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Nullités des perquisitions : confusions autour de la qualité pour agir

Le requérant est sans qualité à se prévaloir de la violation des dispositions du premier alinéa de l’article 57 du code de procédure pénale exigeant la présence de la personne chez qui la perquisition a lieu, dont l’objet est la protection de la vie et du domicile privés, dès lors qu’il ne dispose d’aucun droit sur le local perquisitionné.

Par un arrêt du 9 novembre 2021, la chambre criminelle a entendu appliquer sa jurisprudence relative au contentieux des nullités, récemment clarifiée (Crim. 7 sept. 2021, nos 21-80.642 et 20-87.191, D. 2021. 1630 ; AJ pénal 2021. 484, obs. M. Recotillet ), aux irrégularités relatives au déroulement de perquisitions, à la pesée de produits stupéfiants et au défaut de communication des décisions ordonnant des expertises. Elle a ainsi rejeté l’ensemble des moyens de nullité qui étaient soulevés, tantôt pour défaut d’intérêt, tantôt pour défaut de qualité, tantôt pour défaut de grief. Mais ce faisant, elle a remis en cause l’appréciation de la qualité pour agir dégagée le 7 septembre 2021 concernant l’exigence du recours à deux témoins à défaut seulement de présence de la personne et de désignation par elle d’un représentant.

Avec les arrêts du 7 septembre 2021, la Cour de cassation a pour la première fois clairement défini et distingué les différentes conditions de recevabilité et de fond de la nullité. Elle a ainsi précisé que la chambre de l’instruction devait d’abord rechercher si le requérant avait intérêt à demander l’annulation de l’acte (Crim. 7 sept. 2021, préc.). Cet intérêt à agir n’a pas davantage été défini, mais il semble découler de la mise en cause, par l’acte critiqué, du demandeur à la nullité. Ensuite, la chambre de l’instruction doit rechercher si le requérant a qualité à agir, ce qui est le cas lorsque « la formalité substantielle ou prescrite à peine de nullité, dont la méconnaissance est alléguée, a pour objet de préserver un droit ou un intérêt qui lui est propre ».

En l’espèce, la chambre criminelle a approuvé la chambre de l’instruction d’avoir déclaré irrecevables certaines demandes en nullité pour défaut de qualité. Elle a ainsi affirmé que le mis en examen ne pouvait pas invoquer la nullité de la perquisition pour défaut d’assentiment de la personne chez qui elle se déroulait, faute d’avoir un droit sur les locaux perquisitionnés. Il s’agissait en l’espèce de la perquisition des locaux d’une personne morale, qui a été effectuée en enquête préliminaire en présence d’une personne se présentant comme le représentant légal de la personne morale. Celle-ci a permis de saisir d’importantes quantités de cocaïne situées dans des containers en provenance du Brésil, ce qui a conduit à mettre en cause non pas le représentant légal mais les personnes qui ont organisé ce trafic et qui ont cherché à s’introduire de nuit dans les locaux pour récupérer la marchandise. Le demandeur à la nullité contestait la qualité de représentant légal de la personne en présence de qui la perquisition s’est effectuée. La chambre criminelle a alors rappelé que cette formalité a pour objet la protection de la vie et du domicile privés, de sorte que seules les personnes pouvant se prévaloir d’un droit sur le local visé peuvent se prévaloir de la nullité. Mais elle a ajouté, pour les perquisitions dans deux chambres d’hôtel, que le requérant était irrecevable, faute de qualité, à invoquer l’irrégularité de la première, tandis qu’il était recevable à invoquer l’irrégularité de la seconde, dès lors qu’il possédait les clés de cette chambre d’hôtel, sur laquelle il avait par conséquent un droit. Cependant, la formalité violée n’était ici pas la même : le requérant invoquait non pas le défaut d’assentiment mais le fait d’avoir recouru à deux témoins au lieu de permettre aux titulaires d’un droit sur ces chambres, lui-même pour la seconde chambre, d’y assister ou de désigner à défaut un représentant.

Cette jurisprudence n’est pas nouvelle : cela fait longtemps déjà que la chambre criminelle affirme que les formalités relatives aux perquisitions ont pour objet la protection du domicile et que leur violation ne peut être invoquée que par une personne ayant un droit sur le local perquisitionné (Crim. 6 mars 2013, n° 12-87.810, Dalloz actualité, 8 avr. 2013, obs. F. Winckelmuller ; D. 2013. 1993, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2013. 349, obs. J. Pronier ). Mais cette jurisprudence était contestable en ce qu’elle ne distinguait pas selon la nature de la formalité violée. C’est ainsi que l’absence de la personne chez qui la perquisition se déroule ou de signature du procès-verbal par les deux témoins était considéré comme une formalité ne pouvant être invoquée que par une personne titulaire d’un droit sur le local perquisitionné (Crim. 14 oct. 2015, n° 15-81.765, Dalloz actualité, 27 oct. 2015, obs. S. Fucini ; D. 2015. 2130 ; AJ pénal 2016. 154, obs. J. Gallois ; RSC 2015. 900, obs. F. Cordier ). La Cour de cassation a précisément remis en cause cette jurisprudence le 7 septembre dernier, en distinguant selon la nature de la formalité : s’agissant de la signature du procès-verbal de perquisition, prévue par l’alinéa 3 de l’article 57 du code de procédure pénale, elle a considéré qu’il s’agissait d’authentifier la présence sur les lieux des objets saisis, de sorte qu’il s’agit de protéger le principe du contradictoire (Crim. 7 sept. 2021, n° 21-80.642, Dalloz actualité, 28 sept. 2021, obs. M. Recotillet ; D. 2021. 1630 ; AJ pénal 2021. 484, obs. M. Recotillet ). De même, elle a précisé que les formalités de l’alinéa 2 du même article, à savoir que la perquisition doit se dérouler, en cas d’impossibilité de présence de la personne chez qui elle a lieu, en présence d’un représentant désigné par elle ou à défaut de deux témoins, a également pour objet d’authentifier la présence effective sur les lieux des objets découverts (Crim. 7 sept. 2021, n° 20-87.191, Dalloz actualité, 28 sept. 2021, obs. M. Recotillet). Cela paraissait entendu : l’autorisation de procéder à une perquisition ou l’assentiment de la personne chez qui elle a lieu protègent la vie et le domicile privés, des irrégularités en la matière ne pouvant être invoquées que par des personnes titulaires d’un droit sur le local perquisitionné. En revanche, la présence d’un représentant à défaut de la personne chez qui a lieu la perquisition, ou de deux témoins ainsi que la signature du procès-verbal de perquisition vise à authentifier les saisies, donc à protéger le droit au procès équitable des personnes contre lesquelles de tels éléments pourraient être utilisés.

L’arrêt commenté obscurcit cette clarté apportée par la chambre criminelle. Elle a déclaré que la réalisation de la perquisition sans la présence de la personne titulaire d’un droit sur la chambre d’hôtel et l’absence de sollicitation pour désigner un représentant constituait une irrégularité fondée sur l’alinéa 1er de l’article 57 du code de procédure pénale, visant à protéger la vie et le domicile privés et non sur l’alinéa 2. Or il s’agit d’une situation tout à fait similaire à celle de l’arrêt précité du 7 septembre 2021. Certes, la présence de la personne chez qui la perquisition a lieu est prévue par le premier alinéa, mais c’est bien le second qui prévoit qu’il ne peut être recouru à deux témoins qu’à défaut de possibilité pour cette personne d’être présente et à défaut de désignation par elle d’un représentant. Ces exigences visent bien à authentifier les saisies et non pas à protéger le domicile ou la vie privés. La position adoptée en l’espèce par la chambre criminelle, diamétralement opposée à celle prise dans ses arrêts du 7 septembre 2021, pourtant fortement motivés et explicitant le revirement de jurisprudence en la matière, est déroutante. En revanche, s’agissant de la pesée de produits stupéfiants, prévue par l’article 706-30-1 du code de procédure pénale, la Cour de cassation a bien précisé qu’il s’agissait « de garantir le caractère contradictoire du déroulement de ces opérations et ainsi d’authentifier le poids des produits saisis », de sorte que la nullité peut être invoquée, comme en matière de signature du procès-verbal de perquisition par les deux témoins, par toute personne qui y a intérêt, mais le moyen de nullité est rejeté faute d’irrégularité.

Après l’examen de l’intérêt et de la qualité au titre de la recevabilité de la demande en nullité, la chambre de l’instruction doit examiner l’existence d’un grief. Dans ses arrêts du 7 septembre 2021, la chambre criminelle a affirmé que « l’existence d’un grief est établie lorsque l’irrégularité elle-même a occasionné un préjudice au requérant, lequel ne peut résulter de la seule mise en cause de celui-ci par l’acte critiqué ». Le préjudice ne peut découler de l’utilisation, à titre de preuve, des éléments recueillis irrégulièrement, le préjudice devant découler de « l’irrégularité elle-même » (Crim. 7 sept. 2021, n° 20-87.191, préc., § 33), autrement dit, de l’atteinte effective au droit ou à l’intérêt protégé par la disposition violée. C’est ainsi que, s’agissant de la perquisition qui s’est déroulée dans la chambre d’hôtel du requérant, la nullité est rejetée car le requérant n’a « ni justifié ni même allégué que la violation éventuelle des dispositions susvisées aurait porté atteinte à ses intérêts ».

Enfin, s’agissant du défaut de communication des décisions ordonnant une expertise, la chambre criminelle a commencé par déclarer ce défaut de communication irrégulier. L’article 161-1 du code de procédure pénale permet de ne pas communiquer aux parties une ordonnance ordonnant une expertise en cas d’urgence ou en cas de risque d’entrave aux investigations. Cependant, alors que la chambre de l’instruction avait estimé ce risque établi, il n’en a pas été de même pour la chambre criminelle. Le risque invoqué était fondé sur l’existence d’autres coauteurs qui pourraient être alertés du déroulement des expertises et être informés des investigations. Cela ne constitue pas un risque d’entrave aux investigations pour la chambre criminelle qui déclare ainsi ce défaut de communication des décisions ordonnant l’expertise irrégulier. Cependant, si le requérant a bien intérêt à obtenir la nullité, puisque ces expertises le mettent en cause, s’il a bien qualité pour agir, puisque la communication des décisions a pour objectif d’assurer le contradictoire de l’expertise, le grief n’est pas établi. En effet, la Cour de cassation souligne que « l’annulation de cette ordonnance et des opérations subséquentes est subordonnée au fait que la partie requérante justifie que l’impossibilité de solliciter l’adjonction d’un expert ou que l’énoncé de la mission de l’expert désigné ont porté atteinte à ses intérêts ». Le grief réside ainsi dans l’atteinte effective au droit ou à l’intérêt protégé par la disposition violée. Pour pouvoir établir un grief, il faut donc invoquer une atteinte effective aux droits de la défense. En somme, cet arrêt apporte quelques précisions sur les critères d’invocation et de bien fondé des nullités, mais ajoute également de la confusion. Il reste à espérer que la clarté des critères de la nullité dégagés par les arrêts du 7 septembre 2021 sera maintenue par la chambre criminelle elle-même, sans quoi il serait vain d’espérer une évolution de la jurisprudence des juges du fond.