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Nadia M…, 37 ans, « était très virulente et ressentait une haine féroce contre les mécréants »

Nadia M… était jugée, vendredi 7 septembre, pour avoir incité des jeunes filles à partir faire le djihad et apporter son soutien logistique à l’une d’entre elles. La 16e chambre correctionnelle l’a condamnée à sept ans d’emprisonnement. 

par Julien Mucchiellile 10 septembre 2018

Sur Twitter, Myriam B… était : « La terroriste ». L’adolescence est exaltée mais imprudente. Accompagnée de Myriam D…, la jeune fille de 17 ans, le 20 septembre 2014, est arrêtée à l’aéroport de Marignane (Marseille). Niqab et shampoing dans la valise, elles s’apprêtaient à rejoindre, via la Turquie, la zone irako-syrienne. Au Shâm, il n’y a pas de shampoing.

Les autorités n’avaient pas pris la mesure de la détermination de Myriam B…. S’ils avaient su qu’elle s’était mariée à Mickaël Dos Santos, Alias Abou Uthman, cinq jours auparavant, ils l’auraient surveillée de plus près, car Abou Uthman est un combattant de Daech qui piétine des têtes décapitées dans des vidéos de propagande. Myriam B… l’a finalement rejoint. Elle est toujours là-bas.

La 16e chambre correctionnelle du tribunal de Paris la jugeait en son absence, vendredi 7 septembre, pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Après que son cas fut rapidement évoqué (elle sera condamnée à la peine maximale, dix ans), le tribunal s’est tourné vers l’unique prévenue en chair et en os, une femme de 37 ans à l’allure fébrile, cachée derrière une épaisse chevelure noire et de grandes lunettes. Elle s’appelle Nadia M… et il lui est reproché d’avoir incité une ribambelle d’adolescentes à épouser la cause du djihad, à faire leur hijra vers les territoires contrôlés par l’État islamique. Elle aurait surtout apporté un soutien logistique à Myriam B…, qu’elle aurait hébergée la nuit du 29 au 30 novembre 2014, qui a précédé son départ.

Myriam B…, que son père a décrit comme radicalisé depuis l’âge de 14 ans, avait pris contact peu de temps auparavant avec Nadia M…, car elle appréciait les « rappels » théologiques que cette dernière diffusait sur Twitter. Premier contact téléphonique le 25 octobre 2014, puis elles se rencontrent à Marseille, où vit Nadia M…, qui pense après coup : « Le soir, elle a raté son train et elle est restée dormir chez moi. Elle a joué un jeu avec moi ». Elle dit avoir ignoré les velléités de Myriam B… Si les juges pensent au contraire que tout a été préparé, que Nadia M… a convaincu l’adolescente, l’a préparée, l’a instruite sur la démarche à suivre pour faire rejoindre les rangs de l’État islamique, c’est qu’ils ont recueilli de nombreux témoignages de jeunes filles qui ont connu Nadia M….

« Elle était malade de la tête »

Myriam D…, arrêtée avant en avril 2016 au même moment que Nadia M…, a expliqué qu’elle l’avait incitée à faire sa hijra au levant. « Faux, répond la prévenue. C’est elle qui a abordé le sujet, sa copine était partie, et elle en parlait sans cesse. Elle a voulu se couvrir auprès des policiers, je peux le comprendre. » Une autre jeune fille : « Quand elle s’emporte, elle [Nadia M…] va trop loin, elle dit n’importe quoi ». De conteuse érudite qui instruit la jeunesse sur le saint Coran, elle vire propagandiste exaltée qui exhorte au djihad. Fadela D…, également rencontrée sur Twitter, dit d’elle : « Nadia, c’est confessions intimes. Elle parle beaucoup d’elle et de religion, de manière extrême. Elle était très virulente et ressentait une haine féroce contre les mécréants. Elle était malade de la tête, elle incitait tout le monde à partir au Sham ». La présidente lève le nez de son procès-verbal : « Qu’est-ce que vous en pensez ? – C’est elle qui a tenté de partir au Yémen !  » Fadila essaierait, selon elle, de se dédouaner en chargeant Nadia. « C’était une bonne amie ? – Pas du tout, je ne l’avais vue qu’une fois, avant qu’elle me propose de me marier avec Valentin B… » Ce n’est pas qu’elle éprouvait l’insurmontable besoin d’être en couple, car elle est une femme solitaire, mais Fadila l’a convaincue, et Valentin B… lui a été présenté en jeune homme pieu et lettré – tout ce que Nadia aime. Ça ne s’est finalement pas très bien passé. Valentin a été récemment condamné à sept ans d’emprisonnement, pour association de malfaiteurs terroriste.

Qu’importe les dires rapportés, qui forment un faisceau d’indices accablant : ce ne sont, pour Nadia M…, que des ragots, fruit de haines recuites qu’elle ne s’explique pas. C’est pareil en prison, où elle croupit depuis vingt-neuf mois. En janvier 2017, quand le tribunal d’Évry l’a jugée pour des menaces de mort contre ses codétenues, elle avait été décrite en matrone prosélyte, hystérique et ultra-violente, qui terrorisait le quartier de la nurserie de Fleury-Mérogis – car Nadia M… a accouché en prison d’un enfant conçu avec Valentin B…. À l’évocation de cette affaire, Nadia M… peine à contenir le bouillonnement qui l’habite. « Tiffany F…, qui m’a balancée, c’est une toxico, elle fabule ! Comment voulez-vous croire une personne comme celle-là ? – Je note, répond la présidente, que vous avez une tendance, au lieu de vous défendre, à parler des autres. Ça vous arrive de vous remettre en question ? – Tous les soirs », répond-elle, nerveuse et par réflexe. Elle ajoute : « Les détenues, là-bas, elles me traquaient, je ne sais pas pourquoi, paraît que j’ai du charisme.  » Dans son rapport de détention, le psychiatre qui la suit écrit : « Cette femme a la conviction inébranlable de se trouver au centre d’un complot. Elle a pu développer une psychose carcérale. Elle est habitée d’un fort sentiment d’injustice ».

Abandonnée en Algérie

Comment a-t-elle été ainsi façonnée ? Nadia M… naît en 1981, troisième d’une fratrie de quatre. Ses parents se séparent en 1986. Elle est très tôt responsabilisée par sa mère, car c’est une enfant mature et intelligente, douée pour les études. Par tempérament, elle s’épanouit dans les livres, puis dans le Livre, qu’elle étudie avec frénésie dès son plus jeune âge. Son enfance est meurtrie par les coups qu’elle reçoit du nouveau compagnon de sa mère, un être selon elle pétri de vices. Elle s’en est plainte auprès de sa mère, qui l’a grondée pour cela. À l’issue de vacances au village algérien de sa grand-mère, sa mère rentre sans elle, mais avec son passeport. Piégée, abandonnée, elle reste huit mois dans un village reculé de l’Oued. « J’ai appris que mon père, un homme que je ne connaissais pour ainsi dire pas, avait engagé un avocat pour me retrouver. » Elle rentre et pardonne, reprends les cours (avec brio), arrive au bac économique et social, mais abandonne finalement, car elle doit travailler pour aider sa famille. En 2013, elle fait un cauchemar qui agit comme un oracle sur elle : elle s’investit totalement dans la religion. Elle apprend tout et se fait remarquer sur les réseaux par la sagesse de ses « rappels » coraniques, par le biais desquels sa réputation s’étend, jusqu’à ces adolescentes en quête de spiritualité, sur lesquelles Nadia M… aurait exercé un magistère moral. C’est comme cela qu’elle aurait tout simplement envoyé ces jeunes filles dans les griffes de Daech.

Alors, Nadia M… a beau avoir eu une vie difficile, la procureure la considère comme une entraîneuse du djihad et requiert contre elle cinq ans de prison, dont un an de sursis avec une mise à l’épreuve de trois ans. L’avocat de Nadia M… rappelle que ces éléments ne sont que des témoignages et n’ont aucune valeur de preuve à ses yeux. Si elle a pu inciter des jeunes à faire leur hijra, dit-il, elle n’a jamais évoqué la Syrie. Nadia est malade, dit-il. Psychiquement peut-être, mais surtout physiquement. Violée à 19 ans, séropositive de ce fait, elle a ensuite eu un cancer du col de l’utérus. Alors oui, Nadia M… a peut-être eu un discours de propagande avec des jeunes filles (bien qu’elle le nie avec véhémence), un discours qui pourrait, aux yeux des magistrats, en faire une terroriste, mais elle a eu une vie difficile. Après trente minutes de délibéré, le tribunal a condamné Nadia M… à sept ans d’emprisonnement, assortis d’une peine de sûreté des deux tiers.