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Obligation et effet obligatoire de la convention d’honoraires : pas de transmission de la QPC

Il ne peut être sérieusement soutenu que la portée effective conférée à l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, et à l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 par la jurisprudence constante de la Cour de cassation méconnaît le droit du client d’un avocat à un recours juridictionnel effectif, dès lors que le client peut toujours saisir du différend le juge de l’honoraire, qui a le pouvoir de contrôler que l’accord sur les honoraires n’est affecté d’aucun vice du consentement et qu’il a été précédé d’une information autorisant un consentement éclairé.

par Gaëlle Deharole 25 janvier 2018

À l’occasion d’un litige l’opposant à un salarié de son cabinet, un expert-comptable avait confié la défense de ses intérêts à un avocat. La convention d’honoraires proposée par l’avocat ne fut pas signée par le client et un litige s’éleva sur le montant des honoraires.

Conformément à la procédure en contestation des honoraires prévue par les articles 174 et suivants du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, le bâtonnier de l’ordre compétent fut saisi de la question. Il fixa le montant des honoraires dus par le client. Celui-ci forma un recours devant le premier président de la cour d’appel, dont la décision fut frappée d’un pourvoi. Le client, demandeur à la cassation, présentait au soutien de son pourvoi un écrit distinct et motivé (C. pr. civ., art. 126-10) formulant une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ainsi rédigée : « l’interprétation jurisprudentielle constante des articles 1134, alinéa 1er, devenu article 1103, du code civil, et de l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, selon laquelle il n’appartient pas au juge de réduire le montant de l’honoraire dû à l’avocat dès lors que le principe et le montant de l’honoraire ont été acceptés par le client après service rendu, confère-t-elle à ces dispositions législatives une portée contraire à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en ce qu’elle prive le client de l’avocat d’un recours juridictionnel effectif ? »

L’article 10 de la loi n° 71-1130 prévoit que, « sauf en cas d’urgence ou de force majeure ou lorsqu’il intervient au titre de l’aide juridictionnelle totale ou de la troisième partie de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, l’avocat conclut par écrit avec son client une convention d’honoraires, qui précise, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés ». Les honoraires sont donc librement négociés avec le client, mais une convention doit être préalablement conclue.

Cette convention est un contrat à titre onéreux, qui doit satisfaire aux exigences de l’article 1128 (G. Deharo, Conditions de validité de la convention d’honoraires, Lexbase Hebdo, éd. prof., n° 252 du 23 nov. 2017) et qui, conformément à l’article 1103 (anc. art. 1134) du code civil tient lieu de loi à ceux qui l’ont fait (Civ. 2e, 27 avr. 2017, n° 14-16.319 ; Rouen, 15 sept. 1992, JCP 1993. II. 21981). Le professeur Croze a relevé que cette « contractualisation de la relation entre l’avocat et son client peut révéler de mauvaises surprises » (H. Croze, L’avocat, un commerçant comme les autres ?, JCP 2017. Repère 9), notamment lorsqu’aucune convention n’a été conclue (sur le débat de la sanction applicable, v. not. Papeete, 2 août 2017, n° 17/00008, Dalloz actualité, 13 sept. 2017, obs. L. Dargent isset(node/186462) ? node/186462 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>186462 ; Limoges, 12 sept. 2017, n° 16/014221 et n° 16/014751, Dalloz actualité, 16 nov. 2017, obs. L. Dargent isset(node/187635) ? node/187635 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>187635 ; Aix-en-Provence, 19 déc. 2017, n° 16/19160) ou lorsque les honoraires apparaissent exagérés au regard du service rendu (Civ. 1re, 3 mars 1998, n° 95-15.799) : dans cette dernière hypothèse, en effet, ni l’article 1134 (devenu art. 1103) du code civil, ni l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 n’interdisent au juge de réduire les honoraires convenus (Civ. 2e, 16 juin 2011, n° 10-14.155, « contestation d’honoraires : pouvoir du juge pour réduire ou non le montant des honoraires », Lexbase, éd. prof., n° 81 du 23 juin 2011, n° A7485HTE).

La solution, constante en jurisprudence, ne doit pas surprendre. Ce pouvoir du juge de réviser les honoraires initialement convenus puise sa source dans la limitation de la force obligatoire du contrat. Plus spécialement, la convention d’honoraires est conclue ab initio, si bien que l’avocat et son client s’accordent sur le montant des honoraires correspondant à des prestations qu’ils ne peuvent qu’imaginer, estimer et anticiper. Une réévaluation a posteriori peut donc être nécessaire pour corréler le montant des honoraires à la réalité des diligences effectuées. Aussi, ce « pouvoir modérateur du juge ne se justifie plus, dans la mesure où le client est en mesure d’apprécier le travail effectué » (B. Travier et R. Guichard, Honoraires d’avocat payés après service rendu : la Cour de cassation confirme et complète sa jurisprudence, JCP 2014. 556). En ce sens, la jurisprudence avait jugé, sous le visa des articles 10 de la loi du 31 décembre 1971 et 1134 du code civil que lorsque le principe et le montant de l’honoraire de l’avocat ont été acceptés par le client après service rendu, le juge ne peut en réduire le montant (Civ. 2e, 18 sept. 2003, n° 01-16.013, D. 2004. 2830, et les obs. , obs. B. Blanchard ; RTD civ. 2004. 114, obs. P.-Y. Gautier ; 17 févr. 2005, n° 02-14.167 ; 6 mars 2014, n° 13-14.922, D. 2014. 672 ; ibid. 2015. 35, obs. T. Wickers ; D. avocats 2014. 151, obs. D. Piau ; 5 févr. 2015, n° 14-11.947 ; 26 oct. 2017, n° 16-24.043 ; Aix-en-Provence, 10 sept. 2013, n° 12/24441). La deuxième chambre civile avait cependant précisé que « ne peuvent constituer des honoraires librement payés après service rendu ceux qui sont réglés sur présentation de factures ne répondant pas aux exigences de l’article L. 441-3 du code de commerce, peu important qu’elles soient complétés par des éléments extrinsèques » (Civ. 2e, 6 juill. 2017, n° 16-19.354, D. 2017. 2410 , note J.-D. Pellier ; ibid. 1868, chron. E. de Leiris, N. Touati, O. Becuwe, G. Hénon et N. Palle ; ibid. 2018. 87, obs. T. Wickers ; D. avocats 2017. 362, obs. G. Deharo ). En d’autres termes, c’est la valeur du consentement qui importe : soit le client accepte ab initio, par un consentement éclairé et exempt de vice, une rémunération susceptible d’être réévaluée par le juge si elle s’avère manifestement excessive, soit il accepte après le service rendu et se trouve alors en mesure d’apprécier les diligences réellement effectuées au regard du montant des honoraires sollicités.

Cette construction jurisprudentielle est cependant remise en cause en l’espèce par la QPC présentée par le demandeur à la cassation. La QPC fait l’objet du titre V bis du livre premier du code de procédure civile. La procédure repose sur deux étapes : dans un premier temps, la QPC est transmise par le juge à la Cour de cassation par le juge qui connaît de l’instance (C. pr. civ., art. 126-1 à 126-7) puis, c’est la Cour de cassation qui décide du renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel (C. pr. civ., art. 126-8 à 126-13). Saisie à l’occasion d’un pourvoi (C. pr. civ., art. 126-10), la Cour de cassation était appelée à se prononcer sur le renvoi de cette QPC au Conseil constitutionnel, selon les règles définies par les articles 23-4 à 23-7 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958.

La première de ces dispositions prévoit qu’il est procédé au renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel dès lors que les conditions prévues aux 1° et 2° de l’article 23-2 sont remplies et que la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux. Plus précisément, il est procédé au renvoi lorsque :

  1. la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;
  2. elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;
  3. la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

En l’espèce, c’est sur le fondement de l’exigence de nouveauté et, surtout, de sérieux de la question que la Cour de cassation décide de ne pas renvoyer la QPC au Conseil constitutionnel. Après avoir relevé que « la question, ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application, n’est pas nouvelle », la Cour de cassation estime « qu’il ne peut être sérieusement soutenu que la portée effective conférée à l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, et à l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 par la jurisprudence constante de la Cour de cassation méconnaît le droit du client d’un avocat à un recours juridictionnel effectif, dès lors que le client peut toujours saisir du différend le juge de l’honoraire, qui a le pouvoir de contrôler que l’accord sur les honoraires n’est affecté d’aucun vice du consentement et qu’il a été précédé d’une information autorisant un consentement éclairé ».