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Nullités de procédure : des rappels toujours salutaires

Par deux arrêts de cassation et un arrêt de rejet rendus le même jour, la chambre criminelle apporte d’utiles précisions relatives à des demandes d’annulation de pièces de procédures.

par Dorothée Goetzle 9 juillet 2019

Selon l’article 77-1 du code de procédure pénale, le procureur de la République ou, sur son autorisation, l’officier de police judiciaire peut, dans le but de garantir la fiabilité de la recherche et de l’administration de la preuve, confier des constatations ou des examens techniques et scientifiques à des personnes qualifiées. En l’espèce, dans le cadre d’une procédure relative à la législation sur les stupéfiants, des réquisitions avaient été adressées par les enquêteurs à un laboratoire de police scientifique notamment aux fins d’analyse des stupéfiants et de recherches d’empreintes papillaires. Les empreintes papillaires du requérant apparaissaient sur un emballage préalablement saisi. Mis en examen du chef d’infractions à la législation sur les stupéfiants, il adressait à la chambre de l’instruction une requête aux fins d’annulation de pièces de la procédure au motif que les réquisitions n’avaient pas été autorisées par le procureur de la République.

La chambre de l’instruction constatait qu’effectivement, les réquisitions avaient été délivrées sans qu’il soit justifié d’une autorisation du parquet comme l’exige l’article 77-1 du code de procédure pénale. Toutefois, elle écartait le moyen de nullité au motif que la méconnaissance de cette exigence ne pouvait être invoquée à l’appui d’une demande d’annulation d’actes ou de pièces de procédure que par une partie titulaire d’un droit sur les biens objet de l’examen ou en cas d’atteinte portée à la vie privée du requérant. Or les juges du fond observaient qu’en l’espèce, l’intéressé, qui ne justifiait d’aucune atteinte à sa vie privée, ne disposait de droit ni sur l’emballage sur lequel ses empreintes papillaires avaient été retrouvées ni sur le lieu de sa découverte.

Pour casser l’arrêt rendu par la chambre de l’instruction, la chambre criminelle souligne qu’en matière de réquisitions prévues par l’article 77-1 du code de procédure pénale, l’absence d’autorisation du procureur de la République peut être invoquée par toute partie y avant intérêt. Ce faisant, la Cour de cassation confirme la jurisprudence déjà rendue selon laquelle les dispositions de l’article 77-1 sont édictées dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice. En conséquence, leur méconnaissance est constitutive d’une nullité à laquelle les dispositions de l’article 802 sont étrangères. Dans le même sens, la chambre criminelle avait déjà annulé des procès-verbaux de réquisition d’experts ne mentionnant pas l’existence d’une autorisation du procureur sans avoir à rechercher l’existence d’un grief (Crim. 14 oct. 2003, n° 03-84.539 P, D. 2004. 1265, et les obs. , note P. Hennion-Jacquet ; RSC 2004. 431, obs. J. Buisson ; JCP 2003. IV. 2979 ; RSC 2004. 431, note J. Buisson). Elle a également déjà souligné que l’absence de l’autorisation du procureur de la République dans un procès-verbal ordonnant l’examen médical d’une victime potentielle peut être invoquée par toute partie y ayant un intérêt (Crim. 16 sept. 2003, n° 03-82.918 P, D. 2004. 670, et les obs. , obs. J. Pradel ; JCP 2003. IV. 2897).

Le second arrêt, rendu au triple visa des articles 706-96, 706-96-1 et 593 du code de procédure pénale, est relatif à la mise en place d’une mesure de sonorisation dans un lieu privé. Une telle mesure peut être autorisée si les nécessités de l’enquête relative à une infraction prévue par les articles 706- 73 ou 706-73-1 du code de procédure pénale l’exigent et hors le cas d’un détournement de procédure. En l’espèce, à la suite d’un renseignement anonyme, une enquête préliminaire était ouverte du chef de transport, mise en circulation, détention, en vue de la mise en circulation de monnaie contrefaite en bande organisée et d’association de malfaiteurs. À partir d’un numéro de téléphone portable communiqué par l’informateur, les enquêteurs identifiaient deux individus qui étaient, après autorisation du juge des libertés et de la détention, placés sous écoute. Par la suite, leurs numéros de téléphone faisaient l’objet d’une mesure de géolocalisation puis un dispositif de sonorisation était installé dans l’appartement de l’un d’entre eux. Grâce à ce dispositif, l’information judiciaire permettait de découvrir l’existence d’un trafic de cocaïne. Or les deux intéressés considéraient que le recours aux règles applicables à la criminalité organisée était le fruit d’un détournement de procédure et déposaient une requête en nullité.

La chambre de l’instruction accueillait partiellement cette exception de nullité. D’un côté, les juges du fond admettaient que les interceptions téléphoniques et les géolocalisations pouvaient se justifier au regard de la nature de l’infraction de trafic de fausse monnaie, nécessairement commise en bande organisée. Toutefois, de l’autre côté, ils observaient que les investigations n’avaient pas établi l’implication effective des intéressés dans ces faits, étant précisé que la seule constatation de leur discrétion et de leurs antécédents judiciaires n’était pas de nature à permettre la poursuite des investigations à l’égard du trafic dénoncé. Ils en concluaient que la mise en place de la sonorisation du domicile, qui avait mis en lumière les faits de trafic de stupéfiants, procédait d’un détournement de procédure.

Pour justifier la cassation de l’arrêt rendu par la cour d’appel, la chambre criminelle énonce que « ne suffisent pas à constituer un détournement de procédure, ni l’absence d’implication effective des personnes concernées dans les faits objet de la mesure de sonorisation, une telle implication n’étant pas exigée par la loi, ni le fait que ces personnes aient ultérieurement été mises en examen à raison de faits distincts, révélés par les opérations précitées ». Cette interprétation est logique, étant précisé qu’en application des articles 706-96 et 706-96-1 du code de procédure pénale, l’existence d’un détournement de procédure s’entend du fait, pour des agents publics, de se placer faussement et à dessein dans le champ d’application des articles 706-73 et 706-73-1 précités, à seule fin de mettre en œuvre les pouvoirs conférés par les articles 706-96 et 706-96-1 du code de procédure pénale, dont ils n’auraient pu disposer autrement. Cette solution s’inscrit dans une veine jurisprudentielle déjà ouverte par la chambre criminelle qui a par exemple considéré qu’encourt la censure l’arrêt de la chambre de l’instruction qui refuse d’examiner la régularité d’une enquête effectuée en application des dispositions de l’ordonnance du 1er décembre 1986 et révélant des infractions de droit commun, seules poursuivies, au motif que cette enquête ne figurerait au dossier qu’à titre de simple renseignement et ne constituerait ni une enquête économique ni une enquête préliminaire (Crim. 31 janv. 2006, n° 05-80.640 P, AJ pénal 2006. 177, obs. C. Girault ; RSC 2006. 343, obs. D. N. Commaret ; ibid. 876, obs. J.-F. Renucci ; JCP. 2006. IV. 1396 ; ibid. 2006. I. 159, note A. Maron ; Dr. pénal 2006. Comm. 93).

Enfin, le troisième arrêt est relatif à l’installation, durant une information judiciaire, d’une caméra de surveillance sur la voie publique destinée à permettre l’identification des auteurs d’un trafic de stupéfiants. Pour installer un tel dispositif de captation d’images dans le parking sous terrain d’un immeuble, le juge d’instruction autorisait les enquêteurs à s’introduire dans ce lieu privé en dehors des heures prévues par l’article 59 du même code. De plus, il autorisait en application de l’article 230-34 la pose d’un dispositif de géolocalisation sur un véhicule utilisé par le requérant et stationné dans un box fermé situé dans le parking sous terrain surveillé.

Le requérant invoquait l’illégalité du dispositif de vidéosurveillance installé sur la voie publique qui constituait, selon lui, une atteinte au respect de sa vie privée. Or la chambre de l’instruction considérait que ce dispositif, qui tendait à la surveillance générale de la voie publique, était installé dans un lieu public. Les magistrats en concluaient que le requérant, qui ne détenait pas de droit sur la voie publique, ne pouvait se faire un grief d’une telle surveillance générale. Cette analyse était partagée par la chambre criminelle qui, fidèle à sa tradition jurisprudentielle, ajoutait que l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée que constitue un tel dispositif, en l’espèce mis en place sous le contrôle effectif d’un juge, présente, par sa nature même, un caractère limité et est proportionnée au regard de l’objectif poursuivi. Ensuite, le requérant se prévalait du défaut d’autorisation donnée par le juge des libertés et de la détention aux introductions en dehors des heures prévues par l’article 59 du code de procédure pénale, d’une part, dans le parking souterrain, en vue de la pose d’un dispositif de captation d’images, d’autre part, dans le box où se trouvait le véhicule devant faire l’objet d’une géolocalisation. La chambre criminelle approuve la chambre de l’instruction d’avoir écarté ce moyen de nullité, au motif que ni les espaces de circulation, ni les emplacements de stationnement, ni les boxes fermés du parking souterrain d’un immeuble collectif d’habitation ne constituent lieux d’habitation au sens des articles 230-34 et 706-96-1 du code de procédure pénale. Là encore, le rejet du pourvoi est logique, puisque l’article 59 du code de procédure pénale s’applique exclusivement à des lieux d’habitation, ce qui n’était pas le cas en l’espèce (Crim. 6 mai 2002, Dr. pénal 2002. Comm. 130, obs. A. Maron).

Ces trois arrêts, qui rappellent la complexité de la théorie des nullités en procédure pénale, pointent du doigt la difficulté de trouver un équilibre entre, d’une part, la nécessité de protéger les droits de la défense et, d’autre part, la bonne administration de la justice tout en n’entravant pas inutilement le déroulement du procès pénal.