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« Mur des cons » : l’ancienne présidente du syndicat de la magistrature comparaît pour injure publique

Cinq ans après, le trombinoscope affiché dans les locaux du Syndicat de la magistrature (SM) vaut à Françoise Martres de comparaître devant le tribunal correctionnel de Paris à compter du 4 décembre.

par Thomas Coustetle 5 décembre 2018

« Avant d’ajouter un con, vérifiez qu’il n’y est pas déjà », était-il précisé à côté des photos épinglées sur un panneau d’affichage situé dans le local du syndicat : des politiques essentiellement, mais aussi des magistrats, journalistes, intellectuels et Mireille Mathieu… Les images filmées en caméra cachée par Clément Weill-Raynal, un journaliste de France 3, le 5 avril 2013, avaient été diffusées le 24 avril sur le site d’Atlantico.

Douze plaintes initiales

Après la diffusion des images, douze plaintes pour injure publique avaient été déposées contre la magistrate. Neuf proviennent d’élus ou ex-élus Les Républicains (LR), comme Christian Jacob ou Valérie Debord. Les trois autres du Rassemblement national (RN), du maire de Béziers, Robert Ménard, et du général Philippe Schmitt, qui avait critiqué âprement le « laxisme » de certains juges après l’assassinat de sa fille.

Robert Ménard a fait le déplacement mardi, comme le général Philippe Schmitt ou Wallerand de Saint-Just, trésorier du RN. Les autres sont représentés par leurs avocats respectifs. Neuf au total. Mes Basile Ader et Jean-Yves Le Borgne représentent les élus LR. Me Gilles-William Goldnadel défend Robert Ménard. 

Trois autres personnalités affichées sur le « mur » se sont greffées à l’instance. Nadine Morano (LR), Philippe de Villiers et Dieudonné. Si les deux premiers étaient absents, Dieudonné s’est invité en bermuda et gilet jaune. Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France) avait quant à lui écrit au tribunal, avant de se désister.

Longuement entendue à la barre, la magistrate s’est défendue de tout geste politique. Françoise Martres, aujourd’hui vice-présidente adjointe du tribunal de grande instance de Bordeaux, a revendiqué, au nom de son syndicat, une « opinion forte, celle de la gauche judiciaire, mais une opinion jamais injurieuse ». Elle a décrit un trombinoscope « fait à une ancienne époque, sous l’ère Sarkozy, où les magistrats étaient attaqués de toutes parts », en assurant qu’il n’avait pas été actualisé depuis sa nomination à la tête du syndicat en décembre 2012.

Un « mur » qui n’avait pas vocation à être rendu public

L’ancienne présidente du SM, la seule à porter la responsabilité de cet affichage, a indiqué que ce panneau servait d’« exutoire ». Il était alimenté depuis plusieurs années par les membres du syndicat, « au gré des exaspérations », et elle a assuré n’avoir « pas vu qui affichait quoi, quand et pourquoi ».

Elle concède quand même des regrets : « Le SM est conscient de l’émoi suscité par sa diffusion, du tort causé à la magistrature. La manipulation est grossière, certains en tirant profit pour critiquer toute décision judiciaire. Nous avons décidé d’assumer collectivement cet affichage, sans chercher à savoir qui a fait quoi ».

Le tribunal a souhaité revenir, à plusieurs reprises, sur la genèse de ce mur. 

— J’ai cru comprendre, au travers des dépositions, que l’affichage faisait suite à une prise de position sur un sujet intéressant le fonctionnement de la justice ou les libertés publiques, détaille la présidente.

La comparante acquiesce. 

— Si vous n’êtes pas capable de répondre ni comment ni pourquoi ces photos ont été apposées, comment pouvez-vous dire avec certitude que chacune des photos a été posée en réaction à tel ou tel propos particulier ?, reprend la présidente.

— De là où je suis, je ne peux pas vous répondre précisément. Je ne connais pas la moitié des gens qui figuraient sur ce panneau… Je ne les connaissais pas. Pour certains, comme Nadine Morano, c’est une évidence… mais je ne pourrai pas vous donner une explication pour chaque partie civile. 

L’impartialité des juges en question

L’affaire va au-delà du simple débat technique. En toile de fond, c’est la neutralité de la magistrature qui est débattue. « L’obligation de réserve qui sied à chaque magistrat ne s’étend-elle pas en dehors des fonctions exercées ? », interroge avec énergie l’un des deux assesseurs en fin de journée.

La réponse se fait invariable. La magistrate campe sur une position médiane. « Le juge est impartial dans l’exercice de ses fonctions. Cette affaire s’inscrit dans un cadre privé. Le juge peut avoir une opinion, comme tout citoyen. » 

Le procès se tient jusqu’à vendredi. L’audition des témoins, comme celle de Katia Dubreuil, actuelle présidente du SM, est prévue demain. Celle de Georges Fenech suivra mercredi.