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Article
Motivation des peines correctionnelles et de leurs aménagements
Motivation des peines correctionnelles et de leurs aménagements
Par trois décisions, la chambre criminelle apporte de nouvelles précisions concernant la motivation des peines correctionnelles, réaffirme le caractère obligatoire de l’aménagement de la peine inférieure à six mois d’emprisonnement et confirme l’application immédiate de la loi du 23 mars 2019 en matière d’application des peines.
par Margaux Dominatile 31 mai 2021
Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2019-222 de programmation pour 2018-2022 et de réforme de la justice, tant la Cour de cassation que la doctrine n’ont eu de cesse d’expliquer, de commenter (voire parfois de critiquer) les nouvelles dispositions mises en place. En matière de droit de la peine, et notamment s’agissant d’aménagement de peine, la chambre criminelle n’a d’ailleurs pas été avare d’indications précieuses. Par trois arrêts rendus le 11 mai 2021, elle est (de nouveau) venue apporter de plus amples indications sur l’application des dispositions relatives au prononcé et à la motivation des peines en matière correctionnelle, en particulier des peines d’emprisonnement et de leur aménagement.
La motivation de la peine correctionnelle
Grâce à plusieurs arrêts rendus le 1er février 2017, qui ont consacré une obligation de motivation générale des peines principales comme complémentaires en matière correctionnelle, cet impératif a été inséré dans le code pénal (C. pén., art. 132-1) et dans le code de procédure pénale (C. pr. pén., art. 485 ; Crim. 1er févr. 2017, n° 15-83.984, Dalloz actualité, 16 févr. 2017, obs. C. Fonteix ; D. 2017. 961 , note C. Saas ; ibid. 1557, chron. G. Guého, E. Pichon, B. Laurent, L. Ascensi et G. Barbier ; ibid. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; JCP 2017. 277, note J. Leblois-Happe ; Dr. pénal 2017. Comm. 69, obs. E. Bonis-Garçon ; 1er févr. 2017, n° 15-84.511, Dalloz actualité, 13 févr. 2017, obs. D. Poupeau ; ibid. 15 févr. 2017, obs. S. Lavric ; AJDA 2017. 256 ; D. 2017. 961 , note C. Saas ; AJ pénal 2017. 175, note E. Dreyer ; AJCT 2017. 288, obs. S. Lavric ; Légipresse 2017. 69 et les obs. ; ibid. 260, Étude N. Verly ; 1er févr. 2017, n° 15-85.199, Dalloz actualité, 16 févr. 2017, obs. S. Fucini ; D. 2017. 961 , note C. Saas ; ibid. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; JCP 2017. 277, note J. Leblois-Happe ; ibid. 288, note J. Leblois-Happe ; JCP E 2017. 25, note R. Salomon ; v. égal. M. Giacopelli, Vers une généralisation de l’exigence de motivation en droit de la peine ?, D. 2017. 931 ). Désormais, les juges correctionnels, lorsqu’ils prononcent une peine, doivent « s’expliquer sur la nature, le quantum et le régime des peines prononcées, en fonction des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur et de sa situation matérielle, familiale et sociale (v. E. Bonis et V. Peltier, Droit de la peine, 3e éd. LexisNexis, coll. « Manuels », n° 337 ; v. égal. Crim. 16 avr. 2019, n° 18-81.295). Aussi, selon le nouvel article 485-1 du code de procédure pénale, issu de la loi du 23 mars 2019, le contenu de la motivation attendu par le juge répressif doit justifier du choix de la peine prononcée, au regard des articles 132-1 et 132-20 du code pénal. D’ailleurs, l’article 485-1, en ce qu’il régit la motivation des peines, constitue une loi de procédure, que la jurisprudence a admis de manière constante comme applicable immédiatement à la répression des infractions commises avant son entrée en vigueur en application de l’article 112-2, 2°, du code pénal (v. nos 20-83.507 et 20-85.576 ; Crim. 3 oct. 1994, n° 93-85.633, RSC 1995. 345, obs. B. Bouloc ).
Dans ce dessein, l’emprisonnement sans sursis fait pourtant figure d’exception, en ce que les juges qui prononcent une telle peine sont contraints à une motivation spéciale, introduite au sein de l’article 132-19, alinéa 2. du code pénal. Dès lors, en plus des critères de motivation tenant à la gravité de l’infraction et à la personnalité de son auteur, ils doivent justifier du caractère indispensable de cette peine et du caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction. La mouture actuelle de cette disposition, issue de la loi du 23 mars 2019, démontre ainsi de la volonté (louable) du législateur : il s’agit d’inciter le juge à prononcer une peine alternative à l’emprisonnement, et par la même occasion de lui interdire de prononcer une très courte peine privative de liberté (v. E. Bonis, « La motivation de la peine d’emprisonnement ou les vicissitudes de l’article 132-19 du code pénal », in E. Letouzey [dir.], La motivation de la peine, CEPRISCA, coll. « Colloques », 2019, p. 153). L’on saura par exemple reconnaître cet esprit dans la substitution de l’adjectif « indispensable » à celui de « nécessaire » lorsque les juges doivent justifier de l’opportunité de prononcer une telle peine (C. pén., art. 132-19, al. 2). Aussi, la loi nouvelle contraint désormais à une lecture combinée de l’article 132-19 refondu du code pénal et du nouvel article 464-2 du code de procédure pénale (v. Rép. pén., not., v° Peine : nature et prononcé, par L. Grégoire et J.-P. Céré, n° 141). Bref, il s’agit là d’un « algébrisme pénal » ou d’un « carcan législatif » au sujet duquel la Cour de cassation a été maintes fois appelée à se prononcer (v. J. Pradel, Des dispositions de la loi du 23 mars 2019 sur le renforcement de l’efficacité et du sens de la peine : texte fondateur ou texte d’ajustement ?, D. 2019. 1002 , n° 15 ; L. Griffon-Yarza, Les nouvelles modalités du prononcé des peines d’emprisonnement ferme : un carcan législatif doublé d’un nouvel oxymoron juridique, AJ pénal 2019. 375 ; v. égal. J.-B. Perrier, La réforme du droit de la peine : tout changer pour que rien ne change, RSC 2019. 449 ).
Par plusieurs arrêts rendus le 11 mai 2021 (nos 20-83.507 et 20-85.576), la Cour de cassation est revenue sur les champs d’application respectifs des dispositions qui concernent la motivation de la peine en matière correctionnelle. Plus que d’apporter de simples précisions, ces arrêts sont d’ailleurs l’occasion, pour la chambre criminelle, d’actualiser sa propre jurisprudence en adéquation avec la loi du 23 mars 2019.
La motivation de la peine d’emprisonnement sans sursis
La première saisine de la Cour de cassation (n° 20-83.507) concernait une personne prévenue, condamnée à une peine de dix-huit mois d’emprisonnement sans sursis. Elle reprochait au juge correctionnel, qui avait prononcé cette peine, de ne pas avoir motivé sa décision sur le caractère inadéquat de toute autre sanction que celle qui avait été prononcée. Sous l’empire de l’article 132-19 ancien du code pénal, dans sa rédaction antérieure à la loi du 23 mars 2019, la jurisprudence considérait, de manière constante, que « le juge n’est tenu de spécialement motiver sa décision au regard de la situation matérielle, familiale et sociale du prévenu que pour refuser d’aménager la peine d’emprisonnement sans sursis d’une durée n’excédant pas deux ans, ou un an en cas de récidive légale » (Crim. 29 nov. 2016, n° 15-83.108, Dalloz actualité, 12 déc. 2016, obs. S. Fucini ; D. 2016. 2465 ; ibid. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2017. 96 ; Rev. sociétés 2017. 438, note B. Bouloc ; RSC 2017. 314, obs. H. Matsopoulou ; RTD com. 2017. 459, obs. B. Bouloc ). Le nouvel article 132-19 ayant considérablement accru les moyens pour lutter contre le prononcé des (courtes) peines d’emprisonnement sans sursis, cette jurisprudence ne pouvait donc être maintenue. Afin de s’aligner sur les préceptes dégagés par le législateur, la Cour de cassation considère donc, ici, que « le juge qui prononce une peine d’emprisonnement sans sursis doit, quels que soient le quantum et la décision prise quant à son éventuel aménagement, motiver son choix en faisant apparaître qu’il a tenu compte, non seulement des faits de l’espèce et de la personnalité de leur auteur, mais aussi de sa situation matérielle, familiale et sociale » (n° 20-83.507). Autrement dit, le juge devra établir à partir de ces éléments que la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine indispensable et toute autre sanction manifestement inadéquate. Plus largement, l’on ne peut que constater ici que le régime de motivation applicable aux peines d’emprisonnement sans sursis est désormais aligné sur celui des autres peines correctionnelles, pour former une « assiette de motivation » (v. note explicative de la Cour de cassation à ce propos). Profitant de l’occasion d’apporter de plus amples précisions sur le renforcement de l’exigence de motivation, la Cour de cassation, après avoir rappelé que, de jurisprudence constante, les lois relatives à la motivation des peines constituent des lois de procédure, considère que les articles 132-1 et 132-19, alinéa 2, du code pénal, dans leur rédaction issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur en application de l’article 112-2, 2°, du code pénal (v. n° 20-83.507 ; Crim. 3 oct. 1994, n° 93-85.633, préc).
La motivation des peines autres que l’emprisonnement sans sursis
La seconde saisine (n° 20-85.576) avait été opérée en contestation de la motivation d’une peine de cinq mois d’emprisonnement avec sursis et de 10 000 € d’amende, aux termes de laquelle le juge répressif estimait avoir tenu compte du fait que « la prévenue n’a comparu ni devant les premiers juges ni devant la cour d’appel après avoir fait l’objet d’une première décision de condamnation et n’a fourni ni fait fournir à la juridiction, à aucun de ces stades, d’éléments sur sa personnalité et sa situation personnelle ainsi que sur le montant de ses charges ». En l’absence de tout autre élément rapporté, la juridiction de jugement s’était ainsi appuyée uniquement sur le casier judiciaire de l’intéressée pour asseoir sa décision. Après avoir constaté que les exigences relatives à la motivation des peines correctionnelles, tirées des articles 132-1 et 132-20 du code pénal, n’ont fait l’objet d’aucune modification substantielle par la loi de 2019, la Cour de cassation rappelle, selon les termes de sa jurisprudence, qu’en « l’absence d’éléments portés à leur connaissance, les juges qui prononcent une peine d’emprisonnement sans sursis peuvent fonder leur appréciation de la personnalité du prévenu sur son seul casier judiciaire » (Crim. 15 janv. 2020, n° 18-81.617, Dalloz actualité, 18 févr. 2020, obs. D. Goetz : v. égal. 28 nov. 2012, n° 12-80.639 P, Dalloz actualité, 20 déc. 2012, obs. M. Léna ; D. 2013. 2713, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin ; Dr. pénal 2013. Comm. 20, obs. M. Véron). Dès lors, du fait de l’analogisme des situations ici présentées, la Cour de cassation applique ici cette jurisprudence et rejette, logiquement, le pourvoi formé. Par là même, elle étend donc sa jurisprudence aux peines d’emprisonnement avec sursis et à l’amende. Si l’on s’éloigne encore un peu plus ici de la règle selon laquelle le juge ne peut faire l’économie d’aucun des critères relatifs à la motivation (Crim. 15 mai 2019, n° 18-84.494, Dalloz actualité, 13 juin 2019, obs. L. Jay ; D. 2019. 1105 ), la solution retenue semble pourtant louable car elle permet de respecter l’exigence primordiale d’individualisation tout en permettant au juge répressif de s’appuyer sur les éléments dont il a connaissance in limine. Il faudra toutefois se montrer réservé afin de ne pas verser dans le laconique, puisque la marge de manœuvre qui est laissée aux juges correctionnels en l’absence d’éléments de personnalité ne semble parfois pas suffisante pour justifier de l’ensemble des autres critères pris in concreto et, se faisant, d’une peine d’emprisonnement avec ou sans sursis (Crim. 10 mai 2017, n° 15-86.906, Dalloz actualité, 8 juin 2017, obs. J. Gallois ; AJ pénal 2017. 396, obs. L. Grégoire ).
La motivation des aménagements de peine ab initio
Devant le juge correctionnel, les enjeux tirés de l’octroi d’un aménagement de peine concomitamment avec le prononcé de la peine ont pris une importance certaine depuis la loi n° 2014-896 du 15 août 2014. En effet, à la différence des mesures éponymes décidées par le juge de l’application des peines en cours d’exécution, ceux qui sont prononcés par le juge répressif s’inscrivent exclusivement dans une politique comptable de gestion des flux (v. M. Giacopelli, « La motivation des aménagements de peine », in E. Letouzey [dir.], La motivation de la peine, op. cit., p. 112). Pour preuve, les travaux parlementaires considéraient que le législateur du 23 mars 2019 avait entendu « ne plus subordonner l’aménagement de la peine à l’exigence d’un projet de réinsertion du condamné » (v. note explicative de la Cour de cassation).
L’article 132-19 du code pénal est également le support des prérogatives déployées du juge de jugement pour prononcer un aménagement de peine avant la mise à exécution, au détriment du juge de l’application des peines qui ne dispose plus, désormais, que d’un rôle résiduel en la matière (v. M. Giacopelli, Renforcer l’efficacité et le sens de la peine. Aperçu rapide, JCP 2019. 386). La loi du 23 mars 2019 a ainsi strictement encadré l’action du juge correctionnel, qui doit, autant que faire se peut, aménager la peine d’emprisonnement sans sursis qu’il prononce. À ce titre, la loi du 23 mars 2019 a placé un palier entre les peines d’emprisonnement supérieures à un mois et inférieures ou égales à six mois, et celles supérieures à six mois et inférieures ou égales à un an. Dans le premier de ces cas, l’aménagement de la peine est obligatoire « sauf impossibilité résultant de la personnalité ou de la situation du condamné », la Cour de cassation étant venue préciser, dans l’un des arrêts qui font l’objet de cette publication, que l’obligation d’aménager la peine doit concerner la totalité de celle-ci (n° 20-84.412). Dans le second cas, l’aménagement est fonction de la personnalité et de la situation de la personne condamnée, « la loi du 23 mars 2019 [ayant maintenu] le droit antérieur dont il résulte que l’aménagement est le principe » (n° 20-85.576). De nouveau, la nouvelle mouture de l’article 132-19 du code pénal démontre, s’il le fallait encore, que l’objectif poursuivi est d’éviter que le condamné soit effectivement incarcéré (v. E. Bonis et V. Peltier, Droit de la peine, op. cit., n° 1075). Dans ce sens, l’on pourra noter que la Cour de cassation considère que l’article 132-19, alinéa 1, du code pénal, tel qu’il est réécrit par la loi du 23 mars 2019, et qui n’est pas mis à l’épreuve dans ce commentaire, constitue une disposition de pénalité moins sévère, applicable aux infractions commises avant son entrée en vigueur, conformément à l’article 112-1 du code pénal (Crim. 11 mai 2021, n° 20-85.464, à paraître).
Bref, dans les trois décisions rendues le 11 mai 2021, la Cour de cassation est revenue sur les modalités du prononcé et du refus de l’aménagement de peine ab initio, la motivation qui en découle, ainsi que sur le passage de relais entre le juge correctionnel et le juge de l’application des peines pour l’aménagement de la peine, en application de l’article 723-15 du code de procédure pénale.
L’identification du quantum de peine pour son aménagement
Du fait de la nouvelle gradation de l’obligation d’aménagement qui résulte de la loi du 23 mars 2019, les juges correctionnels qui prononcent une peine d’emprisonnement sans sursis dont le quantum est compris entre un et six mois d’emprisonnement doivent désormais et de manière obligatoire aménager celle-ci, sauf impossibilité (v. supra). Dans l’une des décisions rendues (n° 20-84.412), la Cour de cassation rappelle quelles sont les modalités qui président l’identification du quantum de peine, ce dernier déterminant le caractère obligatoire ou de principe de l’aménagement de peine. Selon l’article D. 48-1-1 du code de procédure pénale, issu du décret n° 2020-187 du 3 mars 2020, les seuils de six mois ou d’un an d’emprisonnement s’apprécient « en tenant compte de la révocation totale ou partielle d’un sursis simple décidé par la juridiction de jugement et dont la durée s’ajoute à celle de la peine d’emprisonnement prononcée ». Ce texte, en ce qu’il fixe les formes de la procédure, conformément à l’article 112-2, 2°, du code pénal, est par ailleurs applicable immédiatement au jugement des faits commis antérieurement à leur entrée en vigueur (nos 20-85.576 et 20-84.412).
L’octroi d’un aménagement de peine
Les aménagements de peine, qu’ils disposent d’un caractère « obligatoire » ou qu’ils constituent un « principe » au stade du prononcé de la peine, font l’objet d’une jurisprudence fournie au terme de laquelle la Cour de cassation s’attache à réaffirmer leur caractère central. Dans les décisions ici commentées, la Cour de cassation rappelle que tant l’absence d’éléments permettant d’apprécier la mesure d’aménagement adaptée que l’absence d’éléments propres à caractériser un projet de réinsertion ne sauraient être valablement accueillies comme motifs de refus d’un aménagement de peine (n° 20-85.576). Si l’on se souvient qu’il y a peu de temps encore, la Cour de cassation acceptait que ces circonstances le justifient (Crim. 17 juin 2020, n° 19-85.559, D. 2020. 1295 ; 12 déc. 2017, n° 16-87.230, D. 2018. 16 ; AJ pénal 2018. 90, obs. F. Chopin ; Dr. pénal 2017, n° 2, comm. 21, obs. P. Conte), la solution ici retenue ne saurait véritablement surprendre, cette même juridiction ayant très récemment cassé un arrêt d’appel qui présentait les mêmes carences dans une décision analogue (Crim. 6 janv. 2021, n° 19-87.402, Dr pénal. n° 3, 2021, comm. 62, comm. E. Bonis ; v. égal. 1er avr. 2020, n° 18-85.954). Dans pareilles situations, les juges correctionnels devront donc, si le prévenu est comparant, l’interroger, voire se saisir de l’opportunité de prononcer un ajournement de la peine aux fins d’investigations sur sa personnalité ou sa situation (C. pr. pén., art. 132-70-1). S’il est absent, elles devront rechercher, parmi les pièces de la procédure, si « le principe d’un aménagement peut être ordonné » (n° 20-85.576). Bon gré mal gré, les juges correctionnels sont donc tenus donc répondre aux mains tendues (et parfois forcées) du législateur, afin d’éviter, coûte que coûte, le renforcement du surpeuplement carcéral déjà endémique que connaissent les établissements pénitentiaires. À noter que ces décisions sont l’occasion saisie par la Cour de cassation pour réaffirmer le caractère obligatoire de l’aménagement de la peine inférieure à six mois.
La procédure d’octroi d’un aménagement de peine
Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 23 mars 2019, lorsque la juridiction de jugement accordait un aménagement de peine, elle était traditionnellement tenue de statuer concernant la nature de cette mesure, même s’elle n’avait pas à en fixer les modalités, ce qui incombait au juge de l’application des peines (Crim. 20 avr. 2017, n° 16-80.091, Dalloz actualité, 16 mai 2017, obs. C. Fonteix ; D. 2017. 1459 , note J. Lasserre Capdeville ; RTD com. 2017. 451, obs. L. Saenko ; Dr. pénal 2017, n° 100, obs. E. Bonis-Garçon ; Gaz. Pal. 18 juill. 2017, p. 61, obs. E. Dreyer). Depuis le 24 mars 2020, un article 464-2 a été intégré dans le code de procédure pénale. D’ailleurs, ce texte, en ce qu’il apporte des précisions relatives à la motivation des peines, constitue une loi de procédure applicable immédiatement à la répression des infractions commises avant son entrée en vigueur en application de l’article 112-2, 2°, du code pénal (v. n° 20-83.507 ; Crim. 3 oct. 1994, n° 93-85.633, préc). Dans l’une des décisions ici commentées, la Cour de cassation est revenue sur cette disposition. Conformément au I, 1° et 2°, de cet article (n° 20-85.576), la Cour de cassation rappelle que les juges correctionnels, lorsqu’ils décident que l’aménagement de peine peut être accordé dans son principe, peuvent ensuite soit en déterminer la nature, comme il était le cas avant le 24 mars 2020, soit, en l’absence d’éléments leur permettant de déterminer la mesure adaptée, « ordonner l’aménagement de la peine et la convocation de la personne condamnée devant le juge de l’application des peines qui décidera de cette mesure comme le prévoit l’article 723-15 du code de procédure pénale » (nos 20-85.576 et 20-84.412).
Le refus d’aménager la peine
Avant toute chose, il faut souligner que l’octroi d’un aménagement de peine n’a pas à être motivé. L’obligation de motivation ne concerne que le refus d’accorder une telle mesure. En la matière, quel que soit le quantum de peine prononcé, la juridiction qui entend ne pas prononcer d’aménagement doit motiver spécialement sa décision, de façon précise et circonstanciée, au regard des faits de l’espèce, de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale du condamné (Crim. 9 avr. 2019, n° 18-83.874, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. D. Goetz ; D. 2019. 762 ; ibid. 1626, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2019. 403, obs. M. H-Evans ; rappelé ici : nos 20-84.412 et 20-85.576). Peu importe le quantum de peine décidé, aucun autre élément que ceux-ci ne pourra être pris en compte pour justifier le refus d’un aménagement de la peine (n° 20-85.576). Autrement dit, la juridiction devra démontrer en quoi la situation ou la personnalité du condamné ne permettent pas d’accorder une mesure d’aménagement de la peine, soit relever une impossibilité matérielle de le faire.
La procédure de refus d’aménagement de peine
Chemin faisant, la Cour de cassation poursuit son raisonnement en rappelant la procédure à suivre dans le cadre du refus d’aménager la peine (nos 20-85.576 et 20-84.412). En premier lieu, dès lors que la peine prononcée est supérieure à un mois et inférieure ou égale à un an, l’individu qui répond aux conditions prévues par les articles 397-4 et 465-1 du code de procédure pénale pourra se voir délivrer un mandat de dépôt ou d’arrêt.
Une distinction doit ensuite être opérée si le condamné ne répond pas à ces critères. Ainsi, en second lieu, si la peine est supérieure à un mois et inférieure ou égale à six mois d’emprisonnement, le juge pourra remettre au condamné présent à l’audience une convocation à comparaître devant le juge de l’application des peines (C. pr. pén., art. 474). En revanche, si la peine prononcée est supérieure à six mois et inférieure ou égale à un an, le législateur a prévu que la juridiction de jugement pourrait lui délivrer le nouveau « mandat de dépôt à effet différé », qui n’est applicable qu’aux peines supérieures à six mois d’emprisonnement, et qui a intégré l’arsenal législatif mis à disposition du juge répressif par le jeu de l’article 464-2 du code de procédure pénale.
L’application dans le temps des dispositions nouvelles en matière d’application des peines
Si la loi nouvelle semble promise à de vives critiques, certains des aspects du droit transitoire n’avaient toujours pas été résolus, jusqu’aux décisions rendues le 11 mai 2021 (v. P. Poncela, Errements et sauts dans le vide, RSC 2020. 137 ; L. Griffon-Yarza, Les nouvelles modalités du prononcé des peines d’emprisonnement ferme : un carcan législatif doublé d’un nouvel oxymoron juridique, art. préc. ; v. égal. J.-B. Perrier, La réforme du droit de la peine : tout changer pour que rien ne change, préc.). La Cour de cassation avait déjà répondu à certaines des interrogations qui découlaient de l’entrée en vigueur de cette loi, et notamment dans une décision largement diffusée et au terme de laquelle elle avait statué en faveur de la non-rétroactivité des dispositions abaissant le plafond d’aménagement des peines ab initio à un an (Crim. 20 oct. 2020, n° 19-84.754, Dalloz actualité, 19 nov. 2020, obs. J. Gallois ; D. 2020. 2379 , note S. Pellé ; ibid. 2367, obs. G. Roujou de Boubée, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2020. 514, note M. H-Evans ; Dr. pénal 2020. Comm. 219, note E. Bonis ; ibid. 2021. Étude 8, note E. Bonis ; Dr. pénal. 2021. Chron. 3, note E. Bonis ; Rev. pénit. 2020-4, à paraître ; Lexbase, éd. pénal, n° 33, 17 déc. 2020, note X. Pin). Dans les trois décisions ici présentées, la Cour apporte une des « pièces manquantes du puzzle », en statuant, d’une part, sur l’application dans le temps des dispositions prévoyant l’aménagement des peines d’emprisonnement sans sursis supérieures à un mois et inférieures ou égales à un an et, d’autre part, en déterminant le régime applicable à l’aménagement des peines comprises entre un et deux ans, lorsque les faits ont été commis avant le 24 mars 2020 (nos 20-84.412, 20-83.507 et 20-85.576).
Ici, les faits ayant donné lieu aux condamnations avaient tous été commis avant l’entrée en vigueur des articles 132-19, 132-25 du code pénal et 464-2, 474 et 723-15 du code de procédure pénale relatifs à l’aménagement des peines, issus de l’article 74 de la loi du 23 mars 2019. Pour déterminer leur applicabilité dans le temps, la Cour de cassation divisait ces dispositions en deux catégories. Les premières incitaient le juge correctionnel à prononcer un aménagement de peine (obligation ou principe de l’aménagement). Les secondes relevaient du régime d’exécution des peines, en ce qu’elles supprimaient, maintenaient ou substituaient certaines mesures d’aménagements entre elles. Par ailleurs, l’aménagement de la peine relève majoritairement désormais de l’office du juge correctionnel, le juge de l’application des peines ayant seulement conservé une compétence résiduelle en la matière. Dès lors, ces dispositions forment un « ensemble cohérent dont les éléments sont indissociables » (n° 20-85.576). Ainsi, la Cour de cassation considère, au regard de sa jurisprudence antérieure, que « l’aménagement de la peine par la juridiction de jugement constitue un dispositif relatif au régime d’exécution et d’application des peines, dont l’application dans le temps obéit aux règles définies par l’article 112-2, 3°, du code pénal » (Crim. 20 oct. 2020, n° 19-84.754, préc.). Encore faut-il que ce bloc de dispositions n’ait pas pour effet de rendre plus sévères les peines prononcées. À cet égard, elle considère d’abord que le mandat de dépôt à effet différé, s’il « fait obstacle à toute saisine du juge de l’application des peines avant l’incarcération du condamné », a pour seule conséquence de « permettre une mise à exécution rapide et effective des peines d’emprisonnement » (nos 20-85.576 et 20-84.412). Ensuite, elle rappelle que la fixation de la date d’incarcération par le parquet tient compte de la situation personnelle de la personne concernée. Dès lors, « les dispositions relatives à l’aménagement des peines d’emprisonnement sans sursis supérieures à un mois et inférieures ou égales à un an sont applicables au jugement des faits commis antérieurement à leur entrée en vigueur » (n° 20-85.576).
Alors, cette première constatation permet à la Cour de cassation de confirmer l’analyse entreprise dans sa décision du 20 octobre 2020. Pour les condamnations à des peines d’emprisonnement ferme supérieures à un an et inférieures ou égales à deux ans, pour lesquelles les faits ont été commis avant l’entrée en vigueur de la loi, « la condition tenant au quantum de la peine aménageable reste régie par la loi ancienne ; pour le reste, les dispositions de la loi nouvelle sont applicables » (n° 20-83.507). Autrement dit, d’une part, l’aménagement de la peine demeure le principe – sauf en cas de récidive légale (Crim. 20 oct. 2020, n° 19-84.754, préc.) –, d’autre part, le juge correctionnel devra se prononcer sur les conditions et les modalités de l’octroi ou du refus de cet aménagement conformément aux dispositions de la loi nouvelle, qui sont d’application immédiate (préc.). En l’occurrence, raisonnant par analogie, la Cour de cassation considère que le juge devra faire application des dispositions relatives aux aménagements des peines supérieures à six mois et inférieures ou égales à un an (n° 20-83.507).
En somme, la chambre criminelle semble avoir ici posé le point final aux derniers questionnements qui résultaient de l’entrée en vigueur de la loi du 23 mars 2019, à tout le moins en matière d’application des peines. Si l’on ne peut douter que la doctrine aura beaucoup à dire au sujet de ces décisions (v. deuxième colloque de la revue AJ pénal, Actualité du droit pénal et de la procédure pénale, 4 juin 2021), il paraît indéniable de constater que ces décisions s’inscrivent dans une volonté protectrice des personnes condamnées, que les faits pour lesquels elles sont poursuivies aient été commis avant ou après le 24 mars 2020.
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