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Les prénoms et nom de l’enfant sans vie peuvent désormais être apposés sur le livret de famille, à la demande d’un ou des parents, par l’officier de l’état civil qui a établi l’acte.
par Jean-René Binet, Professeur de droit privé à l'université de Rennes 1le 17 mars 2022
Le 6 décembre 2021 était promulguée la loi issue de la proposition de loi de Mme Anne-Catherine Loisier, sénatrice, visant à nommer les enfants nés sans vie (L. n° 2021-1576, 6 déc. 2021, JO 7 déc.). L’unique article de cette loi ajoute à l’article 79-1 du code civil la possibilité de nommer l’enfant sans vie : « peuvent également y figurer, à la demande des père et mère, le ou les prénoms de l’enfant ainsi qu’un nom qui peut être soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux. Cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique ». Outre diverses dispositions d’application de la loi relative à la bioéthique, le décret du 1er mars 2022 tire certaines conséquences de cette loi et en précise le champ d’application.
Depuis la loi du 8 juillet 1993, l’article 79-2 du code civil donne la possibilité aux parents d’un enfant mort avant d’avoir vécu de demander à l’officier de l’état civil d’établir un « acte d’enfant sans vie ». Un décret du 20 août 2008 et une circulaire du 19 juin 2009 ont précisé que, pour qu’il puisse y procéder, il lui faut disposer d’un certificat médical attestant que l’accouchement spontané ou provoqué pour raison médicale est intervenu à partir de la treizième semaine de grossesse. Même si la personnalité juridique ne lui est pas reconnue, faute d’être né vivant et viable, l’enfant sans vie peut alors être inscrit dans le livret de famille. Ce faisant, la délivrance de cet acte permet, symboliquement, un accueil de ce petit être dans sa famille. Il s’agit alors de prendre en compte la douleur de la famille en lui permettant de faire son deuil. Cet accueil n’est cependant pas parfait. En effet, la circulaire du 19 juin 2009 précise que, « si les parents en expriment le désir », « un ou des prénoms peuvent être donnés à l’enfant sans vie ». Elle indique toutefois qu’« aucun nom de famille ne peut lui être conféré et aucun lien de filiation ne peut être établi à son égard » car, dit-elle, « la filiation et le nom de famille constituent des attributs de la personnalité juridique ».
C’est donc l’une de ces lacunes que la loi a comblée en permettant que l’enfant sans vie dispose, en plus de son prénom, de ce nom qui est le signe le plus visible de l’appartenance à une famille.
Le décret du 1er mars 2022 en tire alors les conséquences en apportant plusieurs modifications au décret du 15 mai 1974 relatif au livret de famille. La plus importante est celle qui concerne l’article 9 qui dispose désormais que « l’indication d’enfant sans vie, le cas échéant ses prénoms et nom, ainsi que la date et le lieu de l’accouchement peuvent être apposés sur le livret de famille, à la demande d’un ou des parents, par l’officier de l’état civil qui a établi l’acte ». Est par ailleurs modifié l’article 4 prévoyant la délivrance du livret de famille aux parents qui en sont dépourvus, au moment de la remise de l’acte d’enfant sans vie. Le texte dispose désormais que ce livret « comporte un extrait d’acte de naissance du ou des parents ainsi que l’indication d’enfant sans vie, le cas échéant ses prénoms et nom, la date et le lieu de l’accouchement ». Aux termes de l’article 5 du décret du 1er mars, ces dispositions s’appliquent, quelle que soit la date de l’acte d’enfant sans vie. Très concrètement, cela signifie que les dispositions permettant de nommer l’enfant sans vie ne s’appliqueront pas uniquement aux enfants nés postérieurement à la promulgation de la loi du 6 décembre 2021 ou du décret du 1er mars 2022, mais à tout enfant né sans vie. Ce large champ d’application des nouvelles dispositions doit être salué.
Il conviendra désormais d’aller plus loin en consacrant également le lien de filiation entre cet enfant et ceux que l’article 79-1 désigne d’ores et déjà comme « ses père et mère ». D’un point de vue rationnel, on peut en effet s’interroger sur la pertinence de la désignation des parents de l’enfant quand la filiation à son égard est écartée. Les notions sont en effet réciproques : s’il y a un père et une mère, c’est qu’il y a un fils ou une fille ; le lien existant entre les premiers et le second est le lien de filiation qu’il faut donc reconnaître. Ensuite, d’un point de vue technique, il est tout à fait envisageable de procéder à l’établissement du lien de filiation de l’enfant sans vie sans heurter les principes du droit de la filiation. C’est à cette solution qu’invite la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, dont l’influence sur le droit de la famille n’est plus à démontrer (v. not. J.-R. Binet et A. Gouëzel, La CEDH et le droit de la famille, IFJD, 2021). Elle a en effet décidé, dans un arrêt Znamenskaya contre Russie du 2 juin 2005, que le refus d’admettre l’existence d’un lien de filiation entre un parent et un enfant mort-né constituait une violation du droit au respect de la vie privée et familiale (CEDH 2 juin 2005, Znamenskaya c. Russie, n° 77785/01, AJDA 2006. 466, chron. J.-F. Flauss ; RTD civ. 2005. 737, obs. J.-P. Marguénaud ; JCP 2005. I. 159, n° 14, obs. F. Sudre).
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