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« Monsieur Tron est un professionnel de l’embrouille qui a des mécanismes pervers redoutables »

Mercredi, l’avocat général a requis six ans d’emprisonnement contre Georges Tron, pour viols en réunion et agressions sexuelles contre deux ex-employées, et quatre ans contre Brigitte Gruel, pour complicité de ces infractions. Les avocats de la défense ont plaidé l’acquittement.

par Julien Mucchiellile 15 novembre 2018

Dans une salle complète, comme à chacune de ses plaidoiries, maître Éric Dupond-Moretti a ménagé son effet. Il a pris un air écœuré pour qualifier le réquisitoire de l’avocat général de « démago, imprécis, narcissique », avant de lui reprocher d’avoir qualifié son client de « pervers ». De ses clients, il a dit : « Je les trouve d’une patience… » Se tournant vers les parties civiles : « Moi je vous sauterais à la gorge. » Éreintant la presse (« une partie de la presse ») : « Vous vous êtes régalés, régalés. Prions pour certains d’entre vous qu’il ne soit pas acquitté, parce que l’atterrissage va être violent. » Contre l’Association contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), partie civile : « Que la parole se libère, c’est parfait, mais le réceptacle ne doit être ni la presse ni les réseaux sociaux, mais la justice. » Enfin, s’inspirant de l’affaire Dominique Baudis et des procès en sorcellerie des temps anciens, il a mis en garde contre la rumeur, arbitraire et salissante, qui selon lui innerve ce dossier, et salit son client Georges Tron.

Il faut dire que l’avocat général Frédéric Bernardo, au matin de cette même journée, avait requis six ans d’emprisonnement contre Georges Tron, pour viols en réunion et agressions sexuelles contre deux ex-employées, et quatre ans contre Brigitte Gruel, pour complicité de ces infractions.

Sa démonstration ne s’est pas attardée sur les détails du dossier, ce qui lui sera largement reproché par la défense, mais sur l’intelligence, la psychologie des situations dans lesquelles les violences sexuelles sont susceptibles d’intervenir. Le cadre : « On n’est pas dans une affaire de sexe, on est dans une affaire de domination. C’est une histoire de pouvoir. Une relation sexuelle n’est pas consentie si la personne n’est pas en mesure de consentir librement. Le viol c’est une atteinte à votre liberté d’avoir une relation sexuelle. » Il agrémente sa démonstration de maints exemples, de situations dans lesquelles des faits de nature sexuelle sont susceptibles de se produire. Descendu de son estrade pour venir parler aux jurés dans une sorte de monologue décontracté, l’avocat général a dépeint le maire de Draveil en « pervers narcissique » et en « comte de Dracula », dépeignant sa stratégie de prédateur. « La réflexologie est un piège pour s’autoriser à toucher le pied des femmes, et quand on voit le nombre de pieds touchés par Monsieur Tron, on peut se poser des questions. La surprise est une technique pour attirer la proie. Même les journalistes extérieures, qui ont une intelligence des situations ont été très surprises que Georges Tron leur saisisse le pied. »

Parlant des plaignantes : « Éva Loubrieu est dans une situation différente, elle n’est pas comme Virginie Ettel. Éva Loubrieu, elle est passionnée, elle est entière, elle est dévouée, c’est ça dans les milieux artistiques : elle est à fond. Chez elle, elle n’a pas les appuis de Virginie Ettel. Son compagnon est fragile », et c’est pourquoi elle fera deux tentatives de suicide après les faits allégués, tout comme Virginie Ettel a par deux fois tenté de s’ôter la vie dans la période des faits. « À leur embauche elles étaient pétillantes, à leur sortie c’était des zombies. » Le magistrat raisonne : « “Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?”, disait Monsieur Tron. Alors que moi mon propos est de dire : pourquoi ce qui est simple devient compliqué ? Parce que Monsieur Tron est un professionnel de l’embrouille qui a des mécanismes pervers redoutables. » Plus tard : « Monsieur Tron a ce pouvoir de tenir des personnes. Il sait très bien leur faiblesse, il ne leur parle pas de la même chose. C’est un homme qui a du pouvoir et qui est parvenu à lever les défenses de la victime. Mon intime conviction est que les rapports sexuels ont eu lieu, et qu’ils ont été imposés. »

À écouter Vincent Ollivier, qui, juste avant, est intervenu dans les intérêts de Virginie Ettel, le « professionnel de l’embrouille » s’était préparé. « Depuis juin 2010 Monsieur Tron sait ce qui va lui tomber sur le dos, il le sait et il le prépare. Il faut commencer par décrédibiliser vos victimes, dire qu’elles sont des femmes de mauvaise vie, des alcooliques, des nymphomanes, des hystériques. Des femmes aux mœurs légères, qui ont une vie dissolue ; des femmes qui ont un comportement qui ne peut pas être celui de femmes violées. Les coupables se défendent beaucoup mieux que les innocents, parce qu’ils savent ce qui va arriver. » La veille, Loïc Guérin, conseil d’Éva Loubrieu, avait dépeint le système Tron, « qui se double d’une véritable omerta, d’une mise sous tutelle et d’une préparation des témoins, privatisation des policiers locaux ».

Avant de réclamer les peines, assorties, selon sa volonté, de cinq ans d’inéligibilité, l’avocat général a prévenu les jurés : « La défense vous dira que le doute doit faire exploser le dossier et doit vous mener à l’acquittement. Mais non, le doute sur un détail ne doit pas avoir de conséquence. Le doute est toujours présent dans un dossier, ce qu’il faut, c’est qu’il ne soit pas prédominant. Il faut aller au-delà du doute raisonnable. »

Frank Natali a plaidé en premier, avec une extraordinaire véhémence, l’innocence de Brigitte Gruel, une femme souillée par la calomnie, dont l’honneur a été aplati pour de basses considérations de pouvoir : l’élimination politique de Georges Tron. Il évoque une « vague médiatique venant en appui d’une machination politico-financière », celle de l’opposition, de l’extrême droite la plus radicale. « Les frères Olivier ont une envergure nationale, crie-t-il, et on vient nous expliquer que c’est anodin ! C’est une association de malfaisants, au sens d’une action secrète et concertée. C’est du très gros calibre, c’est du lourd, c’est des gens qui ont un appareil quasi-militaire ! » Pour lui, la vérité réside dans l’ordonnance de non lieu rendue par les juges d’Évry (qui ont enquêté longuement, et sur le terrain), et non dans l’arrêt de la chambre de l’instruction parisienne, et encore moins dans le réquisitoire, « un scénario dont on voudrait faire une vérité judiciaire. Qu’est-ce qu’on vient de nous faire ? Une reconstitution de l’histoire, du révisionnisme judiciaire », s’est-il escrimé, rappelant le fort caractère des victimes qui, selon lui, n’auraient pas pu se laisser faire.

Le cortège des revanchards

Après lui, et avant Me Dupond-Moretti, son associé Antoine Vey avait fait le travail de sape. Dans la défense de Georges Tron, une plaidoirie longue et touffue, qui a débuté par la chronologie d’Éva Loubrieu, de son premier entretien avec Georges Tron le 21 juin 2006, à sa démission en 2009, à la suite du détournement de fonds dont elle s’était rendue coupable. Monsieur Tron a fait consigner vingt SMS, entre janvier et août 2007. Ces SMS contiennent des mots sympathiques, affectueux et ridicules. « Madame Loubrieu a dit qu’elle aurait perdu son consentement après avoir discuté avec Madame Chrystelle S., conversation qui se serait déroulée au printemps 2007 », sans que l’on puisse noter une différence de ton, ni même de contenu, dans les messages, a observé l’avocat.

Ironique, il évoque le cas de Virginie Ettel. Évoquant les deux faits (19 nov. 2009 et 4 janv. 2010), il s’exclame : « Elle apporterait un document chez Mme Gruel, celle qui l’a violée deux mois avant, celle à cause de qui elle a fait une tentative de suicide, et peut-être qu’elle pourrait y croiser Monsieur Tron ? Et se passe ce qu’il devait se passer ? »

Pour lui, les deux femmes sont mises en contact par François-Joseph Roux (« personnage clef » de l’affaire) et se sont concertées, réunissant autour de leurs aspirations le « cortège des revanchards », la clique des opposants, bande hétéroclite de politiciens qui veulent la peau de Georges Tron. « Il y a une telle concentration d’acteurs, dans la période juste avant les faits, ils sont tous en contact ». Pourtant, l’avocat en est convaincu : les faits allégués sont purement mensongers. Ils sont une « invention de faits artificiels, qui ne se sont jamais passés. »

Le verdict sera rendu dans la journée du jeudi 15 novembre.

 

 

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