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Nullités de l’information : le pragmatisme de la Cour de cassation

Les arrêts rapportés ont pour point commun d’illustrer l’approche dynamique et pragmatique de la Cour de cassation au sujet de l’interprétation de l’article 174 du code de procédure pénale relatif aux nullités de l’information. 

par Dorothée Goetzle 22 mai 2018

Parce qu’elle encadre le déroulement des opérations dirigées contre les personnes suspectées, la procédure pénale poursuit un double but. Elle doit, en effet, permettre la découverte de la vérité tout en protégeant au mieux les libertés individuelles. En conséquence, la culpabilité doit toujours être établie dans le respect des dispositions légales. Cette exigence explique l’importance du contentieux relatif aux nullités de procédure. En effet, les nullités constituent une technique de contrôle de la régularité des procédures mais aussi une sanction de leur non-respect.

Le premier arrêt fait suite à des requêtes en incident d’exécution qui ont été rejetées par la chambre de l’instruction. En l’espèce, dans le cadre d’une information ouverte pour vols avec arme et délits connexes, la chambre de l’instruction a annulé deux procès-verbaux, ordonné leur retrait du dossier de la procédure et décidé la cancellation, dans neuf autres procès-verbaux, des passages se référant aux pièces annulées. La technique de la cancellation s’explique par des considérations pratiques évidentes. En effet, il se peut, comme c’était le cas en l’espèce, qu’un acte ne soit que partiellement vicié. Dans ce cas, lorsque seulement certains des passages d’un procès-verbal font état d’actes nuls, son annulation peut n’être que partielle. La difficulté était qu’in casu, à l’issue de l’instruction, trois accusés étaient renvoyés devant la cour d’assises des mineurs. Comme le permet l’article 279 du code de procédure pénale, des copies numérisées de la procédure ont été délivrées aux parties. Or, les copies en question contenaient les deux procès-verbaux annulés et l’intégralité de ceux qui auraient dû être cancellés. Les avocats des accusés en concluaient que la cancellation avait été réalisée de manière imparfaite. Pour cette raison, ils saisissaient la chambre de l’instruction de requêtes en incident d’exécution. Cette juridiction rejetait toutes les requêtes présentées.

Au visa des articles 710, 174 alinéa 3, et 279 du code de procédure pénale, la chambre criminelle casse l’arrêt de la chambre de l’instruction.

Elle souligne, dans un premier temps, que c’est à bon droit que le requérant a élevé sa demande, relative à des incidents contentieux liés à la mauvaise exécution ou à l’exécution incomplète d’un arrêt de la chambre de l’instruction statuant en matière de nullité de procédure, devant la chambre de l’instruction. Bienvenue, cette précision n’est pas nouvelle (Crim. 5 déc. 2007, Bull. crim. n° 304). En l’espèce, elle fait écho à un aspect de la motivation des juges du fond qui avaient considéré que les parties ne soumettaient pas à la chambre une difficulté d’exécution de l’arrêt qui imposerait de le rectifier ou d’en interpréter son sens, mais mettaient en exergue les modalités défectueuses de l’exécution de l’arrêt. Or, aux yeux de la chambre de l’instruction, l’exécution de l’arrêt était à la diligence du procureur général comme le souligne l’article 32 du code de procédure pénale qui dispose que le ministère public assure l’exécution des décisions de justice.

Dans un second chapeau de tête, la chambre criminelle ajoute que les actes ou pièces annulés par décision de la chambre de l’instruction sont retirés du dossier de l’information et classés au greffe de la cour d’appel. En effet, en application de l’article 174 alinéa 3, les actes ou pièces de la procédure partiellement annulés sont cancellés après qu’a été établie une copie certifiée conforme à l’original, qui est classée au greffe de la cour d’appel. Cette précision opérée par les hauts magistrats est l’occasion de se rappeler qu’avant 1993, pour faire face à l’impossibilité matérielle de retirer un acte partiellement annulé du dossier, la pratique consistait à conserver l’acte au dossier en biffant de manière à les rendre illisibles les seuls passages entachés de nullité. Après avoir admis avec réserve ce procédé (Crim. 18 mars 1976, n° 75-92.918, Bull. crim. n° 101), la Cour de cassation l’avait déclaré illégal (Crim. 24 avr. 1990, n° 89-86.640, Bull. crim. n° 151 ; RSC 1990. 805, obs. A. Braunschweig ). C’est dans ce contexte que le législateur est intervenu en précisant, dans l’article 174 du code de procédure pénale, que les actes sont cancellés après qu’a été établie une copie certifiée conforme à l’original, qui est classée au greffe de la cour d’appel. En l’espèce, la chambre criminelle fait donc une exacte application de cette disposition (Crim. 19 mars 2002, n° 01-88.240, Bull. crim. n° 63 ; RSC 2003. 122, obs. A. Giudicelli ; 2 févr. 2005, n° 04-86.805, D. 2005. 797 ; AJ pénal 2005. 162, obs. G. Roussel ; RSC 2006. 416, obs. J. Buisson ). Cet attachement à l’article 174, alinéa 3, n’est pas surprenant. La chambre criminelle a, dans le même sens, déjà souligné que l’irrégularité des poursuites sur certains chefs d’accusation ne doit pas entraîner l’annulation totale de toutes les pièces portant une référence à ces poursuites dès lors que les pièces litigieuses font également référence à d’autres infractions dont les poursuites sont régulières. Seuls doivent être cancellés les passages en rapport avec l’irrégularité (Crim. 19 mars 2002, Bull. crim. n° 63).

Logiquement, les Hauts magistrats en concluent qu’il incombait à la chambre de l’instruction « de s’assurer que les prescriptions des articles 174, alinéa 3 et 279 du code de procédure pénale avaient été observées, le cas échéant de prendre les dispositions nécessaires pour qu’elles le fussent ».

Le second arrêt, relatif à une information des chefs d’enlèvement et séquestration, extorsion en bande organisée et association de malfaiteurs, concerne une demande d’annulation de pièces de la procédure. En l’espèce, un individu déposait plainte en janvier 2015 et déclarait avoir été victime d’un enlèvement suivi d’une séquestration pendant plusieurs jours et d’une extorsion de fonds. Rapidement, les soupçons des enquêteurs se portaient sur un individu. Celui-ci était appréhendé dans le cadre de l’exécution d’une commission rogatoire puis mis en examen des chefs susvisés et placé sous contrôle judiciaire. Il saisissait la chambre de l’instruction d’une requête en annulation de plusieurs actes, notamment d’un procès-verbal d’analyse dans lequel les enquêteurs exposaient les indices aboutissant à le soupçonner. En outre, il considérait que son interpellation avait eu lieu dans des conditions irrégulières, en exploitant les renseignements provenant de procès-verbaux de deux procédures annulées et de pièces d’une information distincte dont le magistrat instructeur n’avait pas autorisé le versement. La chambre de l’instruction prononçait la nullité de plusieurs pièces mais pas de ce procès-verbal d’analyse. La chambre criminelle avait une première fois cassé cet arrêt et avait renvoyé l’affaire devant la chambre de l’instruction autrement composée qui avait confirmé la position initiale. Dans ce contexte, l’intéressé formait un pourvoi en cassation.

Sur la demande d’annulation des pièces provenant de la seconde instruction, la chambre criminelle relève que les enquêteurs avaient sollicité du juge d’instruction mandant la communication de pièces d’une information suivie par un autre magistrat du chef d’assassinat en bande organisée. En effet, cette procédure comportait des renseignements utiles à leur recherches, précisément un répertoire téléphonique. En conséquence, un soit transmis était échangé entre les deux magistrats et les pièces demandées étaient versées au dossier. La chambre criminelle approuve la chambre de l’instruction d’avoir rejeté la demande d’annulation en soulignant « qu’aucune disposition légale n’interdit d’utiliser dans une procédure les éléments recueillis lors de l’exécution d’une commission rogatoire délivrée dans une autre information ».

Se posait ensuite la question plus épineuse de la possibilité d’utiliser des renseignements sur une personne impliquée dans une procédure annulée. En effet, les policiers avaient sollicité du juge d’instruction mandant la communication de pièces provenant d’une autre information. La copie numérisée de la procédure avait été transmise. Or, les pièces communiquées faisaient partie d’une information qui avait été intégralement annulée par un arrêt devenu définitif en l’absence de pourvoi. Pour cette raison, la chambre de l’instruction avait à juste titre ordonné la cancellation partielle du procès-verbal d’analyse.

Cette cancellation partielle du procès-verbal litigieux était-elle suffisante ? Pour la chambre criminelle, la réponse est négative. En effet, elle reproche à la chambre de l’instruction de ne pas avoir également ordonné la cancellation des deux premières lignes de la page 5 de la cote D 931 qui se réfèrent expressément à l’interpellation du requérant intervenue dans le cadre de la procédure annulée. Pour fonder cette solution, la chambre criminelle s’appuie, comme dans le premier arrêt, sur le précieux article 174 du code de procédure pénale. Elle rappelle le principe selon lequel « l’interdiction d’utiliser ou d’exploiter une procédure annulée s’étend à toute référence à cette procédure donnant notamment des renseignements sur une personne impliquée dans la dite procédure ».

La lecture combinée de ces deux arrêts souligne le rôle important et dynamique joué par la Cour de cassation, grâce à l’article 174 du code de procédure pénale, en matière de nullités de procédure. Cette position rigoureuse et protectrice a déjà été affirmée à de nombreuses reprises. La chambre criminelle a ainsi déjà souligné que la personne mise en examen est recevable à proposer des moyens de nullité visant des actes de l’information se référant à des pièces annulées, fût-ce dans une procédure à l’origine distincte, dès lors qu’il en résulte une atteinte à ses intérêts (Crim. 21 oct. 2015, n° 15-83.395 P, Dalloz actualité, 4 nov. 2015, obs. S. Fucini , note G. Beaussonie et P. Cazalbou ; Dr. pénal 2016. Chron. 8, obs. Lesclous). Dans la même veine, elle considère que les actes annulés doivent être retirés du dossier et qu’il est interdit d’y puiser des renseignements contre les parties au débat. Cette interdiction doit s’étendre à tout procédé ou artifice qui serait de nature à reconstituer la substance des actes annulés (Crim. 30 juin 1981, Bull. crim. n° 224 ; 23 janv. 1990, Bull. crim. n° 42 ; 16 janv. 2002, n° 01-81.054).