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Nordahl Lelandais « l’impulsif », sa vie intime et le bruit médiatique

La cour d’assises de Savoie, du 3 au 12 mai, juge Nordahl Lelandais pour le meurtre d’Arthur Noyer, commis dans la nuit du 11 au 12 avril 2017. Dans ce dossier très médiatisé du fait de l’implication de l’accusé dans le meurtre de Maëlys de Araujo, toujours à l’instruction, la cour a d’abord examiné la personnalité de l’accusé.

par Julien Mucchiellile 5 mai 2021

Lorsque le président de la cour d’assises lui demande « quelles sont les qualités de monsieur Nordahl Lelandais ? », Vanessa S…, qui fut sa compagne de décembre 2013 à juillet 2014, est embarrassée. « Honnêtement, c’est difficile d’en trouver avec tout ce qu’il s’est passé. » Peu de temps après, Me Alain Jakubowicz, avocat de la défense, rebondit : « Il y a une telle avalanche d’informations, vraies ou fausses, dans les médias ! » L’accusé, également mis en examen pour le meurtre de Maëlys de Araujo, est englouti depuis trois ans et demi sous les superlatifs criminels, registre tueur en série, champ lexical de l’horreur. Le retour à la nuance n’est pas aisé.

Né le 18 février 1983 en région parisienne, Nordahl Lelandais a un frère, une demi-sœur et deux parents aimants. Sa mère dit de lui qu’il était doux et aimant, qu’ils étaient une famille « normale ». « Il lui a manqué de faire des activités avec son père », ajoute-t-elle. Le père, aujourd’hui décédé, était un « homme qui aimait faire les choses seules », taiseux dans la vie, apathique au foyer. Mme Lelandais pense que, dans le fond, leur rapport était « conflictuel, sans cris, mais plat et pâle ». Chez les Lelandais, c’est la mère qui régente tout (« C’est vous qui portez la culotte », dit le président), et qui s’occupe du foyer, maman « poule » sans compromis. Et pourtant le jeune Nordahl semble idéaliser le père, jusqu’à le doter de super compétences imaginaires (médecin, polyglotte) auprès de ses amis, pour combler des failles narcissiques ou baratiner ses conquêtes. A-t-il l’impression d’avoir eu une vie familiale complexe ? « Je ne trouve pas, en tout cas, je ne m’en suis pas rendu compte », répond-il au président.

Les deux frères Lelandais ont un caractère opposé. « Il ne se confie pas à moi, c’est une pierre », dit l’aîné, sur procès-verbal. « Nordahl, il n’est pas très bavard », dit sa mère, l’air sévère. « On n’avait pas besoin de se parler pour se comprendre », rapporte sa sœur aînée, qui évoque leur complicité passée en montrant à la cour une moue rieuse, et elle semble la seule à ressentir de la joie au souvenir de son frère, l’accusé.

Désormais adulte et passionné de chiens, Nordahl Lelandais s’engage dans l’armée. Le 3 avril 2001, il rejoint le 132e bataillon cynophile de l’armée de terre à Suippes, dans la marne. Le 1er novembre 2003, il est nommé caporal et obtient le certificat technique d’aide-dresseur le 19 décembre 2003. Il connaît quelques problèmes de disciplines qui lui sont notifiés, sans que cela soit un obstacle à la continuation de son activité. Au cours de l’année 2004, il reçoit une fléchette de sarbacane dans l’œil, et décide de quitter l’armée le 26 janvier 2005. Des comportements détestables lui sont attribués par des témoins, mais le seul à la barre, ancien chef de section, s’il déplore un manque d’investissement de sa part, n’a pas eu affaire à un homme ingérable.

La suite de sa vie professionnelle est erratique. Il vogue de contrats précaires en arrêts de travail (il était cariste au moment des faits). Il est unanimement décrit comme rétif à la besogne : « j’ai jamais été un grand fan de travail », concède-t-il – le président aime user de l’expression « tire-au-flanc ». Mais Nordahl Lelandais sait s’occuper autrement. Les chiens, les motos, la boxe thaïe, les discothèques, le cannabis, la cocaïne jalonnent son parcours et façonnent sa personnalité. C’est davantage à travers ses ex-compagnes, « plans-cul » et « relations amoureuses », que l’accusé prend forme. En 2012, Chloé avait 17 ans et, en conflit avec ses parents, s’est encanaillée dans les bras de Lelandais, 29 ans. Ils avaient des relations sexuelles dans la voiture de l’accusé, non loin du domicile de la jeune femme. « J’étais une adolescente relativement fragile, lui était plus âgé et physiquement plutôt bien, ça flatte un peu l’ego. » Elle ajoute : « Il ne m’a jamais fait de mal, ni physiquement ni agression verbale. »

« Je devenais un vagabond à l’époque »

Vanessa S… est sa première relation sérieuse. Ils se retrouvaient dans leur passion des chiens, deux pour Nordahl, un pour elle, et ont eu une vie sexuelle débridée. « Il avait un besoin énorme de relations sexuelles, il était vexé quand on le lui refusait », témoigne-t-elle. Elle dit de lui qu’il pouvait se montrer « méchant au moment où il avait des frustrations », elle a pu le vérifier lorsqu’elle a voulu le quitter : « je vais te faire bouffer le carrelage ! » lui a-t-il hurlé. La jeune femme avait pris conscience du problème : « Les disputes n’étaient pas normales, c’étaient des disputes violentes, c’est là que je me suis dit “ma pauvre fille, faut que tu partes” ».

Le portrait se noircit davantage lorsque Céline K…, 41 ans, est appelée à la barre. « Nous avons eu une relation d’un an et sept mois, la plus longue qu’il ait eue. C’est aussi mon agresseur, après notre rupture il m’a traquée et harcelée. » Lelandais, dans son box, fait non de la tête. Elle l’accable sans s’arrêter, décrit un climat de terreur et de violence. « Vous noircissez le tableau, ou tout cela est arrivé réellement ? » s’enquiert le président. Mais Céline K… brandit plusieurs plaintes pour menaces et violences, et aussi l’une pour avoir diffusé sur internet leurs ébats sexuels. Toutes classées sans suite, lui apprend l’avocate générale en direct.

Avant leur rupture, « dans la vie de tous les jours, c’était quelqu’un de très froid, il ne parlait pas. Mais c’était aussi quelqu’un qui se mettait en colère pour tout », dit-elle. À l’époque de leur rupture, en décembre 2016, l’enquête a mis au jour que l’accusé entretenait au moins deux liaisons extraconjugales. Céline K… l’ignorait, mais ne semble pas étonnée. « C’était un menteur pathologique, des mensonges grotesques. Quand je l’ai connu, il était champion de France de boxe thaïe ». Quand elle l’a quitté, Nordahl Lelandais était à un demi-gramme de cocaïne par jour. « Mes journées c’était mettre de l’essence dans la voiture, manger, la cocaïne. C’était n’importe quoi. Je devenais un vagabond à l’époque », raconte-t-il. Il décrit la période comme un conflit permanent entre lui, Céline K… et Anouchka A…, sa nouvelle compagne. « Je me dis j’envoie tout valdinguer, je fais ma vie, égoïste. »

Nordahl Lelandais perd pied dans la cocaïne, l’alcool et le sexe. Il connaît plusieurs expériences homosexuelles, notamment avec Richard, 30 ans aujourd’hui, contraint à la barre de raconter les aventures sexuelles avec Nordahl au lac d’Aiguebelette. Il confirme avoir mis en place des scénarios : Nordahl, vêtu d’un treillis, le met dans le coffre de sa voiture et l’emmène. Richard porte une combinaison en latex ; les menottes et la laisse sont de la partie. Ce sont les pratiques sexuelles qui intéressent la cour. L’accusé a qualifié ces expériences homosexuelles de simple curiosité, se disant résolument hétérosexuel. Dans sa version des faits, les pénétrations digitales sont de son fait, et non subies. Richard expose au contraire, dans le détail et dans le contexte, des pénétrations digitales et des fellations réciproques. Quant à la sodomie (« des pénétrations euh, pas avec des objets, pas avec des doigts », dit le président), Richard ne pratiquait pas. Et Nordahl Lelandais ? « Il était demandeur, mais je ne l’ai jamais sodomisé. »

« C’est une situation qui peut faire douter objectivement de son impartialité »

Ces détails salaces ne sont pas du voyeurisme gratuit, car la thèse de l’accusation repose en partie dessus. Après que Nordahl Lelandais, dans la nuit du 11 au 12 avril 2017, a pris en stop un Arthur Noyer ivre mort, il se pourrait qu’il ait tenté de profiter de lui, et face au refus du caporal, pris de rage, lui ait fracassé la tête avec une pierre. Pour réfuter cela et coller à sa thèse d’une bagarre malheureuse, une mort accidentelle, l’accusé doit se débarrasser de tout motif de frustration qui, au vu de sa personnalité, constituerait un mobile. À l’inverse, le témoignage de Richard, s’il est exact, accrédite la potentialité du scénario de l’accusation.

La dernière fois que Richard a vu Nordahl Lelandais, c’était fin mars 2017. Le 11 avril au matin, puis au long de la journée, Lelandais sollicite Richard pour une soirée, qui ne répond pas. « Si vous aviez donné suite, Dieu seul sait ce qui serait advenu », pense à haute voix le président. Richard paraît ébranlé, son visage se brouille, il s’excuse. Me Bernard Boulloud, avocat des parties civiles, le console et salue le courage d’un témoignage sincère et important.

Les psychiatres viendront lundi prochain fignoler le portrait de l’accusé, mais pas tous car, à l’ouverture des débats, Alain Jakubowicz a demandé – et obtenu – la nullité d’un rapport d’expertise et la citation à comparaître des experts. Paul Bensussan, expert psychiatre, est intervenu dans une émission d’actualité intitulée « Nordahl Lelandais : les aveux d’un tueur en série ? », le 30 mars 2018. Il brossait un portrait théorique de l’accusé en tueur en série, dans un décor de spéculations et de surenchères. Le 15 octobre 2020, il est désigné pour procéder à une nouvelle expertise de l’accusé, et n’a pas cru utile d’aviser le juge de son intervention médiatique passée. « C’est une situation qui peut faire douter objectivement de son impartialité », plaide Me Jakubowicz. Mais il n’est pas dupe : « On vous demande quelque chose d’impossible, dit-il aux jurés, c’est de faire abstraction de tout cela. Mon arme, la seule face aux émissions de télé qui matraquent l’idée du tueur en série, c’est ça : le code de procédure pénale. »

Posé contre le banc des parties civiles, un immense portrait d’Arthur Noyer contemple le prétoire d’un regard malicieux.