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Nullités : portée de l’annulation de la garde à vue

La notification à la personne gardée à vue d’une extension de la poursuite initiale, d’un autre chef, effectuée par application de l’article 65 du code de procédure pénale, n’a pas pour effet de générer une garde à vue distincte de celle en cours au moment de cette notification.

par Hugues Diazle 11 décembre 2019

Le samedi 2 février 2019, plusieurs milliers de personnes ont défilé dans les rues de Toulouse : l’acte XII de la mobilisation des Gilets jaunes était spécifiquement placé sous le signe de la dénonciation des violences policières. Anticipant d’éventuels risques de troubles à l’ordre public, la préfecture de Haute-Garonne arrêtait des mesures spécifiques de sécurité, alors qu’en parallèle, le procureur de la République délivrait plusieurs réquisitions de contrôle d’identité aux fins de recherche des auteurs d’infractions en matière d’armes et explosifs, stupéfiants, vol et recel (C. pr. pén., art. 78-2 et 78-2-2).

À l’occasion d’un de ces contrôles, un individu était notamment trouvé porteur d’un jeu de clefs Allen et d’une clef en croix : après avoir successivement déclaré deux patronymes différents, l’intéressé était placé en rétention pour vérification d’identité sur le fondement de l’article 78-3 du code de procédure pénale. Présenté à un officier de police judiciaire, l’individu n’a, semble-t-il, pas fourni les éléments suffisants permettant d’établir son identité.

Lorsque la personne interpellée maintient son refus de justifier de son identité ou fournit des éléments manifestement inexacts, les opérations de vérification peuvent donner lieu, après autorisation du procureur de la République, à la prise d’empreintes digitales ou de photographies lorsque celle-ci constitue l’unique moyen d’établir l’identité de l’intéressé (C. pr. pén., art. 78-3, al. 4) : le refus de se soumettre à ces opérations est réprimé par trois mois d’emprisonnement et 3 750 € d’amende (C. pr. pén., art. 78-5).

L’individu était finalement placé en garde à vue pour refus de se soumettre à des relevés signalétiques et à un prélèvement biologique. En pareille hypothèse, la durée de la rétention susvisée vient s’imputer sur celle de la garde à vue (C. pr. pén., art. 78-4). Les autorités suisses ayant indiqué que sa photographie correspondait en réalité à une autre identité, le mis en cause se voyait notifier, au cours de la mesure, l’extension des poursuites du chef d’usurpation d’identité. Déféré, puis mis en examen pour refus de se prêter aux prises d’empreintes digitales ou de photographies lors d’une vérification d’identité, prise du nom d’un tiers et association de malfaiteurs, l’individu était placé en détention provisoire.

Suivant la requête en nullité, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Toulouse prononçait l’annulation du placement en garde à vue et de la mise en examen pour les seules infractions consécutives au refus de se prêter aux opérations signalétiques : elle ordonnait l’annulation ou la cancellation de certaines pièces de la procédure subséquente. Le mis en examen formait un pourvoi en cassation qui était déclaré immédiatement recevable par ordonnance présidentielle (C. pr. pén., art. 570).

Devant la Cour de cassation, le demandeur critiquait l’arrêt rendu par la chambre de l’instruction : d’une part, en ce que l’annulation du placement en garde à vue et de la mise en examen n’avait concerné que les seules infractions consécutives au refus de se prêter aux opérations signalétiques, d’autre part, en ce que la chambre de l’instruction avait refusé d’annuler les procès-verbaux relatifs à la saisie des clefs.

Pour dire n’y avoir lieu à annulation du procès-verbal intitulé « Procès-verbal de notification supplétive de garde à vue », la chambre de l’instruction avait retenu que le placement en garde à vue était juridiquement possible pour l’infraction d’usurpation d’identité, qui n’avait aucun lien avec le fait de refuser de se laisser signaliser et le placement en garde à vue qui en était résulté. Ce faisant, les juges du fond semblaient considérer que l’extension de la poursuite initiale, notifiée dans le temps de la garde à vue par application des dispositions de l’article 65 du code de procédure pénale, pouvait constituer un placement en garde à vue que l’on pourrait qualifier « d’autonome ».

La chambre criminelle ne partage pas cette analyse juridique : elle vient affirmer que « la notification à la personne gardée à vue d’une extension de la poursuite initiale, d’un autre chef, effectuée par application de l’article 65 du code de procédure pénale, n’a pas pour effet de générer une garde à vue distincte de celle en cours au moment de cette notification ». Partant, elle censure la chambre de l’instruction qui n’avait pas tiré toutes les conséquences légales de la nullité qu’elle avait par ailleurs constatée.

La solution retenue par la Cour de cassation, qui a le mérite de circonstancier un peu plus précisément une disposition jusqu’alors peu illustrée en jurisprudence, apparaît juste et mesurée : très concrètement, on voit mal comment l’extension des poursuites notifiée au cours de la garde à vue, sur le fondement d’éléments probatoires recueillis en cours d’exécution, pourrait ne pas être directement rattachée à cette mesure qui en est le support.

Pour rappel, l’article 65 du code de procédure pénale, en sa rédaction issue de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014, précise les règles à respecter en cas d’audition d’une personne, au cours d’une garde à vue, « sur des faits distincts de ceux ayant initialement motivé la mesure (que cette audition intervienne dans le cadre d’une procédure incidente ou d’une autre procédure relative à des faits totalement étrangers à la procédure dans le cadre de laquelle la mesure de garde à vue a été prise) ». Cette disposition, qui répond à une demande des praticiens, évite, en pareille configuration, un « nouveau placement en garde à vue pour les nouveaux faits » (circ. 23 mai 2014).

Sur le second moyen de cassation, pour dire n’y avoir lieu à annulation du procès-verbal de saisie des clefs, la chambre de l’instruction avait retenu que celles-ci avaient été remises dès le contrôle d’identité et avant même le placement en garde à vue : cette saisie n’aurait donc pas eu pour support nécessaire la mesure coercitive. Or, en se déterminant ainsi, les clefs présentées par l’intéressé lors de son interpellation ayant été conservées dans sa fouille et placées sous scellés dans le cadre de sa garde à vue, la chambre de l’instruction n’avait pas, une nouvelle fois, tiré toutes les conséquences légales de la nullité qu’elle avait par ailleurs prononcée.

Cette double cassation illustre très concrètement le principe selon lequel, lorsque la chambre de l’instruction annule un acte de procédure, elle doit également annuler tous les actes de la procédure subséquente qui découle de l’acte vicié. En effet, aux termes de l’article 174, alinéa 2, du code de procédure pénale, la chambre de l’instruction doit décider « si l’annulation qu’elle prononce doit être limitée à tout ou partie des actes ou pièces de la procédure viciée, ou s’étendre à tout ou partie de la procédure ultérieure ». Par application de la « théorie du support nécessaire », les juges doivent ainsi étendre l’annulation aux actes de procédure ultérieurs ayant pour support nécessaire la garde à vue annulée (v., a contrario, Crim. 12 avr. 2005, n° 04-86.780, Bull. crim. n° 125).

Enfin, d’un point de vue très prosaïque, et sous réserve naturellement des spécificités factuelles du dossier d’enquête, il est permis de s’interroger sur l’adéquation et la proportionnalité d’une procédure qui, au bénéfice d’un contrôle d’identité opéré dans des conditions génériques, permet, en quarante-huit heures, de placer un individu en détention provisoire, à raison d’une dissimulation d’identité – élucidée – et d’un – simple – port d’outils, quelles qu’aient été les intentions, réelles ou supposées, de l’intéressé.

Ce questionnement a d’ailleurs conduit l’auteur de ces lignes à identifier un article de Mediapart, rédigé par M. Emmanuel Riondé et intitulé « À Toulouse, sur fond de gilets jaunes, resurgit le spectre d’une affaire Tarnac », auquel il sera utilement renvoyé pour des considérations plus factuelles : si l’article amène certains éléments de réponse, il suscite également son lot d’interrogations.