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Le nouveau dispositif d’aide juridictionnelle cuvée 2021 : avancée réelle ou réforme en trompe-l’œil ?

Respectivement publiés au Journal officiel des 29 et 30 décembre 2020, le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et relatif à l’aide juridictionnelle et à l’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles et la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 entreprennent de réformer l’aide juridictionnelle. Tour d’horizon.

par Patrick Lingibéle 18 janvier 2021

Le dispositif d’aide juridictionnelle est une sorte d’arlésienne dont on parle régulièrement sans apporter de solutions de fond, dont la principale a trait à son financement, l’État acceptant de financer celui-ci que dans certaines limites. En réalité, l’aide juridictionnelle pose avant tout un problème sociétal de fond : quelle place l’État entend accorder au droit et à son accès effectif par les justiciables dans ses priorités de dépenses au sein de la société ? Le gouvernement qu’il soit de gauche ou de droite est préoccupé depuis longtemps par le coût et la rationalisation des choix des dépenses à faire, la justice n’étant pas une priorité première parmi les nombreuses à satisfaire. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : de plus de 382.000 en 1992, le nombre d’admissions au bénéfice de l’AJ est passé à 985 110 en 2017 ; les dépenses budgétaires liées à l’AJ sont passées de 317 millions d’euros en 2013 à 484 millions en 2020. Cependant, pour l’année 2016, le budget français réservé pour l’aide juridictionnelle est de 5,06 € par habitant et se situe au-dessous de la moyenne européenne de 6,5 € et de loin derrière plusieurs États européens, tels par exemple la Suède ou les, Pays-Bas (Rapp. du Conseil de l’Europe Commission européenne pour l’efficacité de la justice [CEPEJ] en 2018 pour l’année 2016). Plusieurs rapports ont été établis sur le sujet dont les deux derniers sont à l’origine du nouveau dispositif d’AJ (Rapp. d’information sur l’aide juridictionnelle du 23 juill. 2019 des députés Philippe Gosselin et Naima Moutchou ; Rapp. de la mission relative à l’avenir de la profession d’avocat de juill. 2020 présidé par Dominique Perben). Le budget prévisionnel destiné à financer l’aide juridictionnelle pour 2021 a été fixé à 534 millions d’euros.

La réforme du dispositif de l’aide juridictionnelle est intervenue en deux temps.

D’abord par une réforme législative déclinée dans l’article 243 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 et dans l’article 234 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.

Ensuite, par un nouveau cadre réglementaire posé par le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et relatif à l’aide juridictionnelle et à l’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles, qui avec ses 191 articles abroge plusieurs textes dont le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi  de 1991 relative à l’aide juridique. Le présent article se limitera à mettre en exergue les principales dispositions nouvelles relatives à l’aide juridictionnelle.

Préalablement, il convient de rappeler que l’aide juridictionnelle recouvre deux notions différentes au niveau des dépenses : d’une part, l’aide juridictionnelle stricto sensu qui ne concerne que l’intervention des avocats et d’autres auxiliaires de justice devant des juridictions et d’autre part, l’aide aux interventions non juridictionnelles pour des missions réalisées par des avocats uniquement (les aides aux interventions non juridictionnelles des avocats regroupent trois types de mission : l’aide à l’intervention au cours de la garde à vue, d’une audition libre, d’une retenue douanière ou d’une retenue d’une personne étrangère pour vérification de son droit de séjour ou de circulation ; l’aide à l’intervention de l’avocat lors de procédures en présence du procureur de la République notamment pour les procédures de médiation et de composition pénale ; l’aide à l’intervention de l’avocat en assistance d’un détenu).

Les nouvelles règles d’éligibilité à l’aide juridictionnelle : place au revenu fiscal de référence et prise en compte du patrimoine

L’article 243 de la loi du 28 décembre 2019 précitée modifie l’article 4 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991. L’examen des demandes d’aide juridictionnelle se fait désormais sur la base d’un critère nouveau : le revenu fiscal de référence (RFR). C’est un montant qui est calculé par les services des impôts qui prennent en compte tous les revenus de l’année de différente nature et sur lesquels ils appliquent un abattement de 10 % ainsi que des charges précises. À défaut de revenu fiscal de référence, l’éligibilité à l’aide juridictionnelle s’appréciera au regard des ressources imposables sur une durée de prise en compte fixée à six mois.

Par ailleurs, la prise en compte du patrimoine est une innovation majeure mise en place par l’article 243 précité.

L’article 5 du décret de décembre 2020 rend inéligible à l’aide juridictionnelle et à l’aide à l’intervention de l’avocat lorsque le demandeur dispose, au jour de la demande, d’un patrimoine immobilier, mobilier ou financier dont la valeur est supérieure au plafond d’admission à l’aide juridictionnelle totale. Attention, ce critère n’est pas alternatif à celui du RFR mais est un élément d’appréciation de l’éligibilité des personnes physiques à l’aide juridictionnelle qui tiennent compte de trois critères d’appréciation cumulatif. En conséquence, la valeur du patrimoine du demandeur peut donc disqualifier la demande d’aide juridictionnelle, cela quel que soit le RFR du demandeur. S’agissant du patrimoine mobilier ou financier du demandeur, celle-ci recouvre essentiellement son épargne. Si son montant dépasse le plafond annuel d’éligibilité à l’AJ totale, l’AJ ne pourra pas lui être accordée (pour 2020, le plafond à l’aide juridictionnelle totale est fixé à 11 262 € pour une personne seule, soit 938,50 € par mois. Le plafond à l’aide juridictionnelle partielle est fixé à 16 890 € pour une personne seule, soit 1 407,50 € par mois). Pour le patrimoine immobilier du demandeur, le III du nouvel article 4 résultant de l’article 243 précité prévoit que les biens qui ne pourraient être vendus ou donnés en gage sans entraîner un trouble grave pour les intéressés ne sont pas pris en compte dans le calcul du montant des ressources auquel s’appliquent les plafonds d’éligibilité. En conséquence, la résidence principale ainsi que les locaux professionnels ne sont pas pris en compte pour apprécier l’éligibilité à l’aide juridictionnelle. Si le montant du patrimoine immobilier du demandeur est supérieur à deux fois le plafond d’admission dû à l’aide juridictionnelle partielle et à l’aide à l’intervention de l’avocat (pour 2020, ce plafond d’appréciation immobilier serait de 33 780 € pour une personne seule).

Le nouveau barème d’indemnisation de l’avocat : une augmentation mesurée sans bouleversement

L’article 234 de la loi du 29 décembre 2020 modifie à la hausse la rétribution des avocats au titre de l’AJ à un double niveau. En premier lieu, l’unité de valeur passe de 32 € à 34 €, loin de la proposition de revalorisation de 40 € formulée par la mission Perben. En deuxième lieu, certaines procédures ont été revalorisées suite aux travaux et propositions formulés par la commission d’accès au droit du Conseil national des barreaux (la commission d’accès au droit du CNB comporte des représentants du CNB, de la Conférence des bâtonniers et du barreau de Paris) qui demandait une revalorisation du barème pénal et la création de missions manquantes. Ainsi, il convient de noter que la médiation judiciaire passe de 4 UV à 14 UV. De même, l’assistance d’un prévenu devant la chambre des appels correctionnels ou d’un mis en examen passe de 8 UV à 13 UV. Enfin, le V de l’article 243 de la loi du 28 décembre 2019 modifie le délai laissé à l’avocat pour recouvrer la somme allouée sur le fondement de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 modifiée qui passe ainsi d’un an à quatre ans.

La nouvelle garantie de rétribution de l’avocat face aux aléas liés au demandeur

L’article 234 de la loi du 29 décembre 2020 a créé un nouvel article 19-1 dans la loi du 10 juillet 1991 qui institue une garantie de paiement des rétributions de l’avocat face aux aléas du comportement du demandeur à l’aide juridictionnelle. En effet, par exception aux règles d’attribution de l’aide juridictionnelle ou de l’aide à l’intervention de l’avocat, « (…) l’avocat commis ou désigné d’office a droit à une rétribution, y compris si la personne assistée ne remplit pas les conditions pour bénéficier de l’aide juridictionnelle ou de l’aide à l’intervention de l’avocat, s’il intervient dans les procédures (…), en première instance ou appel ». Dans ce cas, l’avocat désigné percevra l’indemnité correspondant à la mission effectuée, nonobstant le fait que le demandeur ne transmet pas les pièces nécessaires au dépôt du dossier de demande d’AJ. Les procédures concernées recouvrent huit missions (notamment la comparution immédiate et le déferrement devant le juge d’instruction). C’est une sécurisation que l’on doit à la commission d’accès au droit du Conseil national des barreaux. L’avocat n’est plus responsable du comportement du justiciable en l’espèce et s’il apparaissait par la suite que celui-ci dispose de revenus supérieurs au plafond de l’AJ, c’est directement l’État qui recouvrera la rétribution qui sera versée à l’avocat.

L’outre-mer : une modification visant le regroupement de textes éparses sans pour autant régler les problèmes de fond de la justice ultramarine

Le décret du 28 décembre 2020 procède à travers son titre III à un regroupement de toutes les dispositions en matière d’aide juridictionnelle et d’aide à l’intervention de l’avocat applicables l’outre-mer pluriel. Il s’agit d’un regroupement simplement technique. La réforme ne règle pas les problèmes de fond qui se posent dans les territoires d’outre-mer où le taux de pauvreté est trois à huit fois supérieur à celui de l’hexagone (Commission nationale consultative des droits de l’homme [CNCDH], Avis du 26 sept. 2017 relatif à la pauvreté et à l’exclusion sociale dans les départements d’outre-mer [notamment Antilles et Réunion]. - Observatoire des inégalités, rapport 2020-2021) avec des distances importantes. Ainsi, les frais de déplacement des avocats ne sont pas pris en compte, à l’exception des avocats du barreau de Papeete (Polynésie française) en application de l’article 38 du décret n° 96-887 du 10 octobre 1996 (Décr. n° 96-887 du 10 oct. 1996 portant règlement type relatif aux règles de gestion financière et comptable des fonds versés par l’État aux caisses des règlements pécuniaires des avocats pour les missions d’aide juridictionnelle et pour l’aide à l’intervention de l’avocat prévue par les dispositions de la troisième partie de la loi du 10 juill. 1991).

Cette situation conduit ainsi à ce que certains justiciables ne peuvent exercer leurs droits à cause d’une non prise en charge par l’État des frais de déplacement des avocats. À titre d’exemple, les accusés comparaissant devant la cour d’assises de Wallis-et-Futuna ne sont pas défendus par des avocats comme cela est pourtant obligatoire sur tout le territoire de la République mais par des citoyens-défenseurs, l’État n’allouant au barreau de Nouméa aucune dotation afin d’assurer les frais de déplacement et d’hébergement de ses avocats commis d’office pour se rendre à Wallis-et-Futuna. À cela s’ajoute le fait que la problématique de l’aide juridictionnelle ne peut être appréhendée sans comprendre le statut institutionnel dans lequel évolue chaque territoire ultramarin (l’outre-mer judiciaire c’est huit territoires et huit barreaux relevant de dispositions statutaires différentes. La Guyane française, la Martinique, la Guadeloupe, La Réunion et Mayotte sont des départements et régions d’outre-mer qui relèvent de l’article 73 de la Constitution avec des différences entre ces DROM. La Polynésie française, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Saint-Pierre-et-Miquelon et les îles Wallis-et-Futuna relèvent de l’article 74 de la Constitution. Quant à la Nouvelle-Calédonie, elle relève du titre XIII de la Constitution qui lui est spécialement consacré avec les art. 76 et 77). Cette problématique des frais de déplacement a été mise en exergue par la Conférence des Bâtonniers à travers des travaux et des propositions sans qu’aucune suite n’ait été apportée par État (lors de l’assemblée générale de la Conférence des bâtonniers qui s’est tenue le vendredi 22 octobre 2019 sous la présidente de Jérôme Gavaudan, président du Conseil national des barreaux depuis le 1er janvier 2021, un point a été consacré aux travaux présentés qui mettaient en exergue les problèmes de justice rencontrés en outre-mer). Il est particulièrement dommage que cette atteinte gravissime au principe d’égalité devant l’accès au droit et à la justice dans les territoires ultramarins.

La modernisation numérique du traitement des demandes d’aide juridictionnelle et l’arrivée du SIAG

La réforme de l’aide juridictionnelle a donné naissance au sigle SIAG pour Système d’Information pour l’Aide Juridictionnelle qui sera déployé au sein des bureaux d’aide juridictionnelle (BAJ) courant 2021. Ce dispositif vise plusieurs objectifs, notamment la simplification du traitement des demandes d’AJ et la dématérialisation de la totalité des échanges avec les auxiliaires de justice, les usages et les autres administrations de l’État. La version de base du SIAJ intégrera notamment la simplification de la procédure de demande et d’instruction, la récupération automatisée de données certifiées relatives à l’identité du demandeur au moyen de FranceConnect, la récupération automatisée de données fiscales mise à disposition par la DGFIP et la base nationale de données des demandes d’aide juridictionnelle.

L’application du nouveau dispositif d’aide juridictionnelle et les nécessaires mesures transitoires

Le nouveau dispositif d’aide juridictionnelle est entré en application le 1er janvier 2021. Cette situation ouvre une période au cours de laquelle vont devoir coexister deux modalités d’instruction des demandes d’aide juridictionnelle. C’est la date du fait générateur qui va fixer les règles applicables. Si le fait générateur est antérieur au 1er janvier 2021, le dossier de demande d’AJ sera apprécié selon les règles d’instruction en vigueur avant le 31 décembre 2020. Par contre, si le fait générateur est postérieur au 31 décembre 2020, le dossier de demande d’AJ sera examiné selon les modalités d’instruction en vigueur à compter du 1er janvier 2021 avec la grille de référence au revenu fiscal de référence et au foyer fiscal. Le fait générateur, critère du régime applicable, résulte soit de la date de réception du dossier de demande d’AJ déposé au BAJ (ou au SAUJ [Service d’Accueil Unique du Justiciable] issu de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle), soit de la date d’expédition de la demande formulée par voie postale et soit de la date de l’intervention de l’avocat au titre de la commission d’office. Ces dispositions transitoires disparaîtront lorsque le stock des dossiers de demande d’AJ déposées, envoyées ou correspondant à une commission d’office prononcée avant le 31 décembre 2020 sera traité entièrement.

Le nouveau dispositif d’aide juridictionnelle relève davantage d’un aménagement technique que d’une véritable réforme destinée à répondre aux problématiques de fond. Nous revenons toujours à la question budgétaire et à la place réelle de la justice au sein de la société française. Cette réforme technique est insatisfaisante car elle est en deçà des préconisations de la mission Perben qui indiquaient pourtant la nécessité de l’État de réaliser un effort budgétaire significatif qui ne saurait être inférieur a minima à 100 M€. Nous en sommes donc bien loin alors que la République doit répondre aux exigences d’égalité et de dignité au travers des besoins de justice qui se manifestent sur tout le territoire de la République, y compris sur les territoires les plus reculés et souvent oubliés.