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MSF alerte sur l’accès aux soins des mineurs isolés

Avec un campement en plein Paris, mais aussi une plainte déposée contre un conseil départemental, l’ONG veut attirer l’attention sur les faiblesses de la prise en charge des jeunes exilés.

par Antoine Blochle 9 juillet 2020

Depuis une semaine, ils occupent des dizaines de tentes, alignées dans un square du XIe arrondissement de Paris. Les travailleurs sociaux les appellent couramment mineurs isolés étrangers (MIE), l’autorité judiciaire les qualifiant plus volontiers de mineurs non-accompagnés (MNA). Quelle que soit leur situation administrative exacte, on raisonne donc essentiellement à leur sujet autour de l’absence de titulaire de l’autorité parentale. Ce qui renvoie entre autres à la Convention internationale sur les droits de l’enfant (CIDE), laquelle prévoit que « tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial […] a droit à une protection et une aide spéciales de l’État » (une formulation reprise à peu de chose près dans le code de l’action sociale et des familles). Les adolescents du XIe sont suivis, entre autres associations, par Médecins sans frontières (MSF). L’organisation a monté une mission sur le territoire français (c’est rarissime) pour leur venir en aide. Elle se défend d’être ce faisant dans une démarche « pro-migrants », mais insiste sur le fait que leur situation parfois inextricable compromet gravement leur accès aux soins. C’est dans cet esprit qu’elle a transmis il y a quelques jours au procureur de Bobigny une plainte visant le conseil départemental de Seine-Saint-Denis (et « toute autre personne »), à propos d’un cas qu’elle considère comme emblématique, et qui l’est effectivement à plusieurs titres.

Précisons d’abord que, sur le plan judiciaire, ces mineurs relèvent naturellement des juridictions pour enfants ; mais qu’administrativement parlant, leur (éventuelle) prise en charge est de la compétence des départements. Et que les deux s’entremêlent dans les procédures. Le cheminement le plus classique est le suivant : destinataire d’une information préoccupante, un président de conseil départemental confie provisoirement, en urgence, le mineur à l’aide sociale à l’enfance (ASE), et demande une évaluation (de sa minorité et de son isolement), qui fait souvent intervenir la préfecture. Si cette évaluation est favorable au jeune demandeur, le président saisit le procureur, qui peut prendre une ordonnance de placement provisoire (ou « OPP parquet »), et saisit à son tour le juge des enfants, lequel confie en principe (par une nouvelle « OPP ») le mineur au conseil départemental de son choix. Au contraire, si l’évaluation conclut à la majorité (ou au non-isolement), c’est au demandeur de saisir directement le juge des enfants, quitte à contester parallèlement l’évaluation devant le tribunal administratif (par le biais d’un référé-suspension ou d’un recours en excès de pouvoir). On notera qu’une reconnaissance de minorité peut permettre aux jeunes entrés ainsi dans le circuit de solliciter ensuite un contrat jeune majeur, et pourquoi pas un jour une régularisation, par exemple sous la forme d’un titre de séjour étudiant. Mais on s’éloigne du cœur du sujet.

Venons-en au cas de X., né à la toute fin 2002 en Côte d’Ivoire, arrivé sur le territoire français en mars 2018 au terme d’un périple comme souvent semé d’embûches, et qui s’est par la suite découvert contaminé par le VIH. Entre autres tracasseries, le protocole de soins était naturellement susceptible d’être compromis par l’absence de représentant légal. Il a donc saisi le juge des enfants de Nanterre, qui l’a provisoirement placé sous la protection de l’ASE des Hauts-de-Seine, tout en demandant en parallèle un (extrêmement controversé) « examen osseux ». Lorsque cette « expertise » a conclu à sa majorité, X. était en train de procéder à une demande de passeport auprès des autorités consulaires ivoiriennes en France. Le juge a ordonné la mainlevée de la mesure de placement provisoire, mais X. a demandé et obtenu la suspension de l’exécution provisoire, avant de perdre finalement son recours devant la cour d’appel de Versailles. Hébergé par MSF durant le confinement, il a d’une part contracté le covid, et d’autre part sévèrement décompensé, ce dont attestent plusieurs membres du corps médical. Admis dans un hôpital de Seine-Saint-Denis, il a sollicité la réouverture de son dossier à Nanterre, qui a refusé. Bien embêté par sa situation, l’hôpital a alors fait remonter une information préoccupante au conseil départemental de Seine-Saint-Denis. Qui ne s’est pas senti concerné, dans la mesure où X. avait originellement été pris en charge et évalué dans un autre département, puis « reconnu majeur » par la justice, en dernier ressort. Alors même que son passeport, obtenu dans l’intervalle, dit le contraire.

Ce sont donc l’épuisement des voies de recours classiques et la spécificité de sa situation médicale qui motivent la plainte, visant trois qualifications. Tout d’abord, le délaissement d’une personne hors d’état de se protéger (C. pén., art. 223-3) : l’association soutient entre autres que la combinaison des décisions administratives et judiciaires permet la réunion d’un acte positif d’abandon et d’une intention. Ensuite, la mise en danger de la vie d’autrui (C. pén., art. 223-1), qui serait constituée par « la violation manifestement délibérée des obligations de sécurité et de prudence applicables aux mineurs non-accompagnés, [l’exposant] directement à un risque immédiat de mort ou de blessures d’une extrême gravité ». Enfin, la non-assistance à personne en péril (C. pén., art. 223-6) : sur ce point, l’organisation argue notamment que l’absence de suivi de X. a « placé ce dernier, du fait de son état physique et de son instabilité psychique, en situation de péril imminent ».

Le conseil départemental de Seine-Saint-Denis, qui comme on l’a vu s’estime étranger au dossier, s’étonne « que MSF ait choisi de porter plainte contre l’un des départements les plus engagés sur ce sujet », et déplore « le choix facile de pointer du doigt celles et ceux qui agissent au quotidien, en oubliant de s’en prendre aux véritables responsables de la situation ». L’association ne dit d’ailleurs pas autre chose : « C’est tombé sur ce conseil départemental, parce qu’il y avait particulièrement urgence dans ce dossier. Mais on cherche surtout à engager un rapport de force pour que la problématique remonte aux vrais interlocuteurs que sont les préfectures, le ministère de l’Intérieur… On n’est pas non plus dans la logique de déposer, par exemple, une plainte par département, mais s’il faut en passer par là dans d’autres dossiers, on le fera sans hésiter ». Plus largement, l’association plaide pour qu’outre la notion d’intérêt supérieur de l’enfant (qui est une exigence constitutionnelle), soit clairement formulée et consacrée une présomption de minorité : l’expression n’apparaît noir sur blanc que très ponctuellement, notamment dans une note de l’autorité régionale de santé (ARS) d’Île-de-France, qui fait justement partie des pièces jointes à la plainte. Elle appelle également de ses vœux la création d’un consortium des départements dans ce domaine, afin notamment d’harmoniser les pratiques locales, et de pouvoir organiser « une vraie prise en charge médicale de ces mineurs, adaptée à leur situation ». En attendant, à propos des jeunes du campement, une rencontre est désormais prévue entre les associations, la mairie de Paris et la préfecture de région.