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Les nombreuses inconnues de la censure du gouvernement Barnier

Pour la première fois depuis 1962, un gouvernement a été censuré hier soir, par une majorité de 331 voix, bien supérieure aux 288 nécessaires. Michel Barnier a dû présenter sa démission au Président de la République. Le gouvernement ne peut gérer que les affaires courantes. Avec une question cruciale : comment adopter le budget 2025 ?

par Pierre Januel, journalistele 5 décembre 2024

Le gouvernement Barnier avait engagé sa responsabilité sur le texte de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Ce PLFSS, tout comme le projet de loi de finance (PLF) qui est à l’étude au Sénat, n’est, pour autant, pas définitivement balayé. La Constitution ne prévoit pas une telle conséquence, et les précédents historiques montrent qu’une démission gouvernementale, même après une censure, n’enterre pas les projets de loi en discussion. La navette sur les textes budgétaires pourrait donc reprendre, mais à la condition qu’un gouvernement de plein exercice le décide.

Pour cela, Emmanuel Macron devrait rapidement nommer un nouveau Premier ministre, voire reconduire Michel Barnier à son poste. Charge à lui de survivre à une nouvelle motion de censure, qui serait alors rapidement déposée. Il faudrait donc trouver un accord politique avec une partie de l’opposition. Mais depuis juillet, les trois blocs (NFP, socle commun, RN) ont été réticents à toute entente, craignant de remettre en cause des alliances qui conditionnent leur survie politique en cas de nouvelles élections. Sur le budget, le gouvernement a d’ailleurs fait peu de compromis avec les oppositions, préférant faire des concessions à certaines de ses composantes ou aux sénateurs. Mais en politique, les situations peuvent évoluer rapidement.

Un gouvernement de plein exercice peut reprendre les débats sur le PLFSS et le PLF, mais il peut aussi présenter de nouveaux textes, même si les délais sont contraints. Il pourrait aussi présenter un projet de loi ne portant que sur les recettes, comme l’autorise l’article 45 de la LOLF. Le gouvernement peut aussi porter un projet de loi spéciale l’autorisant à continuer à percevoir les impôts existants jusqu’au vote d’une véritable loi de finances. Le budget 1980 ne fut ainsi adopté que le 18 janvier 1980.

L’article 47 C permet enfin au gouvernement de mettre en vigueur les dispositions du projet par ordonnance si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de 70 jours. Les implications de cet alinéa sont incertaines, mais la plupart des praticiens interrogés considèrent que l’absence d’adoption, ou de rejet définitif, permettrait à un gouvernement de plein exercice de mettre en œuvre le projet initial par ordonnance. Pour les services de l’Assemblée, ce délai de 70 jours serait atteint le 21 décembre à minuit. Cette hypothèse de passage en force, susciterait vraisemblablement une réaction des oppositions.

Un gouvernement démissionnaire aux compétences incertaines

La situation serait plus critique avec un gouvernement de gestion des affaires courantes. Ses prérogatives législatives sont à la fois limitées et incertaines. Il n’y a pas de précédent sous la Ve République, d’activité législative dans une telle période. Ceci en particulier, à cause de l’impossibilité de censurer un gouvernement démissionnaire, alors que notre Constitution lui octroie d’importantes compétences dans la procédure législative. Comme l’indiquait une note du SGG révélée cet été par Politico, « la question de la possibilité juridique d’une activité législative sous l’empire de la Constitution de 1958 est donc inédite et d’une résolution délicate ». Les parlementaires et l’exécutif vont donc avancer dans le flou.

La conférence des présidents de l’Assemblée a établi dès mardi, qu’en cas de censure, l’activité législative serait suspendue. Les travaux en commission peuvent toutefois être maintenus. Même chose au Sénat, où les travaux sur la partie dépense du budget ont été immédiatement ajournés. Selon la note du SGG, le recours à la loi resterait possible dans des cas de nécessité : mesures financières impératives, ou, en cas de crise, pour prolonger une déclaration d’état d’urgence. Le flou des notions de nécessité et d’urgence, font que si la situation perdurait trop, ces conditions pourraient être desserrées.

Comme avoir un budget sans gouvernement ?

A priori, un gouvernement démissionnaire ne pourrait présenter qu’un projet de loi spécial, demandant au Parlement l’autorisation de percevoir les impôts. Il ouvrirait par décret les crédits se rapportant aux services votés. Ce texte spécial a remplacé les 1/12e provisoires qui prévalaient sous la IIIe et IVe, quand les lois de finances étaient régulièrement votées après le 1er janvier.

Nos confrères de L’Opinion ont indiqué que le secrétariat général du gouvernement avait planché sur une telle loi, qui outre la perception des recettes 2024, prévoirait de sécuriser les dettes de l’État et de la Sécurité sociale, ainsi que la contribution de la France au budget de l’Union européenne. La situation resterait toutefois insatisfaisante : le PLF 2025 prévoyait la perception de nouveaux impôts et adaptait les recettes et les barèmes en conséquence. L’absence de visibilité gèlerait la plupart des investissements prévus par l’État.

Mais si ce projet spécial était rejeté par le Parlement ? Dans sa décision n° 79-111 DC, le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs considéré qu’en « l’absence de dispositions constitutionnelles ou organiques directement applicables », il appartenait « de toute évidence, au Parlement et au Gouvernement, dans la sphère de leurs compétences respectives, de prendre toutes les mesures d’ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale ». Le gouvernement pourrait donc forcer la perception des impôts.

Certains universitaires ont enfin soulevé la possibilité d’une utilisation, par le président de la République, des pleins pouvoirs de l’article 16 de la Constitution pour mettre en œuvre un budget. Cette « hypothèse dictatoriale » est très contestable, les conditions ne semblant pas réunies : l’article 16 n’a pas été pensé pour répondre à une simple crise gouvernementale. Par ailleurs, l’impopularité d’Emmanuel Macron rendrait la situation explosive, alors que ses opposants, et une partie de sa majorité, ont les yeux rivés sur la prochaine élection présidentielle.