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Nullité de l’assignation en procédure d’appel : vice de forme

Sans grande surprise, la Cour de cassation qualifie la nullité de l’acte d’assignation en appel de vice de forme. Ce faisant, elle impose la caractérisation d’un grief par l’intimé, indépendamment de la gravité du vice.

par Jérémy Jourdan-Marquesle 10 avril 2018

Un appel est interjeté contre un jugement d’orientation du juge de l’exécution. Conformément aux dispositions de l’article R. 322-19 du code des procédures civiles d’exécution, l’appel est instruit et jugé selon la procédure à jour fixe. En application de l’article 920 du code de procédure civile, l’appelant doit alors assigner la partie adverse pour le jour fixé, ce qui fut fait. Simplement, l’intimé a été assigné au domicile élu de son avocat de la première instance, lequel a refusé l’acte. Ayant tout de même eu connaissance de l’assignation, il s’est constitué devant la cour d’appel et a soulevé la nullité de l’acte et l’irrecevabilité de l’appel. La cour a accueilli la demande, au motif que l’intimé, dont l’adresse était connue, n’avait pas habilité son avocat à recevoir un acte de procédure, notamment l’assignation dans l’instance d’appel, de sorte que seule une signification au lieu de son établissement et sinon en la personne de l’un de ses membres pouvait être réalisée. En conséquence, la cour d’appel s’est considérée comme irrégulièrement saisie.

Un pourvoi est formé par l’appelant, lequel avance que la nullité d’un acte de procédure pour vice de forme ne peut être invoquée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause cette irrégularité. La cassation est prononcée au visa de l’article 114, alinéa 2, du code de procédure civile. En chapeau, la Cour de cassation énonce que « la nullité d’un acte de procédure pour vice de forme ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public ». L’arrêt d’appel est donc censuré pour défaut de base légale, la cour n’ayant pas recherché si le vice de forme constaté avait causé un grief à l’intimé.

Un raisonnement classique

La compréhension de l’arrêt nécessite d’en reprendre les différentes étapes. Dans le cadre d’une procédure à jour fixe, l’appelant doit assigner l’intimé à comparaître au jour fixé. Où doit avoir lieu la notification ? L’article 690 du code de procédure civile énonce que « la notification destinée à une personne morale de droit privé ou à un établissement public à caractère industriel ou commercial est faite au lieu de son établissement. À défaut d’un tel lieu, elle l’est en la personne de l’un de ses membres habilités à la recevoir ».

Une notification à domicile élu est-elle envisageable ? L’élection de domicile emporte l’attribution de certains pouvoirs à un mandataire (v. Rép. civ., Domicile, demeure et logement familial, par Y. Buffelan-Lanore, n° 110 ; v. Rép. pr. civ., Domicile, demeure et résidence, par J. Jourdan-Marques, n° 26). En procédure civile, l’action en justice avec représentation obligatoire conduit la partie à élire domicile chez son représentant. Il en va ainsi pour toutes procédures devant le tribunal de grande instance (C. pr. civ., art. 751), devant la cour d’appel (C. pr. civ., art. 899), devant la Cour de cassation (C. pr. civ., art. 973). Ces trois dispositions sont relativement similaires dans leur formulation et prévoient que « les parties sont, sauf disposition contraire, tenues de constituer avocat. La constitution de l’avocat emporte élection de domicile ». L’élection de domicile est le corollaire du mandat ad litem confié à l’avocat, permettant à ce dernier de représenter son client en justice et d’accomplir en son nom les actes de procédure (C. pr. civ., art. 411).

Toutefois, les effets de l’élection de domicile sont limités. L’article 652 du code de procédure civile énonce que, lorsqu’une partie a chargé une personne de la représenter en justice, les actes qui lui sont destinés sont notifiés à son représentant. Seulement, les significations faites au domicile élu doivent concerner l’objet même de l’acte sous peine de nullité. Il a déjà été jugé que ses effets ne peuvent pas s’étendre à une procédure d’appel, alors qu’elle a été stipulée pour la première instance (Soc. 24 mars 1958, D. 1958. 498 ; Toulouse, 5 mai 1969, JCP 1970. II. 16234, obs. J.A.). D’autre part, les effets de cette élection de domicile ne s’étendent pas à la signification des jugements ou ordonnances rendus pour l’exécution de la convention. En effet, l’article 677 du code de procédure civile dispose que les jugements sont notifiés aux parties elles-mêmes (Civ. 2e, 2 févr. 2012, n° 10-21.028, Bull. civ. II, n° 20 ; D. 2012. 510 ; Procédures 2012, n° 107, obs. R. Perrot ; Civ. 2e, 22 mars 2012, n° 11-13.311, AJDI 2012. 637, note F. de La Vaissiere ; J.-Cl. pr. civ., fasc. 141, Notification des actes de procédure, N. Fricero, n° 35).

Autrement dit, l’assignation – comme la signification de la décision de première instance – ne peut être délivrée au domicile de l’avocat de la première instance. C’est à juste titre que celui-ci a refusé l’acte, n’ayant pas été mandaté à cet effet. On pourrait aller jusqu’à considérer qu’il ne s’agit pas d’une notification à domicile élu mais d’une notification à un tiers, l’élection de domicile étant arrivée à son terme. Néanmoins, la question est celle de la nature de l’irrégularité.

C’est sous l’angle de la nullité des actes de procédure que la cour d’appel et la Cour de cassation se sont interrogées, comme les y invite l’article 693 du code de procédure civile. Faut-il y voir une nullité de forme, conditionnée à l’existence d’un grief (C. pr. civ., art. 114, al. 2) ou une nullité de fond, dispensée de la preuve d’un grief (C. pr. civ., art. 119) ? Sur cette question, la Cour de cassation a rendu un important arrêt (Cass., ch. mixte, 7 juill. 2006, n° 03-20.026, Bull. ch. mixte, n° 6 ; D. 2006. 1984, obs. E. Pahlawan-Sentilhes ; RTD civ. 2006. 820, obs. R. Perrot  ; JCP 2006. II. 10146, note E. Putman ; JCP 2006. I. 183, n° 12, obs. Y.-M. Serinet ; Procédures 2006, n° 200, obs. R. Perrot ; Dr. et patr. 2007. 118, obs. S. Amrani-Mekki) où elle énonce que « quelle que soit la gravité des irrégularités alléguées, seuls affectent la validité d’un acte de procédure, soit les vices de forme faisant grief, soit les irrégularités de fond limitativement énumérées à l’article 117 du nouveau code de procédure civile ». Par cet arrêt, la Cour retient le caractère limitatif des nullités pour vice de fond, faisant ainsi basculer l’essentiel des nullités dans le champ des vices de forme (v. Rép. pr. civ., Nullité, par L. Mayer, n° 102). Il n’est donc pas étonnant de voir la Cour de cassation retenir la qualification de vice de forme.

Cette qualification impose d’apporter la preuve d’un grief. C’est sur ce point que l’arrêt d’appel est cassé, la cour s’étant dispensée de caractériser un tel élément. La cassation pour défaut de base légale ne préjuge pas de la solution qui pourra être retenue par la cour d’appel. L’assignation dans le cadre d’une procédure d’appel à jour fixe a pour but de s’assurer que la partie est touchée et qu’elle sera en mesure de préparer sa défense dans le court délai qu’impose une telle procédure. En l’espèce, l’intimé a constitué avocat et a pu être représenté dans la procédure. Pour autant, cette constitution n’est pas exclusive d’un grief si elle est suffisamment tardive pour handicaper la défense de l’intimé. Il appartiendra à la cour d’appel de le déterminer.

Appréciation critique

Ceci étant, une telle qualification et la nécessité d’apporter la preuve d’un grief est de nature à inciter les avocats à se constituer le plus tardivement possible, voire à ne pas se constituer, afin de créer artificiellement un grief. Autrement dit, l’avocat diligent qui se constitue ratifie l’acte frappé de nullité, contrairement à l’avocat discourtois qui ne se constitue pas pour préserver la nullité.

Cette solution est-elle satisfaisante ? D’abord, il convient de rappeler que l’avocat n’est pas un facteur et l’on ne peut attendre de lui qu’il se substitue à l’huissier afin de porter un acte de procédure à la connaissance d’une partie. Cette situation est d’autant plus gênante si, pour une raison ou pour une autre, la partie souhaite changer de conseil entre la première instance et l’appel. Ensuite, le formalisme n’a pas simplement une fonction décorative, il est le garant du procès équitable, en particulier de l’égalité des armes (CEDH 31 mai 2007, Miholapa c. Lettonie, § 23, D. 2007. 2427, obs. N. Fricero ). L’assignation de la partie en matière de procédure à jour fixe est le corollaire indispensable du droit d’être appelé et entendu prévu par l’article 14 du code de procédure civile.

La procédure civile moderne est tiraillée entre, d’un côté, un formalisme parfois totalement excessif (v. CEDH 5 nov. 2015, Henrioud c. France, n° 21444/11, Dalloz actualité, 18 nov. 2015, obs. F. Mélin isset(node/175613) ? node/175613 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>175613 ; Procédures 2016, n° 15, obs. N. Fricero ; JCP2015. 1333, obs. A. Gouttenoire ; JCP  2016. 414, obs. S. Amrani-Mekki ; 12 juill. 2016, Reichman c. France, n° 50147/11, Dalloz actualité, 20 juill. 2016, art. A. Portmann isset(node/180196) ? node/180196 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>180196 ; Procédures 2016, n° 288, obs. N. Fricero ; JDI 2017. 1137, note E. Decaux ; certains incluront spontanément la procédure d’appel issue du décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 relatif à la procédure d’appel avec représentation obligatoire en matière civile et réformée par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile) et, de l’autre, un assouplissement systématique de certaines sanctions propres au formalisme (à travers notamment la qualification de nullité de forme). Or le passage de l’un à l’autre n’a pas toujours grand sens. Est-ce vraiment cohérent de considérer qu’une déclaration d’appel effectuée hors RPVA entraîne une irrecevabilité (C. pr. civ., art. 930-1), quand bien même celle-ci est adressée directement à la partie et déposée au greffe, alors que la signification consécutive à la non-constitution de l’intimé (C. pr. civ., art. 902, al. 2) ou dans le cadre d’une procédure à jour fixe (notre arrêt) n’est frappée que de nullité pour vice de forme si elle est adressée à n’importe qui dans le monde autre que l’intimé ?

Cette situation est d’autant plus problématique qu’elle peut conduire à des stratégies purement dilatoires. En dépit du grief causé à l’intimé (nullité relevée d’office en l’absence de défendeur), la signification à la mauvaise personne interrompt le délai de forclusion (C. civ., art. 2241, al. 2 ; pour une critique récente de la règle, X. Lagarde, La distinction entre prescription et forclusion à l’épreuve de la réforme du 17 juin 2008, D. 2018. 469 ). Pourquoi, alors, ne pas notifier à la première personne trouvée dans l’annuaire et attendre que la nullité soit prononcée pour réitérer l’acte ? Cela pourrait être utile lorsque les délais sont courts ou lorsque l’on veut se ménager un effet de surprise.

Dès lors, une autre piste aurait pu être explorée. Elle implique de ressusciter la théorie de l’inexistence (v. Rép. pr. civ., Nullité, par L. Mayer, nos 70 s. ; S. Jobert, La connaissance des actes du procès civil par les parties, thèse, P. Théry (dir.), Paris II, 2016, LGDJ, à paraître, n° 899 s.) et de rapprocher le régime de l’assignation à personne de celui de la notification à personne des jugements. En effet, en la matière, l’article 677 du code de procédure civile prévoit que la notification doit être faite à la partie elle-même. Antérieurement à l’arrêt de chambre mixte du 7 juillet 2006, la Cour de cassation avait analysé l’absence de notification d’une ordonnance à la partie elle-même comme une omission d’acte (Com. 22 mars 1994, n° 91-19.165). Postérieurement à l’arrêt de 2006, la Cour de cassation a maintenu une certaine ambiguïté en la matière (Civ. 3e, 17 juin 2009, n° 08-11.930, Bull. civ. III, n° 145 ; Dalloz actualité, 25 juin 2009, G. Forest , obs. A. Lévy ; ibid. 2010. 113, chron. S. Gilbert ; RDI 2009. 465, obs. C. Morel ). Partant, la doctrine y voit une hypothèse de résistance à la solution de la chambre mixte (S. Jobert, thèse préc., nos 893 s.). Ne serait-il pas souhaitable, dans ces hypothèses, de sortir de la distinction nullité de fond/nullité de forme et sanctionner sévèrement les violations les plus graves du formalisme procédural ?