembre 2018 et à compter du 1er janvier 2019, les dispositions législatives et réglementaires applicables se différenciant sur ces deux périodes.

Deux règles jurisprudentielles ont été dégagées par le juge à l’issue de l’examen de ces dispositions quant au point de départ du délai de recours pour excès de pouvoir d’un contribuable contre des commentaires valablement publiés et prescrivant l’interprétation d’une loi fiscale. Le délai de recours commence à courir, pour les commentaires qui ont été insérés au BOFiP-impôts et mis en ligne sur un site internet accessible depuis l’adresse www.impots.gouv.fr entre le 10 septembre 2012 et le 31 décembre 2018, au jour de cette mise en ligne, et pour ceux qui ont été mis en ligne sur le site « bofip.impots.gouv.fr » à compter du 1er janvier 2019, également au jour de cette mise en ligne.

Rappelant la jurisprudence constante selon laquelle « il appartient en principe au juge administratif de faire application de la règle jurisprudentielle nouvelle à l’ensemble des litiges, quelle que soit la date des faits qui leur ont donné naissance, sauf si cette application a pour effet de porter rétroactivement atteinte au droit au recours » (CE, ass., 16 juil. 2007, n° 291545, Société Tropic travaux signalisation, Lebon avec les concl. ; AJDA 2007. 1577 , chron. F. Lenica et J. Boucher ; ibid. 1497, tribune S. Braconnier ; ibid. 1777, tribune J.-M. Woehrling ; D. 2007. 2500 , note D. Capitant ; RDI 2007. 429, obs. J.-D. Dreyfus ; ibid. 2008. 42, obs. R. Noguellou ; ibid. 2009. 246, obs. R. Noguellou ; RFDA 2007. 696, concl. D. Casas ; ibid. 917, étude F. Moderne ; ibid. 923, note D. Pouyaud ; ibid. 935, étude M. Canedo-Paris ; RTD civ. 2007. 531, obs. P. Deumier ; RTD eur. 2008. 835, chron. D. Ritleng, A. Bouveresse et J.-P. Kovar ), la Haute juridiction estime que « la règle de forclusion [concernant la première période] revient sur une jurisprudence constante et, dans cette mesure, est de nature à porter atteinte au droit au recours. Elle ne saurait, par conséquent, fonder le rejet pour irrecevabilité d’un recours formé contre un commentaire publié entre le 10 septembre 2012 et le 31 décembre 2018 et présenté avant l’expiration d’un délai de deux mois suivant la date de lecture de la présente décision ». Aucune règle de forclusion ne s’appliquant aux recours formés préalablement à cette décision contre de tels commentaires, celui formé par la société HET BV contre les commentaires publiés le 12 septembre 2012 était donc recevable.

Quant aux commentaires publiés à compter du 1er janvier 2019, « la règle de forclusion […] qui se borne à tirer les conséquences de dispositions légales et réglementaires antérieures aux commentaires administratifs à l’égard desquels elle s’applique, et qui ne constitue pas un revirement de jurisprudence, ne porte pas rétroactivement atteinte au droit au recours. Rien ne fait obstacle, dès lors, à ce que le juge administratif en fasse application à tout litige intéressant des commentaires administratifs mis en ligne, dans les conditions décrites plus haut, à compter du 1er janvier 2019, quelle que soit la date à laquelle il en est saisi ». En l’occurrence, la requête contre les commentaires administratifs publiés le 7 août 2019 ayant été déposée le 28 octobre 2019 n’était pas tardive. Les conclusions de la société sont cependant rejetées sur le fond.