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Obligation de contribuer aux charges de la vie commune pour les concubins : caramba, encore raté !

La Cour de cassation casse un arrêt de la cour d’appel de Grenoble qui avait condamné un concubin au paiement d’une créance correspondant à la moitié des frais de logement et d’électricité exposée par sa concubine au cours de leur union, faute, pour les juges du fond, d’avoir constaté l’existence d’un accord entre les parties sur la répartition des charges de la vie commune.

par Laurence Gareil-Sutterle 21 janvier 2019

Ce n’est pas encore aujourd’hui que la Cour de cassation consacrera un droit commun des couples, notamment du point de vue de la participation aux dépenses inhérentes à la vie commune (v. sur ce point, V. Mikalef-Toudic, Les charges du ménage : vers un droit commun des couples ?, LPA 8 sept. 2017, n° 179-180, p. 36).

L’arrêt de cassation rendu par la première chambre civile le 19 décembre 2018 reprend une solution ancienne mais la publication de l’arrêt avec un visa traditionnel auquel la Cour de cassation semblait avoir renoncé (en ce sens, v. M. Saulier, Les concubins peuvent-ils s’abstenir de contribuer aux charges du ménage ? Étude de jurisprudence récente de la Cour de cassation, AJ fam. 2018. 457 ) pourrait traduire le retour d’une certaine fermeté dans le refus d’assimiler les concubins aux époux.

En l’espèce, après quatorze mois de vie commune, deux concubins se séparent. On comprend, à la lecture des moyens, que le concubin, M. J…, avait été hébergé gratuitement par sa concubine, Mme K…, durant cette période. Il ressort également de l’arrêt que c’est M. J… qui a assigné en justice Mme K… aux fins de recouvrir diverses sommes remises à celle-ci, notamment en lien avec le commerce de cette dernière. Parmi les sommes évoquées, Mme K… ne se reconnaissait débitrice que d’un montant correspondant au solde de prix concernant le rideau de son commerce et des frais d’électricité du local. Toutefois, elle invoquait une compensation de cette somme avec une créance qu’elle affirmait détenir sur M. K… au titre de l’hébergement gratuit de celui-ci pendant la vie commune. Elle évaluait cette créance à la moitié du loyer et de l’électricité réglés par elle durant la période.

Les juges du fond, après avoir affirmé qu’aucun texte ne prévoyait une contribution aux charges du ménage des concubins et que chacun d’eux devait être réputé devoir supporter les dépenses de la vie courante par lui exposées, considèrent néanmoins que l’appelante démontre détenir une créance à l’encontre de M. J…. La cour d’appel accueille ainsi l’argument de Mme K… et déboute en conséquence M. J… de toutes ses demandes. Ce dernier se pourvoit en cassation en invoquant notamment la violation de l’article 214 du code civil.

Le moyen est classique qui consiste à invoquer cet article pour soutenir qu’il ne concerne que les époux à l’exclusion des concubins et qu’il n’impose donc pas à ces derniers de contribuer aux « charges du ménage ». Il en découle une cassation quelque peu « paradoxale » où la Cour de cassation, au visa de l’article 214, reprend quasiment mot pour mot les motifs des juges du fond sur ce point mais en tire simplement la conclusion inverse ! La haute juridiction rappelle ainsi « qu’aucune disposition légale ne règle la contribution des concubins aux charges de la vie commune, de sorte que chacun d’eux doit, en l’absence de volonté exprimée à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu’il a engagées » et reproche en conséquence à la cour d’appel d’avoir retenu une créance au titre d’une telle contribution sans constater l’existence d’un accord entre les parties sur la répartition des charges de la vie commune.

La question de la participation des concubins aux charges de la vie commune est un marronnier du droit des couples. Pour la résumer, on peut dire que la vie commune d’un couple, quel que soit son statut (concubinage, pacs, mariage), surtout lorsqu’elle se prolonge dans le temps, entraîne des dépenses liées à la vie quotidienne (nourriture, eau, électricité, loyers, etc.). Ces dépenses sont réglées par l’un ou l’autre des membres du couple selon des modalités propres à chaque couple. Cela relève du fait.

Lorsque le couple est marié ou pacsé, le droit régit la charge finale de ces dépenses indépendamment des modalités d’exécution de fait en prévoyant, schématiquement (il reste quelques différences entre les deux formes d’union mais ce n’est pas le propos), une contribution de chacun aux charges du ménage à proportion de leurs facultés respectives. C’est le principe instauré, sauf dispositions contraires, dans le mariage par l’article 214 du code civil et dans le PACS par l’article 515-4 du code civil. Surtout, ces articles prévoient que, si l’un époux ou des partenaires n’a pas contribué assez, l’autre peut l’y contraindre. Rien de tel a priori dans le concubinage, puisque – c’est le sens du rappel de la Cour de cassation – « aucune disposition légale ne règle la contribution des concubins aux charges de la vie commune ». La conséquence logique en est qu’il n’est pas possible de contraindre un concubin à une telle contribution et donc que « chacun d’eux doit supporter les dépenses de la vie courante qu’il a engagées ». C’est le droit en l’état des textes.

Le raisonnement semble si implacable qu’on pourrait se demander où est le débat.

Le débat trouve essentiellement sa source, d’une part, dans un aménagement du principe rappelé et, d’autre part, dans la prise en compte prétorienne d’une telle obligation que la Cour de cassation se refuse pourtant à consacrer en tant que telle.

L’aménagement réside dans la possibilité reconnue aux concubins de convenir d’une contribution aux charges de la vie commune. C’est le ressort de la cassation dans l’arrêt qui nous occupe. Il rappelle que les concubins sont libres d’aménager conventionnellement une contribution aux charges de la vie commune. La solution n’est pas nouvelle puisqu’elle est régulièrement affirmée par la haute juridiction depuis 1991 (Civ. 1re, 19 mars 1991, n° 88-19.400, RTD civ. 1991. 507, obs. J. Hauser ; Defrénois 1991. 942, note J. Massip ; 17 oct. 2000, n° 98-19.527, D. 2001. 497, et les obs. , note R. Cabrillac ; ibid. 2002. 611, obs. J.-J. Lemouland ; RTD civ. 2001. 111, obs. J. Hauser ; Dr. fam. 2000, n° 139, note B. Beignier ; Defrénois 2001, art. 37287, obs. J. Massip ; JCP 2001. II. 10568, note Garé ; 28 nov. 2006, n° 04-15.480, D. 2007. 1561, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2007. 33, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2007. 94, obs. J. Hauser ; Dr. fam. 2007, n° 32, note V. Larribau-Terneyre ; 24 sept. 2008, n° 06-11.294, D. 2009. 140, obs. I. Gallmeister , note J.-J. Lemouland ; AJ fam. 2008. 431, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2008. 660, obs. J. Hauser ; 31 mars 2016, n° 15-13.854, Dalloz jurisprudence). Or certains auteurs (v. not. M. Saulier, préc.) ont pu noter une forme de bienveillance de la Cour de cassation qui, ces dernières années, a parfois approuvé une contribution fondée sur des « accords tacites » découverts par des juges du fond dans l’organisation matérielle des concubins (ouverture d’un compte-courant joint pour régler les factures, v. Civ. 1re, 17 juin 2009, n° 07-20.628, RTD civ. 2009. 511, obs. J. Hauser ; emprunt immobilier contracté pour le logement familial et remboursé par l’un seul tandis que l’autre réglait seul les frais quotidiens de la famille, v. Civ. 1re, 10 juin 2015, n° 14-18.442, Dalloz jurisprudence ; 13 janv. 2016, n° 14-29.746, JCP N 2016. 1132, obs. B. Berthelet et C. Guilloteau-Palisse ; 7 févr. 2018, n° 17-13.979, D. 2018. 1104, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJDI 2018. 285 ). De ce point de vue, l’arrêt sous examen ne permet pas de tirer de conclusion avec certitude. On peut simplement relever qu’ici, loin de chercher à « sauver » l’arrêt d’appel, la Cour de cassation a préféré casser fermement celui-ci et renvoyer à une autre cour d’appel la recherche d’un éventuel accord, nécessairement tacite, qui, seul, pourrait, conformément au visa retenu, justifier la solution retenue par les juges du fond.

Au-delà de la question de la bienveillance de la Cour de cassation, il importe de souligner que la principale difficulté en la matière en présence d’un « accord tacite » – sans doute les plus courants – sera de déterminer la répartition « souhaitée » par les concubins. Dans notre arrêt, les juges ont approuvé celle proposée par Mme K… et retenu ainsi une participation pour moitié, ce qui semble peu cohérent avec le principe d’une contribution proportionnelle aux revenus de chacun retenue pour les partenaires et les époux (pour une application du principe à des concubins, v. Versailles, 4 mai 2018, n° 16/03202, Dr. fam, n° 169, note M. Gayet, dans lequel la cour d’appel s’est livrée à un calcul de la part de la contribution de la concubine aux « charges communes » qu’elle a évaluée à 30 % des charges fixes compte tenu des facultés respectives des deux membres du couple). Il s’agissait peut-être en l’espèce d’une coïncidence, M. J… et Mme K… ayant, qui sait, des revenus comparables.

Mais si le débat fait rage sur l’existence potentielle d’une obligation de contribution aux charges de la vie commune entre les concubins, c’est aussi en raison de la jurisprudence rendue en matière d’enrichissement sans cause (désormais « enrichissement injustifié » selon les termes de l’article 1303 du code civil). Les tribunaux sont depuis longtemps sollicités par d’anciens concubins sur le fondement de ce mécanisme de droit commun. Le cas de figure est généralement le suivant : l’un des concubins a déboursé ou remis à l’autre diverses sommes pendant le concubinage, sommes dont il demande la restitution au titre de l’enrichissement sans cause après la rupture. Or, pour se prononcer, les juges ont régulièrement pris en compte la réalité des dépenses engagées par chacun pour la vie commune. Cette prise en compte est hétérogène mais il se dégage globalement de la jurisprudence que les juges déboutent le demandeur quand la somme réclamée peut s’analyser comme la simple contrepartie de l’hébergement gratuit dont a bénéficié ce dernier – c’est peut-être la raison pour laquelle M. J… ne s’est pas placé sur ce terrain – ou comme la « simple contribution » de celui-ci aux charges de la vie commune ou quand elle « n’excède pas » la « contribution normale » à ces charges (v. par ex. Civ. 1re, 6 nov. 2013, n° 12-26.568, Dalloz jurisprudence ; 18 mars 2015, n° 14-11.039, Dalloz jurisprudence ; 10 févr. 2016, n° 15-10.150, Gaz Pal. 2016. 63, note C. Dufloux ; 11 avr. 2018, n° 17-18.207, Dalloz jurisprudence). Au contraire, les juges accueillent l’action lorsque la somme réclamée dépasse la simple contrepartie de l’hébergement gratuit ou la contribution « normale » aux dépenses de la vie commune (Civ. 1re, 24 sept. 2008, n° 06-11.294, D. 2009. 140, obs. I. Gallmeister , note J.-J. Lemouland ; AJ fam. 2008. 431, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2008. 660, obs. J. Hauser ; 23 janv. 2014, n° 12-27.180, RTD civ. 2014. 343, obs. J. Hauser ). Or une telle jurisprudence n’a de sens que si l’on admet en amont que le demandeur était obligé à une telle contribution ou participation, laquelle constitue alors la cause ou, désormais, la justification de l’enrichissement (en ce sens, v. Civ. 1re, 23 janv. 2014, préc., où la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir relevé que les travaux effectués par le concubin « excédaient sa nécessaire participation aux charges de la vie commune »).

La contradiction apparente entre ces solutions et le refus de la Cour de cassation de reconnaître franchement une obligation de participation aux charges de la vie commune entre concubins paraît flagrante. Elle pourrait pourtant être atténuée par le fait que, dans les affaires d’enrichissement sans cause, cette « obligation » permet en général de limiter les restitutions auxquelles rechignent les juges, précisément parce que, par principe, les concubins doivent supporter les dépenses qu’ils ont exposées. Comme si l’obligation de contribution aux charges de la vie commune ne pouvait être invoquée que par voie d’exception, pour faire obstacle, partiellement ou totalement, à la restitution demandée dans le cadre de l’enrichissement sans cause. On pourrait donc qualifier les apparentes contradictions relevées « d’opportunisme juridique ». Il s’agirait de limiter au maximum les comptes entre concubins et ainsi, espoir fou, de les dissuader de saisir les tribunaux, voire, en amont, les inciter à conclure un PACS s’ils souhaitent faire de tels comptes.

Il ressort de ce qui vient d’être exposé que l’arrêt sous examen, par sa publication, n’a sans doute pas d’autre objet que celui de rappeler que, quelle que soit la souplesse dont la Cour de cassation peut parfois faire preuve en matière de liquidation des intérêts entre concubins, en particulier dans le cadre de l’enrichissement sans cause (injustifié), elle garde le cap fixé en 1991 : si un concubin souhaite obliger l’autre à participer aux charges de la vie commune, il faudra que soit établie l’existence d’un accord, même tacite, en ce sens (v. égal. Civ. 1re, 28 juin 2005, n° 02-12.767, D. 2005. 1882 ; ibid. 2006. 1414, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; RTD civ. 2005. 760, obs. J. Hauser ; Dr. fam. 2005, n° 179, note V. Larribau-Terneyre). L’affirmation d’une obligation de contribuer aux charges de la vie commune pour les concubins, ce n’est pas pour cette fois-ci…