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Le nouveau droit des marques

Une ordonnance du 13 novembre 2019 modifie considérablement le droit matériel et les règles de procédure applicables aux marques de produits ou de services pour les rendre conformes au nouveau système européen des marques.

par Nathalie Maximinle 27 novembre 2019

Espérée avant le 14 janvier 2019 (c’était la date limite pour transposer la directive européenne concernée), finalement soumise à une consultation restreinte entre février et mars puis promise par l’article 201-I de la loi PACTE du 22 mai 2019, l’ordonnance relative aux marques de produits ou de services a, enfin, été publiée au Journal officiel du 14 novembre 2019.

Datée du 13 novembre, elle inscrit dans notre droit les apports du « paquet marques » adopté par les instances européennes à la fin de l’année 2015 pour renforcer l’harmonisation et moderniser le système de la marque de l’Union européenne (v. J. Azéma, Paquet marques, RTD com. 2016. 287  ; Y. Basire et P. Darnand, L’avenir du droit des marques en Europe : réflexions sur les principaux apports du paquet marque, Légipresse 2016. 267, spéc. p. 268  ; N. Binctin, C. de Haas, M. Dhenne, J. Tassi et P. Tréfigny, La transposition du « paquet marques » : le « Printemps européen » du droit français des marques ?, D. 2019. 1000 ).

Attention, l’aventure n’est pas finie ! Elle sera complétée par un décret pris en Conseil d’État qui devrait être publié avant le 15 décembre 2019.

Plus précisément, l’ordonnance n° 2019-1169 transpose la directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques et assure la compatibilité de la législation, en particulier le code de la propriété intellectuelle, avec le règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne. À côté des adaptations sémantiques (par exemple, le « propriétaire » devient le « titulaire ») et de cohérences rédactionnelles, l’ordonnance affecte toutes les composantes du système de la marque.

Modifications procédurales

Opposition

L’ordonnance modifie la procédure d’opposition devant l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI). Principalement, elle prévoit de nouvelles hypothèses permettant d’engager cette action (CPI, art. L. 712-4) et élargit la liste des personnes pouvant agir (art. L. 712-4-1). Elle introduit une phase d’instruction avant que le directeur de l’INPI ne statue au terme d’une procédure contradictoire. Par ailleurs, une opposition fondée sur une marque antérieure enregistrée depuis plus de cinq ans sera rejetée si l’opposant ne peut justifier d’un usage sérieux de ladite marque ou de justes motifs de non-usage (art. L. 712-5-1). Enfin, des actions spécifiques sont ouvertes aux titulaires d’une marque protégée dans un pays membre de l’Union de Paris et indûment enregistré en France par son agent ou son représentant (art. L. 712-6-1).

Déchéance et nullité

Le chapitre VI du titre Ier du livre VII, relatif au contentieux est totalement restructuré pour introduire la nouvelle procédure administrative en nullité (CPI, art. L. 716-2 s.) et en déchéance (art. L. 716-3 s.) de la marque. Imposée par la directive, cette procédure doit permettre « de déjudiciariser une partie du contentieux technique et d’apurer le registre national des marques » (rapport au président de la République). Les missions confiées à l’INPI sont modifiées en conséquence (art. L. 411-1, L. 411-4 et L. 411-5).

À compter du 1er avril 2020, l’INPI sera exclusivement compétent pour connaître des demandes :

  • fondées à titre principal sur un motif absolu de refus (art. L. 711-2),
     
  • formées sur un motif relatif lié aux signes distinctifs et territoriaux (art. L. 711-3, 1° à 5°, 9° et 10°),
     
  • fondées sur tous les motifs de déchéance.

Les tribunaux de grande instance (tribunaux judiciaires à partir du 1er janv. 2020) conservent leur compétence exclusive pour les demandes :

  • en nullité, lorsqu’elles sont fondées sur une atteinte à un droit d’auteur, un droit sur les dessins et modèles ou un droit de la personnalité (art. L. 711-3, 6° à 8°),
     
  • en nullité et déchéance, lorsqu’elles sont connexes à toute autre demande relevant de leur compétence,
     
  • en nullité et déchéance, quand des mesures probatoires ou provisoires ou conservatoires ont été ordonnées pour faire cesser une atteinte à un droit de marques et que ces mesures sont en cours d’exécution avant une action au fond (art. L. 716-5).

Le directeur de l’INPI statue au terme d’une procédure contradictoire comportant une phase d’instruction. Ses décisions ont les effets d’un jugement (CPI, art. L. 716-1). Corrélativement, la déclaration de nullité ou de déchéance interviendra par décision de justice ou par décision prononcée par le directeur général de l’INPI (art. L. 714-3 et L. 714-4).

Contrefaçon

Les dispositions relatives à l’action en contrefaçon relèvent désormais des articles L. 716-4 et suivants. Parmi les nouveautés, la liste des personnes autorisées à agir est élargie. L’action peut être intentée, sans l’autorisation du titulaire de la marque, par les licenciés non exclusifs et les personnes habilitées à faire usage d’une marque collective ou de garantie. Le contrat ou le règlement d’usage peut cependant prévoir le contraire (art. L. 716-4-2). Les fins de non-recevoir sont précisées (art. L. 716-4-3 à L. 716-4-5).

Modifications du droit matériel

Définition de la marque

Le chapitre Ier du livre II du code de la propriété intellectuelle relatif aux éléments constitutifs de la marque est réécrit. L’article L. 711-1 simplifie la définition de la marque qui est « un signe servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale de ceux d’autres personnes physiques ou morales ». L’exigence d’une représentation graphique est abandonnée, le signe devant simplement « pouvoir être représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l’objet de la protection conférée à son titulaire » (CPI, art. L. 711-1, al. 2 ; v. dir. 2015/2436, consid. 13 et art. 3, b). Cet assouplissement permettra l’enregistrement de marques sonores, multimédias ou animées, par exemple.

Motifs de refus d’enregistrement ou d’annulation

Pour respecter l’organisation de la directive, l’article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle énonce les motifs absolus de refus d’une demande d’enregistrement ou de nullité de la marque et l’article L. 711-3 regroupe les motifs relatifs (dir. 2015/2436, art. 4 et 5). Ils reprennent et complètent les dispositions des anciens articles L. 711-2, L. 711-3 et L. 711-4.

Ainsi, l’article L. 711-2 sanctionne l’inaptitude d’un signe à constituer une marque (art. L. 711-2, 1°), précisent les modalités d’appréciation du caractère distinctif de la marque (art. L. 711-2, 2° à 4°) et énoncent les critères de licéité du signe déposé (art. L. 711-2, 5° à 11°). La plupart des motifs étaient déjà connus mais l’ordonnance ajoute l’utilisation d’un signe exclu en application d’une législation relative à la protection des appellations d’origine, des indications géographiques, des mentions traditionnelles pour les vins et des spécialités traditionnelles garanties, d’une variété végétale antérieure ainsi que celui pour lequel le dépôt a été effectué de mauvaise foi (CPI, art. L. 711-2, al. 9° à 11°).

L’article L. 711-3 cite les droits antérieurs auxquels la marque ne doit pas porter atteinte pour être valable. Cette liste n’est pas limitative. Les principales nouveautés tiennent à la précision apportée à la notion de marque antérieure (CPI, art. L. 711-3, II) et à l’ajout de nouvelles antériorités (art. L. 711-3, I), notamment le nom de domaine (v. déjà, en ce sens, Paris, 18 oct. 2000, D. 2001. 1379 , note G. Loiseau ; Versailles, 15 sept. 2011, n° 09/07860, D. 2011. 2589, obs. C. Manara ; Légipresse 2011. 659 et les obs. ; TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 17 janv. 2014, n° 11/03304, Dalloz IP/IT 2016. 67 ; Aix-en-Provence, 4 juill. 2019, n° 2019/270, Dalloz jurisprudence) ; le nom, l’image ou la renommée d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public de coopération intercommunale ; le nom d’une entité publique, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public. Enfin, ces dispositions empêchent expressément l’enregistrement demandé par l’agent ou le représentant du titulaire d’une marque protégée dans un État membre de la convention de Paris, en son nom propre et sans l’autorisation du titulaire (art. L. 711-3, III). Auparavant, la nullité ou le transfert de cette marque s’obtenait sur le fondement de la fraude.

Date de dépôt

Les exigences minimales permettant de bénéficier d’une date de dépôt sont renforcées. La demande doit désormais « comporter notamment la représentation de la marque, l’énumération des produits ou des services pour lesquels l’enregistrement est demandé, l’identification du demandeur et être accompagnée de la justification du paiement de la redevance de dépôt » (CPI, art. L. 712-2).

Observations

Autre nouveauté, toute personne pourra formuler des observations auprès du directeur de l’INPI, dans le délai de deux mois suivant la publication de la demande d’enregistrement, sans avoir à justifier d’un intérêt à agir. Des conditions spécifiques sont également prévues pour les observations concernant les marques de garanties ou collectives (CPI, art. L. 712-3).

Droits conférés par la marque

L’intitulé du chapitre III du livre VII, « Droits conférés par l’enregistrement » est modifié en « Droits conférés par la marque » pour inclure la marque renommée. La non-rétroactivité des droits conférés par la marque est entérinée (CPI, art. L. 713-1, al. 2).

Usage dans la vie des affaires et marque renommée

Formalisant une jurisprudence établie, l’ordonnance permet au titulaire d’interdire l’usage de sa marque dans la vie des affaires par un tiers non autorisé dans deux cas. D’une part, si le signe est identique à la marque et est utilisé pour des produits et services identiques à ceux couverts par celle-ci (double identité). D’autre part, lorsque le signe est identique ou similaire à cette marque et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés (hors double identité), s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public (CPI, art. L. 713-2). Les atteintes portées à une marque renommée sont expressément prohibées sous certaines conditions, qui, si elles sont réunies, entraînent une sanction au titre de la contrefaçon et non plus sur le fondement de la responsabilité civile (art. L. 713-3).

Marque notoire

Il est créé un régime de protection spécifique pour la marque notoirement connue, distinct de celui de la marque renommée. Cette création met la France en conformité avec ses engagements internationaux, notamment l’accord de Paris (art. 6 bis) et l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC, art. 16). L’article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle envisage les cas dans lesquels l’usage dans la vie des affaires d’une marque notoire peut être sanctionné sur le fondement de la responsabilité civile.

Marchandises en transit et acte préparatoire à la contrefaçon

L’interdiction des marchandises en transit suspectées de contrefaçon est rétablie. Les autorités douanières pourront réaliser des retenues sans que le titulaire de la marque ait à prouver que ces produits sont destinés à un État où leur commercialisation est interdite (CPI, art. L. 713-3-2). En outre, il sera possible d’interdire des actes préparatoires à la contrefaçon, tels que l’usage de conditionnement, d’étiquettes, de marquages, de dispositifs de sécurité ou d’authentification ou de tout autre support sur lequel est apposée la marque (art. L. 713-3-3).

Dégénérescence

L’ordonnance permet au titulaire d’agir contre un usage générique de sa marque dans un dictionnaire, une encyclopédie ou un ouvrage de référence similaire. Pour éviter la dégénérescence de ses droits, il peut demander à l’éditeur sans délai et au plus tard lors de l’édition suivante pour un ouvrage imprimé, s’il s’agit d’une marque enregistrée (art. L. 713-3-4).

Limites aux droits conférés par la marque

L’article L. 713-6 est réécrit pour clarifier les hypothèses dans lesquelles le titulaire ne pourra pas s’opposer à l’usage de sa marque. Il ne pourra notamment pas empêcher, « dans la vie des affaires, conformément aux usages loyaux du commerce », l’usage par une personne physique de son nom de famille ou de son adresse. C’est aussi le cas pour l’usage local d’un nom commercial, d’une enseigne ou d’un nom de domaine s’il a commencé avant l’enregistrement de la marque qui doit pouvoir perdurer dans les limites du territoire où ils sont connus. La possibilité pour le titulaire de demander une limitation ou une interdiction des usages en cas d’atteinte à ses droits est supprimée, faute d’avoir été prévue par la directive.

Transmission

Il est expressément prévu que la transmission totale de l’entreprise, y compris en application d’une obligation contractuelle, emporte la transmission des droits attachés à la marque. Une convention pourra prévoir le contraire. La transmission sera également écartée si cela ressort clairement des circonstances du transfert (CPI, art. L. 714-1).

Marques de garanties et marques collectives

Le chapitre V du titre Ier du livre VII du code de la propriété intellectuelle relatif aux marques collectives est totalement réécrit pour envisager deux régimes juridiques distincts, l’un réservé aux marques de garanties, l’autre spécifique aux marques collectives (CPI, art. L. 715-1 à L. 715-10). La marque « collective de certification », connue jusqu’alors, devient la marque « de garanties » pour ne pas prêter à confusion avec la notion de certification au sens du droit français (art. L. 715-1 à L. 715-5 ; rapport au président de la République). La marque collective se voit doter d’un régime juridique, ce qui n’était pas le cas auparavant (art. L. 715-6 à L. 715-10). Ces règles sont construites par analogie avec celles prévues par la directive pour la marque de certification européenne (dir. 2015/2436, art. 27 à 36), à l’exception de l’exigence de distinctivité concernant les signes susceptibles de désigner, dans le commerce, la provenance géographique des produits ou des services qui n’a pas été retenue (rapport au président de la République). Elles prévoient notamment des motifs de rejet, de nullité et de déchéance spécifiques. Il est également précisé que, dans les deux cas, le dépôt est accompagné d’un règlement d’usage dont le contenu sera déterminé par décret.

Entrée en vigueur et mesures transitoires

Ces dispositions entreront en vigueur en même temps que celles du décret pris pour son application, et au plus tard le 15 décembre, à l’exception de celles relatives à la procédure administrative de nullité et de déchéance en vigueur le 1er avril 2020.

Ce nouveau droit n’est pas applicable :

  • aux demandes d’enregistrement déposées avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance ;
     
  • aux demandes d’extension enregistrées par le Bureau international de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) antérieurement à cette entrée en vigueur ;
     
  • aux demandes de renouvellement des marques pour lesquelles le délai d’un an prévu pour présenter la déclaration de renouvellement aura commencé à courir avant l’entrée en vigueur du texte ;
     
  • aux oppositions formées à l’encontre d’une demande d’enregistrement déposée avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance ;
     
  • à certaines instances en nullité introduites avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance (ord. n° 2019-1169, art. 15).