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Nullité et moyens de preuves produits par le mis en examen

Les pièces produites par la personne mise en examen ne constituent pas des actes ou des pièces de la procédure au sens de l’article 170 du code de procédure pénale, mais des moyens de preuve soumis à discussion contradictoire. Elles ne peuvent ainsi faire l’objet d’une demande d’annulation sur ce fondement, quand bien même la Cour européenne des droits de l’homme aurait jugé leur exploitation illégale.  

Lorsque le recueil d’une pièce a été jugé illégal par la Cour européenne des droits de l’homme, se pose la question de savoir l’utilisation possible qui peut être faite des pièces litigieuses, notamment lorsqu’elles sont mobilisées dans d’autres instances. C’est sur ce point que s’est prononcée la chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 12 juin 2025, publié au Bulletin.

En l’espèce, un oligarque russe, par l’intermédiaire de son avocate, a adressé une « dénonciation pénale » près le procureur général de la Principauté de Monaco pour escroquerie et blanchiment à l’encontre d’un revendeur d’art suisse qui se serait enrichi frauduleusement sur la vente de tableaux de maître. Cette même avocate, participant à une soirée d’affaire à Monaco, a enregistré sur son téléphone portable des propos de nature à contribuer à l’établissement de la vérité concernant ces infractions. Cet enregistrement a été dénoncé par les défendeurs comme étant un faux. Afin de garantir l’authenticité de cet enregistrement, l’avocate se dit prête à soumettre son appareil « à toutes les analyses que la justice pourrait souhaiter ». Le magistrat instructeur sollicite une telle expertise et l’avocate remet son appareil, après avoir pris soin de supprimer l’ensemble des données de son téléphone portable qui n’étaient pas en lien avec l’enregistrement. Or, dans le même temps, les auteurs des propos captés par l’enregistrement, dont le revendeur d’art suisse, déposent plainte avec constitution de partie civile auprès d’un juge d’instruction de Monaco du chef d’atteinte à leur vie privée. Un autre magistrat instructeur, instruisant le dossier concernant cette dernière infraction, va ordonner une expertise sur l’ensemble des données du téléphone portable déposée par l’avocate, y compris sur les données supprimées par la détentrice du téléphone. Après avoir tenté de faire annuler le recueil des données outrepassant la seule analyse de l’authenticité de l’enregistrement auprès des juridictions internes, la requérante saisit la Cour européenne des droits l’homme qui conclut à l’illégalité de l’exploitation des données recueillies sur le téléphone portable (CEDH 6 juin 2024, Bersheda et Rybolovlev c/ Monaco, nos 36559/19 et 36570/19 ; v. C. Fonteix, Secret professionnel de l’avocat : l’estampillage « confidentiel » ne permet pas de faire obstacle à la saisie, Dalloz actualité, 28 nov. 2024). Elle estime que la saisine expertale était bien plus large que le seul champ que l’avocate avait consenti de révéler et qu’ainsi, sans prévoir davantage de garanties procédurales dont la requérante aurait dû bénéficier du fait de sa qualité d’avocate, les juridictions monégasques auraient violé l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Parallèlement, la belle-fille de l’oligarque russe, victime d’escroquerie, a déposé plainte, auprès des services de police français pour vol et recel. Une information contre personne non dénommée des chefs de vols, recel de vol et escroquerie, a été ouverte le 23 mars 2015, au cours de laquelle la victime s’est constituée partie civile, aboutissant à la mise en examen de la personne qui avait déjà été visée dans l’affaire monégasque, le revendeur suisse. Or, pour assurer sa défense, le mis en examen produit les données recueillies lors de l’exploitation litigieuse du téléphone de l’avocate. Alors qu’il dépose une requête en nullité, la partie civile produit un mémoire visant à écarter des pièces de la procédure celles provenant de l’exploitation litigieuse. La chambre de l’instruction fait droit à la demande de la partie civile et écarte l’ensemble des pièces issues de l’exploitation du téléphone de l’avocate.

Le mis en examen se pourvoit en cassation. Il reproche à l’arrêt attaqué, d’une part, d’avoir constaté la forclusion partielle de la requête, dit que la requête en nullité n’est recevable que pour les actes postérieurs au 15 mai 2017 et de l’avoir dite mal fondée, d’autre part, d’avoir fait droit aux demandes de la partie civile et d’avoir en conséquence écarté de la procédure, par cancellation, certaines des cotes provenant de l’exploitation litigieuse du téléphone portable. Ainsi, il estime qu’il importe peu que la méthode de récolte des pièces qu’il a déposées ait été jugée illégale par la Cour européenne des droits de l’homme. En premier lieu, il affirme qu’il n’appartient pas aux juges du fond de donner un plein effet à cette décision alors même que la « partie civile qui se prévaut de celle-ci n’était pas partie [à la procédure intentée devant la CEDH], ni d’ailleurs devant les juridictions internes de l’État étranger en cause ». En second lieu, il soutient qu’il n’est pas possible, par la voie de la nullité, d’attaquer des pièces déposées par les parties.

La chambre criminelle de la Cour de cassation accueille le pourvoi dans son seul moyen qui critique la décision attaquée d’avoir écarté de la procédure les pièces déposées par le demandeur au pourvoi. Elle casse et annule la décision de la chambre de l’instruction au visa de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 170 du code de procédure pénale. Elle motive sa décision en deux...

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