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Article
Nationalité française par filiation : revirement de jurisprudence
Nationalité française par filiation : revirement de jurisprudence
Dans deux affaires jugées le 13 juin 2019, la première chambre civile opère un revirement de jurisprudence concernant le régime de l’article 30-3 du code civil.
par François Mélinle 27 juin 2019
Dans ces affaires, une personne née en Inde avait saisi le juge français en vue de se voir reconnaître la nationalité française, en se prévalant du fait que son père, né dans un établissement français de l’Inde, avait la nationalité française. Rappelons en effet que l’article 18 du code civil dispose qu’« est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français ».
Au-delà des circonstances procédurales différentes, qui importent peu, de chacune de ces espèces, la demande fut rejetée par la cour d’appel, au regard des dispositions de l’article 30-3 du même code, selon lesquelles, « lorsqu’un individu réside ou a résidé habituellement à l’étranger, où les ascendants dont il tient par filiation la nationalité sont demeurés fixés pendant plus d’un demi-siècle, cet individu ne sera pas admis à faire la preuve qu’il a, par filiation, la nationalité française si lui-même et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre n’ont pas eu la possession d’état de Français ». Cet article ajoute que « le tribunal devra dans ce cas constater la perte de la nationalité française dans les termes de l’article 23-6 », qui énonce que la perte de la nationalité française peut être constatée par jugement lorsque l’intéressé, Français d’origine par filiation, n’en a point la possession d’état et n’a jamais eu sa résidence habituelle en France, si les ascendants, dont il tenait la nationalité française, n’ont eux-mêmes ni possession d’état de Français ni résidence en France depuis un demi-siècle.
Ce mécanisme de l’article 30-3 vise donc les Français qui ont obtenu la nationalité en raison de leur filiation mais qui ne sont pas nés en France et qui, en définitive, n’ont pas un lien particulier avec elle. Il s’agit d’un cas de perte de la nationalité par désuétude, selon l’expression d’auteurs éminents (P. de Vareilles-Sommières, P. Bourel et Y. Loussouarn, Droit international privé, 10e éd., Dalloz, 2013, n° 1100). Il a vocation à concerner, comme dans ces deux affaires, les enfants de personnes qui vivaient jadis dans des territoires français, devenus par la suite indépendants ou qui ont été rattachés à un autre État, mais qui n’ont pas eu, depuis, un lien effectif avec la France.
Dans chaque affaire, le pourvoi soutenait que l’article 30-3 reposait sur le mécanisme de la fin de non-recevoir et que les juges du fond auraient dû, avant d’opposer celle-ci au demandeur, vérifier si une régularisation était intervenue, en se plaçant à la date à laquelle ils avaient statué et en considérant la situation depuis le jugement prononcé quelques années plus tôt qui avait reconnu la nationalité française du père.
En ce qui concerne la qualification, cette approche était conforme à ce qu’enseigne la doctrine spécialisée, qui voit dans ce mécanisme une fin de non-recevoir (P. Lagarde, La nationalité française, 4e éd., Dalloz, 2011, n° 72.53 ; F. Jault-Seseke, S. Corneloup et S. Barbou des Places, Droit de la nationalité et des étrangers, PUF, 2015, n° 232). Rappelons, à ce sujet, que l’article 122 du code de procédure civile définit la fin de non-recevoir comme tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tels le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. Rappelons également que l’article 126 du même code prévoit la possibilité d’une régularisation : « dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue ».
Surtout, cette approche s’appuyait sur une solution consacrée par un arrêt de la première chambre civile du 28 février 2018 ayant énoncé qu’il résulte de l’article 30-3 du code civil et de l’article 126 du code de procédure civile que le juge doit apprécier les conditions d’application de la fin de non-recevoir au moment où il statue, de sorte qu’il appartient au juge d’apprécier si l’ascendant ayant la nationalité française avait une possession d’état de Français depuis le jugement l’ayant reconnu français (Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 17-14.239, D. 2019. 347, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; Rev. crit. DIP 2018. 801, note E. Ralser ).
Le pourvoi est pourtant, dans chacune des deux affaires, rejeté par la Cour de cassation, qui opère un revirement de jurisprudence, expliqué avec pédagogie dans des termes identiques dans les deux arrêts : l’article 30-3 « interdit, dès lors que les conditions qu’il pose sont réunies, de rapporter la preuve de la transmission de la nationalité française par filiation, en rendant irréfragable la présomption de perte de celle-ci par désuétude ; qu’édictant une règle de preuve, l’obstacle qu’il met à l’administration de celle-ci ne constitue pas une fin de non-recevoir au sens de l’article 122 du code de procédure civile, de sorte qu’aucune régularisation sur le fondement de l’article 126 du même code ne peut intervenir ; […] la solution retenue par l’arrêt du 28 février 2018 […] doit, donc, être abandonnée ».
Il est vrai que l’analyse de l’article 122 du code de procédure civile conduit à écarter la qualification de fin de non-recevoir à propos de l’article 30-3 puisque la question du droit d’agir, qui est au cœur de la notion de fin de non-recevoir (v. par ex., C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, 34e éd., Dalloz, 2018, n° 374), n’est pas en jeu en ce domaine. L’article 30-3 se place sur le terrain du droit de la preuve, en retenant que l’individu concerné ne sera pas admis à faire la preuve de la nationalité française si lui et son ascendant n’ont pas eu la possession d’état de Français et si les autres conditions que cet article vise sont remplies. Or, dès lors que l’on se place sur ce terrain, la possibilité d’une régularisation envisagée par l’article 126 du code de procédure civile est hors de propos. Par conséquent, la perte de la nationalité doit être constatée par le tribunal dès lors que les circonstances sont celles visées par l’article 30-3.
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