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Notification des conclusions en appel, le vertigineux arrêt de la Cour de cassation

La remise des conclusions par l’appelant en main propre à l’avocat de l’intimé contre récépissé, faite en lieu et place de la notification par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, qui établit non seulement la remise mais aussi sa date certaine, constitue une irrégularité de forme qui n’est susceptible d’être sanctionnée que par la nullité de forme sur démonstration d’un grief.

À la différence du vertige stendhalien, certains vertiges juridiques naissent parfois de la contemplation d’une situation toute simple. Représenté par un défenseur syndical, un salarié relève appel d’un jugement du conseil de prud’hommes devant la Cour d’appel de Metz. La société intimée soulève la caducité de la déclaration d’appel dès lors que le défenseur syndical a remis en main propre, contre récépissé, ses conclusions et pièces à l’avocat de l’intimé et non selon les formes imposées par l’article 930-3 du code de procédure civile. Sur déféré, la cour d’appel confirme l’ordonnance entreprise. Afin de faire échec à cette caducité et arguer que l’irrégularité de la remise relevait de la nullité de forme sur démonstration d’un grief, le pourvoi du salarié avançait la violation des articles 930-3 et 114 du code de procédure civile. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation retient le moyen, non seulement au visa de ces deux textes, mais encore de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :

« 7. Selon le premier de ces textes, les notifications entre un avocat et un défenseur syndical sont effectuées par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par voie de signification.
8. Selon le deuxième, aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public. La nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public.
9. Il résulte du troisième, selon la Cour européenne des droits de l’homme, que le droit d’accès aux tribunaux n’étant pas absolu, il peut donner lieu à des limitations implicitement admises car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, laquelle peut varier dans le temps et dans l’espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus. En élaborant pareille réglementation, les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation. Néanmoins, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6, § 1, de la Convention que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (not., CEDH 19 févr. 1998, Edificaciones March Gallego S.A. c/ Espagne, § 34, Recueil 1998).

10. Pour prononcer la caducité de l’appel, après avoir rappelé les termes des articles 908, 911, alinéa 1er et 930-3 du code de procédure civile, l’arrêt énonce que l’article 667 du même code, relatif à la notification des actes en la forme ordinaire, ne s’applique pas en l’espèce, les échanges entre un avocat et un défenseur syndical étant réglementés par l’article 930-3 précité, que le défenseur syndical a déposé, en main propre contre récépissé le 13 décembre 2019, ses conclusions et ses pièces directement auprès de l’avocat de l’intimée, et que celles-ci n’ont fait l’objet d’aucune notification par lettre recommandée avec accusé de réception ou par voie de signification avant la date du 19 décembre 2019, marquant l’expiration du délai de trois mois prévu à l’article 908 du code de procédure civile.
11. En statuant ainsi, alors que la remise des conclusions par l’appelant en main propre à l’avocat de l’intimé contre récépissé, faite en lieu et place de la notification par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, qui établit non seulement la remise mais aussi sa date certaine, constitue une irrégularité de forme qui n’est susceptible d’être sanctionnée, le cas échéant, que par le prononcé d’une nullité de forme sur la démonstration d’un grief, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Le défenseur syndical n’est pas un avocat comme les autres

La situation impose les prolégomènes. Comme si les choses n’étaient pas déjà assez compliquées en procédure d’appel, le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 a introduit, pour toutes déclarations d’appel formées à compter du 1er août 2016 contre les décisions du conseil de prud’hommes, une représentation obligatoire par avocats mais aussi par défenseurs syndicaux (C. trav., art. R. 1461-1 et R. 1461-2). En même temps que s’imposait le passage d’une procédure orale à une procédure écrite dans laquelle sévissait les innombrables pièges et subtilités nés des décrets Magendie, voire de l’interprétation des textes par la Cour de cassation, cette dualité dans la représentation des parties a induit des difficultés supplémentaires, mais encore des risques accrus, à la fois causes et conséquences d’une absence de postulation et de communication électronique partagée entre avocat et défenseur syndical. Mais après tout, si l’on dira avec un brin de provocation que ce défenseur-là n’est pas un défenseur comme les autres, défenseur syndical ou avocat, spécialiste de la procédure ou novice, l’on n’est jamais obligé d’accepter une mission. Encore moins en l’absence de rémunération.

Et si l’on discutera, à l’envi, de la clairvoyance d’un législateur qui a souhaité faire cohabiter deux défenseurs en appel en donnant à celui, qui n’est pas un professionnel du droit selon l’expression même de la Cour de cassation (s’il est formé, il n’est ni rémunéré, ni assuré) la possibilité de représenter un justiciable dans la procédure d’appel avec représentation obligatoire (celle-là même qui enregistre, toutes matières confondues, le plus important taux de sinistres chez les avocats), on ne polémiquera pas sur la dérogation qui lui a été offerte dans la notification de ses conclusions. Car s’il doit respecter l’ensemble des obligations procédurales en appel et éviter, tout comme l’avocat, de trébucher en chemin, le défenseur syndical, qui ne connaît pas de limites juridiques, connaît une limite technique, celle de l’accès à la communication électronique.

Le défenseur syndical n’a pas accès au réseau privé virtuel des avocats (RPVA), réservé donc aux avocats (les mauvaises langues ajouteront : quelle chance !), de sorte que l’article 930-3 prévoit que « Les notifications entre un avocat et un défenseur syndical sont effectuées par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par voie de signification ». À défaut de détenir une clé e-barreau, source...

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