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Notion de « modification matérielle des facteurs locaux de commercialité »

Ne constitue pas une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité, au sens de l’article L. 145-38 du code de commerce, la modification en faveur d’entreprises concurrentes, intervenue entre la date de la fixation du loyer et celle de la demande de révision, de conventions auxquelles le bailleur et le locataire sont tiers.

par Maxime Ghiglinole 23 novembre 2018

Selon l’article L. 145-33 du code de commerce, le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative du bien. À défaut d’accord entre les parties, ce texte précise que la valeur locative est déterminée au regard des caractéristiques du local considéré, de la destination des lieux, des obligations respectives des parties, des facteurs locaux de commercialité et des prix couramment pratiqués dans le voisinage. Toutefois, par dérogation aux dispositions de l’article L. 145-33 du code de commerce, le législateur a prévu que la majoration ou la diminution de loyer consécutive à une révision triennale plafonnée ne peut excéder la variation de l’indice légal applicable. En conséquence, en présence d’une clause d’indexation et à défaut de modification suffisante des facteurs locaux de commercialité, le loyer en vigueur n’est que le résultat de l’application de cette clause (v. Civ. 3e, 20 mai 2015, n° 13-27.367, Dalloz actualité, 26 mai 2015, obs. Y. Rouquet , note F. Planckeel ; AJDI 2015. 767 , obs. J.-P. Blatter ).

Les dernières modifications législatives et les récentes évolutions jurisprudentielles ne plaident pas en faveur de l’admission d’un loyer révisé conforme à la valeur locative. La loi MURCEF du 11 décembre 2001 est notamment venue mettre un coup d’arrêt à la jurisprudence Privilège aux termes de laquelle la valeur locative devait prévaloir sur le loyer initial contractuellement fixé (Civ. 3e, 24 janv. 1996, n° 93-20.842, D. 1996. 46 ; AJDI 1998. 715 ; ibid. 694, étude J.-P. Blatter ; RDI 1996. 295, obs. J. Derruppé  ; JCP E 1996. II. 821, note F. Auque). Aujourd’hui, cette valeur locative n’a plus qu’un intérêt résiduel si ce n’est lors de modification des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné une variation de plus de 10 % de sa valeur. En somme, qu’il s’agisse d’une majoration ou d’une diminution du loyer, la révision du loyer ne pourra excéder la variation de l’indice retenu qu’à raison de la démonstration d’une modification matérielle suffisante des facteurs locaux de commercialité. Cette notion est donc centrale au sein du dispositif de révision.

Les facteurs locaux de commercialité sont définis à l’article R. 145-6 du code de commerce. Selon ce texte, ils « dépendent principalement de l’intérêt que présente, pour le commerce considéré, l’importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l’attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l’emplacement pour l’activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d’une manière durable ou provisoire ». Or cet article ne définit pas strictement ces facteurs. Il ne contient pas de liste limitative des facteurs susceptibles d’avoir une influence sur la commercialité des lieux loués. L’emploi de l’adverbe « principalement » est à cet égard révélateur. Il laisse entendre que d’autres éléments peuvent être pris en considération. En pratique, quel que soit l’élément invoqué, les juges s’efforcent de constater l’existence objective de la modification des facteurs de commercialité au regard de l’intérêt que ces facteurs présentent pour le commerce considéré. En ce sens, l’« intérêt » est envisagé dans sa conception la plus neutre. Il s’agit simplement de l’existence matérielle d’une influence économique réelle sur le fonds exploité. Dès lors, la modification des conditions d’exploitation des commerces concurrents situés dans le même secteur peut-elle s’analyser en une modification des facteurs locaux de commercialité ? L’analyse de la présente décision conduit à répondre par la négative.

En l’espèce, chaque acquéreur d’un lot de copropriété d’une résidence de tourisme a consenti, au titre d’un programme de défiscalisation, un bail commercial à une société exploitante. Au cours du bail, d’autres résidences similaires du secteur ont renégocié les loyers qu’elles versaient aux propriétaires investisseurs. Ce faisant, ces résidences étaient en mesure de proposer des tarifs plus concurrentiels que la société exploitante. Invoquant une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité, cette société a saisi le juge des loyers commerciaux en fixation de la valeur locative de la totalité de la résidence. Les juges du fond ont rejeté sa demande. La société a formé un pourvoi.

Au sein de ce pourvoi, elle invoque deux moyens. Le premier reproche aux magistrats de ne pas avoir motivé leur décision et de s’être bornés à reproduire les conclusions des bailleurs. Le second s’intéresse davantage aux modalités de révision du loyer commercial. La société exploitante désapprouve la solution retenue par l’arrêt d’appel en ce qu’elle affirme que le loyer commercial demeurerait fixé au regard du loyer initial augmenté de l’indexation prévue au contrat, la société ne rapportant pas la preuve d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné une variation de plus de 10 % de la valeur locative.

La Cour de cassation rejette chacun de ces moyens. Elle affirme tout d’abord que la cour d’appel a valablement motivé sa décision en y ajoutant des appréciations qui lui étaient propres. Elle précise ensuite que « ne constitue pas une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité, au sens de l’article L. 145-38 du code de commerce, la modification en faveur d’entreprises concurrentes, intervenues entre la date de la fixation du loyer et celle de la demande de révision, de conventions auxquelles le bailleur et le locataire sont tiers ». La commercialité ne doit pas s’apprécier au regard du fait que d’autres résidences similaires du secteur ont renégocié les loyers versés aux propriétaires investisseurs. Cette renégociation est une décision de gestion propre à ces résidences. Pour la Cour de cassation, cet élément ne permet pas, à lui seul, d’apprécier la commercialité de la résidence concernée. Le preneur aurait dû apporter la preuve d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité.

Sur la charge de la preuve, la solution est acquise. La Cour de cassation a récemment précisé que la réalité de la modification matérielle des facteurs locaux de commercialité doit être rapportée par celui qui l’invoque (Civ. 3e, 21 déc. 2017, n° 16-24.817, Loyers et copr. 2018, n° 66, obs. C.-É. Brault).

Sur la réalité de la modification matérielle des facteurs locaux de commercialité, la question se porte tout particulièrement sur leur matérialité. En effet, la matérialité de l’influence est déterminante. Ce caractère implique une transformation concrète des facteurs locaux de commercialité et non une simple évolution naturelle de l’un des éléments de la commercialité. Suivant ce critère, les juges du fond avaient pu affirmer que la baisse des valeurs locatives ne peut caractériser à elle seule une évolution matérielle des facteurs locaux de commercialité (TGI Paris, 18 juin 1998, n° 7946-1996, AJDI 1999. 226, obs. J.-P. Blatter ). Plus récemment, une cour d’appel a jugé que l’implantation de nouvelles enseignes dans un secteur fortement marchand constitue une évolution et non une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité (Aix-en-Provence, 13 déc. 2016, n° 15/16267, Gaz. Pal. 14 mars 2017. 66, obs. C.-É. Brault ; Loyers et copr. 2017, n° 67, obs. P.-H. B.). Cette analyse est opportune à plus d’un titre. Elle suit, d’une part, la lettre de l’article L. 145-38 du code du commerce qui ne fait aucune référence aux « prix couramment pratiqués dans le voisinage ». Elle permet, d’autre part, de singulariser la modification matérielle des facteurs locaux de commercialité de l’évolution locale des loyers. Comme le rappelle la lecture de l’article L. 145-33 du code de commerce, chacun de ces éléments est indépendant. D’ailleurs, serait-il judicieux, sous couvert du maintien de la concurrentialité, de permettre une révision d’un loyer commercial fondée uniquement sur l’observation de prix pratiqués aux alentours ? Faire abstraction de la réalité matérielle des facteurs de commercialité des locaux loués ne pourrait conduire qu’à nier les spécificités du local considéré.