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Obligation de révélation de l’arbitre et obligation de s’informer à la charge des parties : un équilibre encore perfectible

Les parties ne sont pas recevables à se prévaloir devant le juge de l’annulation de faits les faisant douter de l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre si elles ne les ont pas soulevés dans les délais du règlement d’arbitrage applicable, sans qu’aucune information complémentaire, autre que notoire, ait été découverte.

par Claire Debourgle 1 février 2019

Voilà plus d’une décennie que le recours en annulation de la sentence partielle rendue dans l’affaire qui oppose les sociétés J&P Avax et Tecnimont occupe les juridictions françaises. Au terme de nombreux rebondissements, ce recours a connu son sixième et dernier acte le 19 décembre 2018, devant la Cour de cassation.

Au cœur de cette affaire qui a passionné les observateurs se trouvent les questions d’indépendance et d’impartialité des arbitres et plus précisément, les questions de transparence de l’arbitrage et du devoir de révélation pesant sur l’arbitre.

Les faits sont désormais bien connus. Les sociétés J&P Avax et Tecnimont ont conclu un contrat de sous-traitance contenant une clause compromissoire. Un différend s’étant élevé entre les parties, la société Tecnimont a introduit une demande d’arbitrage auprès de la Chambre du commerce et de l’industrie (CCI) et obtenu, le 10 décembre 2007, une sentence partielle sur la responsabilité.

La société J&P Avax a fondé son recours en annulation contre cette sentence, sur l’article 1502, 2°, du code de procédure civile, reprochant au président du tribunal arbitral une déclaration d’indépendance incomplète et progressive en dépit des liens entretenus plus ou moins directement par le cabinet, au sein duquel il était of counsel et l’une des parties.

En effet, malgré la déclaration d’indépendance du président du tribunal, la société J&P Avax a conçu des doutes quant à l’existence de liens qui n’auraient pas été révélés. Elle lui a alors demandé un complément d’information. Les réponses obtenues au cours du mois de juillet 2007, puis des recherches complémentaires diligentées au mois d’août de la même année l’ont conduite à formuler une demande de récusation devant la cour d’arbitrage de la Chambre du commerce et de l’industrie le 14 septembre 2007. Cette demande a été rejetée en raison de son caractère tardif, l’article 11 du règlement CCI alors applicable prévoyant que la demande de récusation doit être formulée au plus tard dans les trente jours suivant la date à laquelle le requérant a été informé des faits et circonstances qu’il invoque au soutien de sa demande de récusation, à peine de forclusion.

L’indépendance et l’impartialité du tribunal arbitral ont été à nouveau mises en cause, devant le juge de l’annulation. Le sort de la sentence a varié au cours des instances successives, déclenchant des réactions diverses de la part des commentateurs, de sorte qu’il n’est pas inutile de rappeler brièvement son parcours.

Premier acte, cette mise en cause a tout d’abord été couronnée de succès. Par un arrêt – retentissant – du 2 février 2009, la cour d’appel de Paris a annulé la sentence au motif de l’irrégularité de composition du tribunal arbitral (Paris, 12 févr. 2009, Tecnimont, n° , D. 2009. 2959, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2009. 186, note T. Clay ; LPA 21 juill. 2009, p. 4, note M. Henry ; Gaz. Pal., 15 déc. 2009, p. 6, obs. L. Degos ; Bull. ASA 2009. 520, note P. Schweizer ; adde L. Degos, La révélation remise en question(s). Retour sur l’arrêt de la cour d’appel de Paris J&P Avax SA c. Tecnimont SPA du 12 février 2009, Cah. arb. 2011. 54). Rappelant le principe de l’obligation de révélation, tout au long de la procédure, à la charge des arbitres, dont les « qualités d’impartialité et d’indépendance […] sont l’essence même de [l]a fonction arbitrale », la cour d’appel de Paris a estimé que les activités de conseil de sociétés du groupe auquel appartient Tecnimont par le cabinet de l’arbitre « établiss[aient] l’existence d’un conflit d’intérêts entre le président du tribunal arbitral et l’une des parties à l’arbitrage ».

À partir du deuxième acte, le débat s’est davantage placé sur la question de la célérité de la réaction des parties et plus précisément sur le point de savoir si le requérant n’avait pas renoncé à se prévaloir du grief tiré du défaut d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre en ne respectant pas les délais prévus par le règlement d’arbitrage pour la demande de récusation. La décision d’annulation a ainsi été censurée pour raison disciplinaire par la Cour de cassation le 4 novembre 2010 (Civ. 1re, 4 nov. 2010, n° 09-12.716, Tecnimont, D. 2010. 2933, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2010. 824 ; Cah. arb. 2010. 1147, note T. Clay ; JCP 2010. II. 1306, note B. Lebars et J. Juvénal ; LPA 21 févr. 2011, p. 17, obs. M. Henry ; JCP 2010. I. 1286, § 2, obs. C. Seraglini), puis l’affaire renvoyée à Reims, où, dans un troisième acte, la cour d’appel (Reims, 2 nov. 2011, n° 10/02888, D. 2011. 3023, obs. T. Clay ; RTD com. 2012. 518, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2012. 112, note M. Henry ; Cah. arb. 2011. 1109, note T. Clay ; LPA 2012, n° 142, p. 3, obs. L. Kanté ; Gaz. Pal. 2012, n° 22-24, p. 15, obs. D. Bensaude ; Bull. ASA 2012. 197, note T. P. Heintz et G. Vieira Da Costa Cerqueira) a à nouveau prononcé l’annulation de la sentence. La cour d’appel de Reims a estimé que le juge de l’annulation n’était pas tenu par le délai de recevabilité de la demande de récusation devant l’institution et que « le défaut d’information de la demanderesse sur ces faits, suivi d’une information incomplète et perlée de celle-ci, est de nature à faire raisonnablement douter de l’indépendance de l’arbitre et conduit à annuler la sentence ».

Quatrième acte, cette nouvelle décision d’annulation a elle aussi subi la censure de la Cour de cassation. Dans un arrêt du 25 juin 2014 (Civ. 1re, 25 juin 2014, n° 11-26.529 P, D. 2014. 1985 ; ibid. 1967, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 1981, avis P. Chevalier ; ibid. 1986, note B. Le Bars ; ibid. 2541, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2015. 85, note J.-J. Arnaldez et A. Mezghani ; JCP 2014. 1278, obs. T. Clay ; ibid. 857, § 4, obs. C. Seraglini ; ibid. 977, § 9, obs. C. Nourissat ; LPA 2014, n° 215, p. 5, obs. M. Henry ; Cah. arb. 2014. 547, note T. Clay), la Cour de cassation a rappelé le principe selon lequel « la partie qui, en connaissance de cause, s’abstient d’exercer, dans le délai prévu par le règlement d’arbitrage applicable, son droit de récusation en se fondant sur toute circonstance de nature à mettre en cause l’indépendance ou l’impartialité d’un arbitre, est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir devant le juge de l’annulation ».

Cinquième et avant-dernier acte : renvoyé devant la cour d’appel de Paris, le recours en annulation a cette fois été rejeté par une décision du 12 avril 2016 (Paris, 12 avr. 2016, n° 14/14884, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; H. Barbier, Le devoir de réaction du contractant : essor et limites, RTD civ. 2016. 856 ; Rev. arb. 2017. 949, note T. Clay ; Tecnimont, saison 5 : La dissolution de l’obligation de révélation dans le devoir de réaction, Cah. arb. 2016. 447 ; D. Bensaude, Aggravation significative (ou non) des doutes d’une partie sur l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre, Gaz. Pal. 12 juill. 2016, p. 268 ; JCP 2016. 900, n° 4, obs. J. Ortscheidt). Dans cet arrêt, la cour a distingué deux séries d’éléments : d’une part, ceux qui étaient antérieurs à la demande de récusation et pour lesquels la cour a considéré que la réaction de J&P Avax avait été tardive soit que la demande ait été introduite au-delà du délai prévu par le règlement CCI, soit que les éléments découverts ultérieurement étaient notoires. D’autre part, elle a jugé irrecevables les éléments découverts postérieurement à la demande de récusation au motif qu’ils n’étaient pas de nature à aggraver de manière significative les doutes qui pouvaient résulter des éléments à disposition du requérant avant sa requête en récusation. Cette décision a fait l’objet d’un pourvoi de la part de la société J&P Avax.

Sixième acte, enfin : la décision objet de ces observations. Pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation distingue elle aussi, dans trois attendus successifs, parmi les différentes catégories de circonstances invoquées par J&P Avax et en déduit, comme la cour d’appel, que le recours est irrecevable.

Par cette décision, la Cour de cassation confirme ainsi la règle selon laquelle, si l’obligation de révélation demeure le principe, les parties ont également l’obligation de réagir rapidement – le cas échéant dans les délais et selon les modalités prévus par le règlement d’arbitrage applicable –, sous peine d’irrecevabilité ultérieure du grief, y compris devant le juge de l’annulation.

Sur le principe, l’existence d’un devoir de réaction rapide, sous peine d’être présumé avoir renoncé à se prévaloir du grief se comprend aisément et doit être approuvé. Reposant sur le mécanisme de la renonciation, la règle bénéficie du soutien de l’article 1466 du code procédure civile. Elle est également opportune en ce qu’elle participe de la bonne administration de la justice, qu’elle impose de fait un devoir de cohérence dans le comportement des parties et qu’elle permet de tenir en échec les intentions dilatoires de parties qui pourraient être tentées d’attendre la fin de l’arbitrage pour en remettre en cause le résultat décevant (sur le devoir de réaction, v. l’intéressante analyse de H. Barbier, in Le devoir de réaction du contractant : essor et limites, note préc.).

Pour autant, il est permis de s’interroger sur la façon dont cette règle est mise en œuvre par la jurisprudence. En effet, la motivation de la décision de la Cour de cassation peine parfois à convaincre, notamment quant aux exceptions qu’elle envisage pour faire obstacle à la renonciation et dont nous verrons qu’elles ont été jugées non établies en l’espèce : celle dans laquelle des informations sont découvertes postérieurement, à la condition qu’elles ne soient pas notoires et celle dans laquelle des informations nouvelles sont de nature à aggraver de manière significative les doutes des parties.

Dans un premier temps, s’agissant des circonstances découvertes avant la demande de récusation, la Cour de cassation commence par faire sienne la constatation de ce que la société Avax n’avait pas mentionné précisément la découverte de nouveaux éléments, contrairement au recours en annulation. Elle approuve ensuite le raisonnement de la cour d’appel selon lequel les recherches complémentaires effectuées au mois d’août 2007 portaient sur des informations « publiques et aisément accessibles », tirées du site internet de Sofregaz et qui « auraient pu être menées le jour même de la réception du courrier de l’arbitre du 26 juillet 2007 ». Elle considère donc que c’est « sans inverser la charge de l’obligation de révélation » que la cour d’appel a estimé que la demande de récusation était tardive « pour avoir été introduite plus d’un mois après que la société Avax eut reçu les renseignements qui auraient altéré sa confiance dans le président du tribunal arbitral, sans qu’aucune information complémentaire, qui ne fût notoire, ait été entre-temps découverte ».

Ces motifs appellent plusieurs séries de remarques.

L’on partagera notamment avec un commentateur de cet arrêt certains doutes concernant la pertinence de la référence au contenu spécifique de la demande de récusation (v. Dalloz actualité, 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan Marques isset(node/194173) ? node/194173 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>194173). Il serait en effet surprenant que J&P Avax n’ait pas fait valoir en septembre 2007 des éléments dont il avait connaissance s’agissant des liens entre Sofregaz et Tecnimont, d’une part, et le cabinet de l’arbitre et Sofregaz, d’autre part. Si tel est néanmoins le cas, il suffisait de le rappeler pour que la règle de la renonciation trouve à s’appliquer sans difficulté. En revanche, dès lors que la requête en récusation visait bien le grief tiré de ces liens, pourquoi sembler exiger que la demande de récusation fasse précisément allusion aux circonstances ayant présidé à la découverte des éléments nouveaux (v. à cet égard l’analyse de J. Jourdan Marques, chron. préc. : « L’argument peine à convaincre. En effet : de deux choses l’une. Soit, première hypothèse, le lien entre l’un des clients du cabinet de l’arbitre et la partie au litige n’avait pas été invoqué lors de la requête en récusation et il suffit alors de s’arrêter là. Toute motivation supplémentaire est superfétatoire et affaiblit le raisonnement. Soit, seconde hypothèse, cette découverte avait été évoquée sans pour autant être centrale dans le raisonnement. Dans ce cas, la solution conduit à faire peser une obligation de parallélisme des formes entre la requête en récusation et le recours en annulation. Une telle exigence est dépourvue d’un quelconque fondement juridique et interdit aux parties d’affiner leur argumentation, ce qui laisse sceptique ») ?

La Cour de cassation fait également référence à l’exception selon laquelle les informations notoires ne nécessitent pas de révélation. Désormais classique (v. Paris, 13 mars 2008, n° 06/12878, D. 2008. 3111, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2011. 737, obs. D. Cohen, p. 611 ; 10 mars 2011, n° 09/28537, D. 2011. 3023, obs. T. Clay ; RTD com. 2012. 518, obs. E. Loquin ; Cah. arb. 2011. 787, note M. Henry ; Gaz. Pal. 15-17 mai 2011, p. 19, obs. D. Bensaude ; 28 mai 2013, n° 11/17672, D. 2013. 2936, obs. T. Clay Gaz. Pal. 27-28 sept. 2013. 18, obs. D. Bensaude ; 2 juill. 2013, n° 11/23234, D. 2013. 2936, obs. T. Clay ; RTD com. 2014. 318, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2013. 1033, note M. Henry ; JCP 2013. 1391, § 5, obs. J. Ortscheidt), cette exception s’applique notamment aux informations librement accessibles sur internet (Paris, 14 mars 2017, n° 15/19525, Rev. arb. 2017. 1213, note B. Zadjela), comme en l’espèce. Si une telle exception se présente ainsi comme un mécanisme assez sain et de bon sens, l’utilisation qui en est faite ici varie légèrement, car elle le critère est mis à la charge des parties et non des arbitres. La question était ici de savoir si le point de départ du délai de récusation pouvait être décalé à la découverte d’informations complémentaires. L’exception tirée de la notoriété impose ici une réponse négative : puisque les informations étaient censées être connues, leur découverte ne peut fonder le point de départ du délai.

Pour autant, cet usage de la notoriété est discutable ne serait-ce qu’au regard du flou qui entoure la notion (en ce sens, v. T. Clay, Tecnimont, saison 5 : La dissolution de l’obligation de révélation dans le devoir de réaction, note ss Paris, 12 avr. 2016, n° 14/884, Société J&P Avax c. société Tecnimont, Cah. arb. 2016. 447, n° 11) et de la confusion susceptible de s’installer entre ce qui est réellement notoire et ce qui est simplement public (v. not. M. Henry, La connaissance en arbitre de l’indépendance et l’impartialité, note ss Civ. 1re, 16 déc. 2015, Rev. arb. 2016. 537, spéc. n° 7). D’ailleurs, ainsi que l’avait fait remarquer le pourvoi, tout comme un commentateur de l’affaire (T. Clay, Cah. arb. 2016. 447, préc., n° 11 ; v. égal. J. Jourdan Marques, chron. préc.), en l’espèce, même l’arbitre semblait ignorer ce qui était supposément notoire, ce qui est de nature à jeter le trouble sur le sens réel de ce critère.

Mal délimitée, l’exception tirée de la notoriété est pourtant la source d’une obligation particulièrement lourde pour les parties, celle de se renseigner, de mener des investigations sur l’existence d’éventuels conflits d’intérêts. Là encore, cette obligation n’est pas clairement définie. D’un côté, la jurisprudence refuse de faire peser sur les parties une obligation de « dépouillement systématique des sources susceptibles de mentionner le nom de l’arbitre et des personnes qui lui sont liées » ou de poursuivre « leurs recherches après le début de l’instance arbitrale » (Paris, 14 oct. 2014, n° 13/13459, D. 2014. 2541, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2015. 151, note M. Henry ; Cah. arb. 2014. 795, note D. Cohen ; v. égal.: Civ. 1re, 16 déc. 2015, n° 14-26.279, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2016. 536, note M. Henry ; Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 27, obs. D. Bensaude ; Cah. arb. 2016. 653, note D. Cohen). De l’autre, dès lors qu’une raison de douter est portée à leur attention, elles semblent avoir l’obligation de mener l’enquête et d’agir presque simultanément. Dans l’arrêt commenté, cette obligation est sévèrement appréciée, dès lors qu’en l’espèce, J&P Avax a pris soin d’interroger l’arbitre sur ses liens avec la société Tecnimont et n’a reçu que des informations partielles.

En tout état de cause, l’obligation semble ici particulièrement lourde pour les parties puisque, au détour d’une construction jurisprudentielle et alors même qu’elles sont en situation de « créancières de l’information et non pas débitrices » (Cah. arb. 2016. 447, obs. T. Clay, préc., n° 14 ; dans le même sens, v. M. Henry, Tecnimont 2016 : le devoir de réaction à l’aune d’un arrêt réactionnaire, note ss Paris, 12 avr. 2016, Rev. arb. 2017. 949, spéc. n° 15), il leur appartient, au moindre doute, de procéder aux investigations nécessaires et saisir l’organe compétent, le tout dans un délai extrêmement bref. Lourde à mettre en œuvre, l’obligation est également lourde de conséquences. On imagine tout d’abord l’embarras des parties lorsqu’elles entendent contester l’impartialité et l’indépendance d’un membre du tribunal arbitral, dont on sait qu’il sera peut-être amené à demeurer au sein du tribunal arbitral. Sa sanction est ensuite particulièrement sévère. Paradoxalement, dans le même temps, l’obligation de révélation de l’arbitre, pourtant directement visée par les textes, est allégée d’autant. Il y a là de quoi ne pas être convaincu s’il faut interpréter la solution comme imposant l’essentiel des diligences aux parties et non à l’arbitre (dans ce sens, v. D. Bensaude, obs. ss Paris, 12 avr. 2016, n° 14/14884, Gaz. Pal. 12 juill. 2016, n° 270, p. 26 ; v. égal. J. Jourdan Marques, chron. préc.).

Dans un deuxième temps, s’agissant des nouvelles informations, portées à la connaissance de J&P Avax postérieurement à sa demande de récusation, la Cour de cassation adopte l’affirmation de la cour d’appel selon laquelle ces informations « ne faisaient que compléter celles dont elle disposait avant le dépôt de sa requête » et « n’étaient pas de nature à aggraver de manière significative ses doutes sur l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre ». Si le mécanisme présente l’intérêt de ne pas permettre aux parties de contourner à l’envi le délai de récusation en invoquant des éléments effectivement découverts plus tard, mais qui ne sont en réalité que le prolongement d’éléments dévoilés antérieurement, sa mise en œuvre pourrait se révéler délicate car elle nécessite une analyse de fond (v. M. Henry, Rev. arb. 2017. 949 préc., spéc. nos 32 s.). En l’espèce, il est permis de s’interroger sur l’appréciation par les juges d’une aggravation significative. La multiplication des liens, tout comme l’augmentation du flux d’affaires, semble tout de même de nature à aggraver les doutes des parties quant à l’indépendance et l’impartialité, quand bien même l’existence des liens entre l’une des parties et l’arbitre étaient déjà établis (v. égal. Rev. arb. 2017. 949, obs. M. Henry, préc., spéc. n° 35 ; Cah. arb. 2016. 447, obs. T. Clay, préc., n° 15). La marge d’appréciation réside à l’évidence dans l’emploi de l’adjectif « significatif », dont il faut reconnaître que le sens n’est pas particulièrement précis.

Enfin, la Cour s’intéresse à l’argument selon lequel EDF était également un client du cabinet de l’arbitre alors qu’elle avait acquis une société actionnaire majoritaire d’une autre société elle-même actionnaire majoritaire de Tecnimont en septembre 2005. Elle approuve la cour d’appel de l’avoir rejeté comme ne pouvant être de nature à créer un doute raisonnable sur l’indépendance de l’arbitre, dès lors que Tecnimont avait été cédée à une autre société à la fin du mois d’octobre 2005.

L’on sera plus tolérant à l’égard de cette motivation, dès lors qu’elle semble se référer à la nécessité, rappelée par la cour d’appel que « l’obligation d’information qui pèse sur l’arbitre » soit appréciée au regard, non seulement « de la notoriété de la situation critiquée », mais aussi « de son lien avec le litige et de son incidence sur le jugement de l’arbitre » (pour une approbation de ce critère, v. M. Henry, La connaissance en arbitre de l’indépendance et l’impartialité, note sous Civ. 1re, 16 déc. 2015, Rev. arb. 2016. 537, spéc. n° 7). Or le lien semble sur ce point effectivement ténu.

En définitive, on peut regretter que cet arrêt n’ait pas été l’occasion d’assurer un meilleur équilibre entre devoir de révélation des arbitres et devoir de réaction des parties, de façon à garantir l’exigence de leur indépendance et de leur impartialité, qui doit impérativement demeurer de l’essence de la fonction juridictionnelle de l’arbitre et que ces devoirs ne sont que des moyens de sanctionner (en ce sens, v. Rev. arb. 2017. 949, obs. M. Henry, préc., spéc. n° 4).