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Nullité pour vice de fond et fin de non-recevoir en hospitalisation sous contrainte

La Cour de cassation profite du contentieux de l’hospitalisation sans consentement pour rappeler la possibilité de présenter en tout état de cause une exception de nullité pour vice de fond ou une fin de non-recevoir contrairement à une exception de procédure invocable seulement in limine litis.

par Cédric Hélainele 19 mai 2021

Si les procédures judiciaires de soins sans consentement restent assujetties à la procédure civile de droit commun conformément à l’article R. 3211-7 du code de la santé publique, elles n’en demeurent pas moins un laboratoire topique pour observer des distinctions classiques du droit judiciaire privé. Ainsi, nous commentons régulièrement dans ces colonnes les arrêts s’intéressant à la possibilité de soulever des moyens de défense dans l’instance tendant au renouvellement de la mesure devant le juge des libertés et de la détention (Civ. 1re, 19 déc. 2019, n° 19-22.946, Dalloz actualité, 27 janv. 2020, obs. C. Hélaine ; D. 2020. 22 ; 4 mars 2020, n° 19-14.269, Dalloz actualité, 13 avr. 2020, obs. C. Hélaine ; D. 2020. 605 ; ibid. 2190, chron. S. Robin-Raschel, X. Serrier, V. Champ, S. Vitse, C. Azar, E. Buat-Ménard, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ). Pour l’heure, la Cour de cassation avait surtout distingué le domaine des exceptions de procédure et de la défense au fond dans ces contentieux ; distinction extrêmement classique, bien que parfois subtile (S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais et L. Mayer, Procédure civile, 34e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p.  283, n° 363). La question dépasse évidemment les enjeux théoriques puisque, si les exceptions de procédure s’invoquent in limine litis, les défenses au fond peuvent l’être en tout état de cause. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 12 mai 2021 prolonge le questionnement en s’intéressant à la possibilité d’invoquer en tout état de cause la nullité pour vice de fond et la fin de non-recevoir.

Les faits sont classiques en la matière : une personne sous curatelle est admise en soins psychiatriques sans consentement à la demande de sa mère par décision du directeur d’un établissement de soins sur le fondement de l’article L. 3212-1 du code de la santé publique. Ce dernier a ensuite saisi le juge des libertés et de la détention (JLD) pour prolonger la mesure sur le fondement de l’article L. 3211-12-1. Deux problèmes se posent toutefois : le premier concerne l’absence de convocation du curateur à l’audience tandis que le second est un défaut dans la signature de la requête introductive. Un appel de l’ordonnance du JLD statuant en première instance est interjeté. Le premier président de la Cour d’appel de Paris déclare irrecevable le moyen titré de l’absence de convocation du curateur de l’intéressé à l’audience du JLD car ledit moyen n’aurait pas été invoqué in limine litis. Est également déclaré irrecevable en appel le moyen tiré du défaut de qualité du signataire dans la requête introductive. Là encore, l’ordonnance retient qu’il fallait l’invoquer in limine litis. L’article 74 du code de procédure civile était donc au cœur de l’argumentation de cette ordonnance du premier président pour ordonner la poursuite de la mesure d’hospitalisation sous contrainte.

La personne sous curatelle se pourvoit en cassation. Mais c’est par deux moyens relevés d’office que la cassation intervient pour violation de la loi : le premier pour la convocation du curateur, le second pour la qualité du signataire dans la requête. Analysons-les l’un après l’autre pour comprendre les enjeux de ce problème de pure procédure civile. À titre de précision, la cassation intervient sans renvoi puisque les délais pour statuer sur la mesure ont expiré entre temps. 

L’absence de convocation du curateur, une nullité pour vice de fond

L’entrecroisement entre l’hospitalisation sans consentement et le droit des majeurs vulnérables est assez régulier. Les dispositions du code de la santé publique dans cette optique sont ainsi fréquemment l’occasion d’une cassation pour violation de la loi et l’arrêt du 12 mai 2021 n’échappe pas à cette tendance. La Cour de cassation rappelle donc que « l’omission de convocation du curateur constitue une nullité pour irrégularité de fond, qui peut être soulevée en tout état de cause, y compris pour la première fois en appel ». Cette irrégularité de fond se distingue ainsi d’une nullité pour vice de forme de l’article 74 du code de procédure civile cité dans l’ordonnance entreprise. Comme le disent certains auteurs « ce n’est pas l’instrumentum qui est affecté, mais la qualité de la manifestation de volonté émise par le plaideur ou par son représentant » (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., Lextenso, coll. « Montchrestien », 2019, p. 189, n° 220). En ne convoquant pas le curateur, c’est toute la procédure de renouvellement de la mesure qui est donc menacée par ce vice de fond.

La cassation s’adosse logiquement à l’article R. 3211-13 du code de la santé publique qui prévoit que le greffier doit convoquer « la personne qui fait l’objet de soins psychiatriques par l’intermédiaire du chef d’établissement lorsqu’elle y est hospitalisée, son avocat dès sa désignation et, s’il y a lieu, son tuteur, son curateur ou ses représentants légaux » (nous soulignons). Ainsi, le raisonnement fondé sur le caractère in limine litis de l’exception de procédure (une exception de nullité pour vice de forme en l’occurrence) était condamné puisque la curatelle rendait nécessaire la convocation du curateur. Il ne pouvait donc pas s’agir d’un vice de forme mais seulement d’un vice de fond. L’entrecroisement entre les matières apporte donc une utile précision qui pourra être réutilisée dans d’autres contentieux à l’avenir. 

L’article 118 du code de procédure civile indique, en effet, que les exceptions de nullité fondées sur une irrégularité de fond de l’acte de procédure peuvent être invoquées en tout état de cause ; ce qui constitue une des « véritables dérogations » de l’article 74 du code de procédure civile (Rép. pr. civ.,  Défenses, exceptions, fins de non-recevoir, par I. Pétel-Teyssié, n° 82). Cette dérogation fait d’ailleurs ressembler la nullité pour vice de fond à une irrecevabilité plus qu’à la nullité pour vice de forme (L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, 11e éd., LexisNexis, coll. « Manuels », 2020, p. 407, n° 439). La personne qui tarderait dans un esprit dilatoire à soulever l’exception de procédure pour nullité de fond s’exposerait à des dommages-intérêts comme le rappelle régulièrement la doctrine.

Prudence donc en présence d’une curatelle : l’absence de convocation du curateur peut conduire à une exception de procédure désarçonnant toute l’hospitalisation sans consentement engagée, et ce en tout état de cause.

Le défaut de qualité du signataire de la requête comme fin de non-recevoir

Cette fois-ci, c’est sur le terrain de la fin de non-recevoir que s’axe la Cour de cassation pour retenir une cassation pour violation de la loi. On sait que ces dernières peuvent être invoquées en tout état de cause par le jeu de l’article 123 du code de procédure civile. Les articles L. 3211-12-1, I, R. 3211-7 et R. 3211-10 du code de la santé publique imposent en la matière que la requête qui saisit le juge des libertés et de la détention soit signée du directeur d’établissement ou du représentant de l’État dans le département (la plupart du temps, le préfet). La signature posait, en l’espèce, problème pour cette raison sans plus de précisions dans l’arrêt commenté. La solution donnée est limpide : le défaut de qualité du signataire de la requête est de nature à engendrer une fin de non-recevoir invocable en tout état de cause.

La difficulté reposait donc sur la distinction entre exception de procédure et fin de non-recevoir pour ce défaut de qualité du signataire. L’arrêt permet ainsi d’ajouter sa contribution dans l’effort de comparaison entre ces mécanismes du droit judiciaire privé. L’article 122 du code de procédure civile donne une brillante définition, héritée d’Henri Motulsky, de la fin de non-recevoir par le jeu de son effet majeur, l’irrecevabilité (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., Lextenso, coll. « Montchrestien », 2019, p. 129, n° 149) La fin de non-recevoir touche, en effet, à la recevabilité de la demande tandis que l’exception de procédure puise son intérêt dans l’irrégularité de cette procédure (J.-Cl. Pr. civ.,  Fins de non-recevoir, par N. Lesourd, actualisé par H. Croze, n° 3). Ainsi, si la première peut être invoquée en tout état de cause, la seconde doit rester cantonnée in limine litis sauf exceptions ponctuelles. La confusion entre l’une et l’autre est donc aisée. La précision reste, par conséquent, très utile : le défaut de la qualité du signataire dans la requête introductive doit pouvoir entraîner l’irrecevabilité de la demande. Cette prétention peut être invoquée en tant que fin de non-recevoir en tout état de cause de l’instance de renouvellement.

Voici qui prouve à nouveau la subtilité des mesures de soins sous contrainte. Procédures ultra-spécialisées d’apparence, mais assujetties à une procédure civile très classique, elles permettent d’observer des distinctions essentielles de la matière. On sait que l’hospitalisation sans consentement connaît en ce moment un certain frémissement avec la publication du décret sur les nouvelles mesures d’isolement et de contention (décr. n° 2021-537, 30 avr. 2021, JO 2 mai, Dalloz actualité, 11 mai 2021, obs. C. Hélaine) lui-même consécutif à l’article 84 de la loi du 14 décembre 2020 (L. n° 2020-1576, 14 déc. 2020, de financement de la sécurité sociale pour 2021, Dalloz actualité, 12 janv. 2021, obs. C. Hélaine). Ce frémissement s’accompagne d’ailleurs de la très attendue décision QPC sur la question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel (Civ. 1re, QPC, 1er avr. 2021, n° 21-40.001, Dalloz actualité, 15 avr. 2021, obs. C. Hélaine) et dont la solution devrait intervenir d’ici quelques semaines sur la constitutionnalité de ces nouveaux textes.