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Novembre : entre fiction et reportage, plongée au cœur de la SDAT

Évoquer des institutions ou organismes de l’État qui seraient associés à la lutte contre le terrorisme incite à penser par réflexe au domaine du renseignement. Imbibés du secret et de la dissimulation, avec pour objectif de protéger la sécurité nationale, les services de renseignement restent avec opportunité dans l’ombre dans la réalité, mais s’épanouissent au contraire largement dans la lumière des écrans de cinéma ou des séries. Si la figure de la DGSI s’impose alors comme le chef de file en la matière, il faut rappeler que les notions de prévention et de répression s’appliquent à la lutte contre le terrorisme. C’est notamment l’un des avantages du film Novembre de nous plonger dans une sous-direction méconnue au sein de la police judiciaire à savoir la SDAT (la sous-direction antiterroriste) pour s’immerger directement dans l’enquête des attentats du 13 novembre et nous faire connaître leur travail.

Sécurité intérieure et cinéma

Sans certainement le savoir, la filmographie de C. Jimenez est placée sous le sceau de l’article L. 1111-1 du code de sécurité intérieure : « La sécurité est un droit fondamental et l’une des conditions de l’exercice des libertés individuelles et collectives. / L’État a le devoir d’assurer la sécurité en veillant, sur l’ensemble du territoire de la République, à la défense des institutions et des intérêts nationaux, au respect des lois, au maintien de la paix et de l’ordre publics, à la protection des personnes et des biens » et sur des questions plus globales de continuum de sécurité concernant les méthodes de collaboration entre les acteurs de la sécurité (Rapport Fauvergue, D’un continuum de sécurité vers une sécurité globale, 2018). Il veut ainsi ici souligner le travail de la police judiciaire le soir et les jours ayant suivi les attentats du 13 novembre.

S’il est évident que les juristes connaissent la notion de sécurité ou celle de terrorisme (C. pén., art. 421-1) à travers leurs définitions législatives, le cinéma ne s’en embarrasse évidemment pas et cherche plutôt à s’emparer de l’action qui gravite autour des attentats qui en résultent. Cet angle d’approche se présente en effet comme plus efficace à l’écran qu’un égrenage de dispositions juridiques. À cet égard, le cinéma, notamment américain, dispose d’une filmographie particulièrement remplie en la matière. On peut simplement citer les films évoquant les attentats du 11 novembre pour avoir une liste suffisamment fournie (P. Greengrass, Vol 93, 2006 ; O. Stone, World Trade Centre, 2006 ; K. Bigelow, Zero Dark Thirty, 2013). Mais d’autres attentats fictifs ou réels ont également fait l’objet de films (P. Berg, Traque à Boston, 2017 ; R. Scott, Mensonges d’État, 2008 ; C. Eastwood, Le Cas Richard Jewell, 2019).

Le cinéma français, quant à lui, a pu inventer des attentats (C. Jimenez, Aux yeux de tous, 2012 ; B. Bonello, Nocturama, 2015 ; M. Hers, Amanda, 2018 ; A. Guiraudie, Viens je t’emmène, 2022), tenter de scruter le fonctionnement des services de renseignement français ou étrangers (P. Haïm, Secret défense, 2008 ; E. Rochant, Les Patriotes, 2014), évoquer le terrorisme à travers des documentaires (D. Leconte, L’humour à mort, 2015) ou encore analyser les conséquences des attentats avec la mise en place du dispositif Vigipirate (G. Aloi, La Troisième Guerre, 2020). Le cinéma mondial n’est pas non plus en reste sur le sujet (A. Sissako, Timbuktu, 2012 ; N. Ayouche, Les Chevaux de Dieu, 2013 ; Z. Doueiri, L’Attentat, 2013) et la liste est encore loin de faire le tour de la filmographie en la matière.

En comparaison de tous ces films, Novembre fait dans ce cas peut-être figure d’ovni. Sans faire un cours de droit de la sécurité intérieure, il s’intéresse avec précision aux acteurs de cette sécurité, dans leur versant répressif. Il cherche ainsi à s’ancrer dans le réel des services de police à l’image de ce qu’avait pu faire, dans un tout autre domaine, Maïwenn, en suivant une brigade des mineurs (Polisse, 2012), ou de nombreux films s’intéressant à la police dont le plus récent (F. Videau, Selon la police, 2022). Les services de renseignement et notamment la DGSE sont connus quant à eux dans la fiction à travers le format sériel, grâce aux cinq saisons du Bureau des légendes (E. Rochant)

Une plongée au cœur de la SDAT

Contrairement à deux autres films sur le même sujet, déjà sorti ou dont la sortie est imminente (A. Winocour, Revoir Paris, 2022 et K. Riedhof, Vous n’aurez pas ma haine, 2022) qui se concentrent sur les victimes des attentats de Paris, le film Novembre veut se détacher de ce genre d’émotions. Il se focalise donc sur la SDAT qui est, selon le ministère de l’Intérieur, chargée de la prévention et de la répression du terrorisme national et international, y compris dans ses aspects financiers (arrêté du 19 mai 2006 relatif aux missions et à l’organisation en sous-directions de la direction centrale de la police judiciaire et portant création de services à compétence nationale). Le réalisateur va ainsi s’attacher à avoir de l’empathie pour les agents de la SDAT, pour leur mission d’intérêt général et leur sens du dévouement sans failles qu’ils déploient dans le cadre d’un événement nécessairement bouleversant comme le sont et ont pu l’être les attentats de Paris. L’arrière-plan institutionnel n’est que rappelé de manière subreptice à travers de cours extraits de discours de François Hollande, rappelant notamment la mise en œuvre de l’état d’urgence à l’époque (décr. n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955).

Le spectateur sera sans doute déboussolé de ne pas être confronté uniquement à la DGSI, mais pourra tout de même s’interroger utilement sur l’identité des services, l’agencement administratif en la matière et la coordination de tous ces bureaux. En effet, les acteurs du film évoquent souvent des acronymes évoquant différents services et qui peuvent perdre le spectateur. Le réalisateur ne se livre heureusement pas un exposé didactique sur le sujet mais donne à voir ce service particulier au sein de la police judiciaire et la machine bureaucratique et technique de la lutte contre le terrorisme. Il se détache alors d’un imaginaire collectif consistant pour ce sujet, à penser par réflexe en amont aux méthodes de renseignements et à l’intervention du RAID ou du GIGN en aval. Un maillon de la chaîne, avec les services d’enquête, manquait à la culture du spectateur et ceci est désormais réparé. Le réalisateur n’a donc pas fait le choix d’un film baigné dans la révélation de méthodes inconnues du grand public, dans la collecte d’information aux frontières de l’illégalité. Le cadre juridique est au contraire constamment rappelé, par exemple dans une scène ou l’un des agents n’emploie pas la procédure pénale adéquate ou encore quand l’un d’entre eux perd son sang-froid pendant un interrogatoire. Il s’agit bien d’un service de police judiciaire même si celui-ci a un objet très particulier.

Si ce point de départ est parfaitement passionnant, il se renferme également comme un piège sur le réalisateur qui ne peut totalement trahir la réalité des faits au vu de la sensibilité du sujet. En effet, il prend appui sur un événement particulièrement ancré dans la mémoire collective puisqu’il fait le choix de suivre la traque des terroristes dans les cinq jours qui ont suivi les terribles attentats de ce fameux vendredi 13 novembre 2015 à Paris.

Le carcan des attentats du 13 novembre 2015 comme support du film

N’avoir pas fait le choix d’événements fictifs (à l’image de son premier film, Aux yeux de tous) confine parfois le film au reportage ou au quasi documentaire. Cet état de fait n’est pas nécessairement néfaste au film. On se souviendra de Made in France (N. Boukhrief, 2015) qui n’avait pas pu sortir au cinéma au vu de sa concomitance avec les attentats du 13 novembre. Le recul est au contraire a priori considéré comme assuré pour le film Novembre, sept ans après les faits. Le réalisateur fait le choix d’un cadre scénaristique extrêmement resserré sur les agents de la SDAT. On ne verra par exemple jamais les protagonistes dans leur vie privée (quelques coups de téléphone prouvent cependant qu’ils ne voient pas leurs proches pendant ces fameux cinq jours) ce qui permet au spectateur de n’être jamais parasité et de s’immerger pleinement dans l’enquête. Finalement, le film se présente presque un huis clos avec la quasi-omniprésence à l’écran des locaux de la SDAT (qui sont partagés avec ceux de la DGSI) ou des visages de ses agents filmés au plus près dans leur recherche des auteurs de l’attentat.

Le cadre des attentats est aussi distillé de manière subtile, sans les montrer, et en divulguant rapidement quelques paroles de victimes (mais dans le cadre d’interrogatoires). Leurs visages d’ailleurs, ne sont pas filmés de front.

Mais il est certain que, malgré cet événement ultra documenté et pour lequel le nombre de documentaires, d’articles, de livres (dont E. Carrère, V13, P.O.L), de podcasts est absolument phénoménal, et dont l’issue judiciaire fut révélée il y a quelques semaines, Cédric Jimenez maintient quand même une tension constante tout au long du film. La précision de sa caméra et la nervosité de son montage en font un film aux qualités techniques indéniables. Toutefois, il laisse au spectateur un goût d’inachevé : qu’a-t-il vraiment voulu nous raconter au-delà de ce que nous savions déjà ? Qu’est-ce que la fiction apporte comme plus-value aux nombreux reportages que nous avons déjà pu voir sur le sujet ? En quoi la SDAT est-elle ce service si particulier ?

Finalement, la témoin déterminante dans le film qu’est Sonia, qui a dénoncé et permis de retrouver Abdelhamid Abaaoud, n’était-elle pas un sujet de film à elle seule ?

En définitive, si pléthore de films sont associés au terrorisme et prennent des angles plus ou moins différents pour le raconter, la majorité d’entre eux sont assimilés à des films d’action, des drames ou plus généralement des films politiques et historiques. Novembre restera comme celui s’étant associé au plus près du cadre d’une enquête.

Ce film ne soulèvera certainement pas de polémiques comme le précédent film de C. Jimenez, Bac Nord.

Novembre est d’ailleurs beaucoup qualifié par la critique cinématographique – et à raison – comme « efficace », « honnête » ou encore de « sobre ». C’est paradoxalement cette sobriété que l’on pourra lui reprocher et l’on devra sûrement attendre quelques années pour mesurer sa nécessité dans la vaste filmographie du terrorisme. Il est certain que le réalisateur n’est pas là pour se poser des questions politiques sur l’utilité de ce service ou sur la doctrine de l’ordre en la matière (D. Dufresne, Un pays qui se tient sage, 2020) et ce n’était pas ce qui était attendu du spectateur. Finalement, l’utilisation par le réalisateur des attentats de 2015 donnent l’impression d’avoir été un obstacle à la poursuite de son travail initié lors de son premier film. Il y évoquait en effet des attentats fictifs et laissait place à beaucoup plus d’imagination – notamment technique – de sa part.