Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Nullité de la rupture conventionnelle en l’absence de remise d’un exemplaire au salarié

Le défaut de remise d’un exemplaire au salarié de la rupture conventionnelle est une cause de nullité de l’acte qui entraîne les conséquences d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il appartient à l’employeur d’être en mesure de prouver la remise d’un exemplaire au salarié.

par Loïc Malfettesle 6 octobre 2020

La conclusion d’une rupture conventionnelle est soumise à une procédure particulièrement bornée par le législateur, gage de l’expression libre et éclairée de la volonté des parties. Aussi apparaît-il classique que chacune des parties reçoive un exemplaire de la convention, l’article 1375 du code civil disposant que l’acte « qui constate un contrat synallagmatique ne fait preuve que s’il a été fait en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct ». Qu’en est-il alors lorsque l’employeur n’est pas en mesure de prouver qu’un exemplaire a bien été remis au salarié ? C’est précisément sur ce point que l’arrêt présentement commenté apporte des réponses.

En l’espèce, un salarié embauché par une société en tant que couvreur avait conclu une rupture conventionnelle avec cette dernière plus de quinze années plus tard.

L’intéressé a ensuite saisi la juridiction prud’homale en invoquant la nullité de cette rupture et en sollicitant les indemnités afférentes, au motif qu’il n’avait pas reçu un exemplaire de la convention. Si la juridiction de premier degré débouta l’intéressé de sa demande, la cour d’appel valida quant à elle le raisonnement du salarié en annulant la convention de rupture, et indiqua que cette annulation produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Au soutien de sa décision, la cour d’appel avançait le fait que l’employeur ne rapportait pas la preuve de la remise au salarié d’un exemplaire du texte au salarié.

L’employeur se pourvut alors en cassation. Selon lui, les dispositions du code du travail relatives à la rupture conventionnelle n’imposent pas – sous peine de nullité – que chaque partie dispose d’un exemplaire de ladite convention. Il ajoute au surplus qu’il appartient en tout état de cause à celui qui invoque une cause de nullité d’en rapporter la preuve.

L’employeur conteste enfin le fait que l’absence de preuve de la remise d’un exemplaire de la convention au salarié entraîne nécessairement sa nullité, sans avoir à rechercher si cela avait été de nature à affecter le libre consentement de l’intéressé et son droit de se rétracter en connaissance de cause.

La chambre sociale de la Cour de cassation livre une réponse sans ambages. Pour les hauts magistrats, la remise d’un exemplaire de la convention de rupture au salarié étant nécessaire à la fois pour que chacune des parties puisse demander l’homologation de la convention, dans les conditions prévues par l’article L. 1237-14 du code du travail, et pour garantir le libre consentement du salarié, en lui permettant d’exercer ensuite son droit de rétractation en connaissance de cause, il s’ensuit qu’à défaut d’une telle remise, la convention de rupture est nulle.

Sur le terrain de la charge de la preuve, la haute juridiction précise qu’en cas de contestation, il appartient à celui qui invoque cette remise d’en rapporter la preuve. Autrement dit, il appartient à l’employeur d’être en mesure de prouver la remise d’un exemplaire au salarié.

La solution vient confirmer la ligne jurisprudentielle dessinée récemment. La chambre sociale avait en effet eu l’occasion de juger qu’un exemplaire de la convention de rupture signé par les deux parties devait être remis à chacune d’entre elles, au risque de voir prononcer la nullité de la rupture conventionnelle (v. Soc. 3 juill. 2019, n° 17-14.232 P, Dalloz actualité, 19 juill. 2019, obs. M. Favrel ; D. 2019. 1454 ; JA 2019, n° 605, p. 10, obs. D. Castel ; ibid. 2020, n° 613, p. 40, étude P. Fadeuilhe ; Dr. soc. 2019. 984, obs. J. Mouly  ; 3 juill. 2019, n° 18-14.414 P, Dalloz actualité, art. préc. ; D. 2019. 1453 ; JA 2020, n° 613, p. 40, étude P. Fadeuilhe ; Dr. soc. 2019. 984, obs. J. Mouly ).

La justification retenue au soutien de la présente solution est identique à celle qui avait justifié les solutions rendues en 2019, puisque la Cour y indiquait déjà qu’à ses yeux, seule la remise au salarié d’un exemplaire de la convention signé des deux parties lui permet de demander son homologation et d’exercer son droit de rétractation en toute connaissance de cause.

Si la solution apparaît louable dans ses objectifs, elle n’en est pas moins fort rigoureuse pour les employeurs. En effet, rappelons-le, ce n’est qu’à la fin du délai de rétractation de quinze jours – qui court lui-même à compter de la signature du document par les deux parties – que la convention de rupture peut être envoyée pour homologation. Il apparaît salutaire, pour que le salarié puisse pleinement profiter de cette faculté de réflexion et exprime son consentement en parfaite connaissance de cause, que celui-ci se voie communiquer l’exemplaire écrit de la convention. Le fait d’ériger cette formalité au rang de formalité substantielle sanctionnée par la nullité peut néanmoins prêter à discussion, en particulier en l’absence de disposition expresse en ce sens dans le code du travail et à la lecture du nouvel article 1375 du code civil qui semble faire de la formalité du double original dans le cas d’un contrat synallagmatique une mesure ad probationem. Le caractère particulier de la rupture conventionnelle et la nécessité de donner son plein effet à la procédure administrative qui lui est inhérente pourront alors tenir lieu de justification pour la transformer en formalité ad validitatem.

Ce qui nous semble encore plus sévère tient enfin à la charge de la preuve que la chambre sociale décide de faire peser sur la seule personne de l’employeur. Il aurait été possible de considérer qu’il appartenait à celui qui invoque une cause de nullité de rapporter la preuve de cette cause. Telle n’est pas la règle posée en la matière par les hauts magistrats, le salarié n’ayant pas même à invoquer un vice de son consentement, la seule évocation d’une absence de remise d’un exemplaire, non contredite par la preuve contraire de l’employeur, suffira désormais à voir prononcer la nullité de la rupture.

La solution apparaît contestable dans l’hypothèse où la nullité serait prononcée pour cette simple défaillance formelle, alors même que le consentement du salarié ne s’en est pas trouvé biaisé. Pire, elle laisse la porte ouverte à l’hypothèse d’un salarié qui, de mauvaise foi et bien qu’ayant reçu un exemplaire de son employeur, tirerait partie du fait que ce dernier ne se soit pas aménagé la preuve de cette remise.

Aussi les employeurs devront-ils à l’avenir se montrer vigilants, en s’aménageant la preuve de la bonne remise d’un exemplaire au salarié, le cas échéant en recourant à un accusé de remise dûment signé par le salarié (en sus du document cerfa de rupture conventionnelle), ou encore, comme cela semble être suggéré dans le présent arrêt, avec une mention portée sur le formulaire selon laquelle un exemplaire a bien été remis à chacune des parties. La sécurisation des futures ruptures conventionnelles se fera désormais à ce prix.