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Ordonnance sur requête : le secret bancaire n’est pas toujours un empêchement légitime

Le secret bancaire ne constitue pas un empêchement légitime lorsque la demande de communication de documents est dirigée contre l’établissement de crédit non en sa qualité de tiers confident mais en celle de partie au procès intenté contre lui en vue de rechercher son éventuelle responsabilité dans la réalisation de l’opération contestée.

par Mehdi Kebirle 8 décembre 2017

La question posée par cet arrêt a trait aux limites auxquelles se heurtent les mesures d’instruction in futurum lorsqu’elles touchent une partie astreinte au secret professionnel.

Ces mesures, qui peuvent être ordonnées en référé ou sur requêtes, tendent à la production ou à la conservation d’une preuve susceptible d’être versée dans le cadre d’un futur procès potentiel (C. pr. civ., art. 145). Cependant, l’obtention d’une telle mesure nécessite la preuve d’un motif légitime, lequel s’efface lorsque la personne qui supporte la mesure peut se prévaloir d’un empêchement légitime. Le droit à la preuve entre alors en conflit direct avec le secret professionnel.

Les faits de l’espèce étaient complexes. Une société, régie par le droit des Îles Caïmans, a ouvert un compte auprès d’une banque. Elle a effectué un virement bancaire, d’un montant de 50 millions de dollars, à partir d’un compte dont elle était titulaire dans une banque à Zurich vers un autre de ses comptes, ouvert dans la même banque. Le même jour, elle a transféré cette somme à une autre société sur un compte ouvert toujours dans la même banque. Quelques mois plus tard, une juridiction des Îles Caïmans a prononcé la liquidation judiciaire de la société ayant effectué les virements et a nommé trois liquidateurs qui ont présenté au président du tribunal de commerce de Paris une requête sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile. Le but était d’obtenir la désignation d’un huissier de justice chargé, d’une part, de rechercher des documents permettant d’établir la preuve que le virement fait au profit de la société bénéficiaire avait été réalisé en violation des obligations de la banque et que celle-ci avait facilité, en connaissance de cause, la réalisation d’une opération visant à détourner les avoirs de la société ayant effectué le virement, en profitant de la précarité de sa situation financière. Accédant à cette demande, un juge des requêtes a désigné un huissier de justice, avec pour mission, notamment, de rechercher et se faire remettre un certain nombre de documents et correspondances, y compris électroniques, relatifs aux relations entre les sociétés, aux virements effectués et aux opérations réalisées sur les comptes. Il a également autorisé l’huissier de justice à procéder à une copie complète de fichiers, de disques durs et d’autres supports de données qui lui paraîtraient en rapport avec la mission confiée.

L’ordonnance précisait, en outre, que les requérants devaient assigner en référé les parties visées par les mesures dans un délai de trente jours après l’exécution de celles-ci, faute de quoi le mandataire de justice devait remettre les pièces et documents recueillis à la partie dont il les aurait obtenus.

Après l’accomplissement de la mission de l’huissier, la société en liquidation a demandé au juge des référés qu’il ordonne à ce dernier de lui remettre l’intégralité des documents recueillis au cours de l’exécution de la mesure ordonné, lesquels furent placés sous séquestre.

Par une demande reconventionnelle,la banque a demandé la rétractation de l’ordonnance sur requête.

Une cour d’appel a rejeté cette demande de rétractation et a ordonné que l’huissier remette à la société en liquidation et à la banque un certain nombre de documents. Pour ce faire, la juridiction a considéré qu’en vertu des articles L. 622-6, alinéa 3, et L. 641-4, alinéa 4, du code de commerce, qui permettent au liquidateur d’une société en liquidation judiciaire d’obtenir, nonobstant toute disposition législative ou réglementaire contraire, communication par les établissements de crédit des renseignements de nature à lui donner une exacte information sur la situation patrimoniale du débiteur, les liquidateurs de la société ayant effectué le virement pouvaient obtenir communication d’éléments confidentiels relatifs au transfert de la somme en question. Ces informations avaient en effet pour seul objet de vérifier les conditions et la régularité de cette opération bancaire. Pour la cour d’appel, l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme permettait à la société ayant effectué le virement de bénéficier d’une possibilité raisonnable de présenter effectivement sa cause, y compris ses preuves, devant le juge du fond éventuellement saisi d’une action en responsabilité civile, d’autant qu’elle ne disposait d’aucun autre moyen de se procurer les preuves de l’éventuelle exécution fautive du transfert de la somme en cause.

La banque a formé un pourvoi en cassation dans lequel elle faisait valoir, en substance, que les mesures autorisées par l’ordonnance contrevenaient au secret bancaire. Or, pour la demanderesse, le secret professionnel institué par l’article L. 511-33 du code monétaire et financier constituait un empêchement légitime opposable au juge civil. En outre, l’article L. 622-6, alinéa 3, du code de commerce, applicable en cas de liquidation judiciaire par renvoi de l’article L. 641-4, alinéa 4, du même code, ne permettait au liquidateur judiciaire d’une entreprise que d’obtenir les éléments permettant de connaître la situation patrimoniale du débiteur et non celle d’autres éléments couverts par le secret professionnel du banquier.

Rejetant le pourvoi, la Cour de cassation affirme que le secret bancaire institué par l’article L. 511-33 du code monétaire et financier ne constitue pas un empêchement légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile lorsque la demande de communication de documents est dirigée contre l’établissement de crédit non en sa qualité de tiers confident mais en celle de partie au procès intenté contre lui en vue de rechercher son éventuelle responsabilité dans la réalisation de l’opération contestée.

Interprétant souverainement le droit des Îles Caïmans, la cour d’appel a pu retenir que, si la procédure de liquidation était régie par la loi de cet État, les liquidateurs de cette société avaient une mission identique à celle accordée par le code de commerce français au liquidateur judiciaire. Partant, les règles françaises dérogeant au secret bancaire étaient applicables comme étant celles de l’État dans lequel est établie la banque à laquelle les informations couvertes par le secret étaient demandées.

En vertu de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, la cour d’appel a en outre justement estimé que le droit d’information des liquidateurs de la société s’étendait à des éléments confidentiels dès lors que ces informations avaient pour objet de vérifier les conditions et la régularité de cette opération bancaire. Le juge des requêtes était donc fondé à ordonner les mesures permettant de connaître les conditions du virement litigieux et ses véritables bénéficiaires.

La Cour de cassation a déjà eu à préciser que le secret professionnel, et en particulier le secret des affaires, ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 (Civ. 1re, 3 nov. 2016, n° 15-20.495, Dalloz actualité, 16 nov. 2016, obs. M. Kebir ; ibid. 2017. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; D. avocats 2017. 31, Article G. Royer ). Le juge qui prononce une mesure d’instruction in futurum peut y déroger dès lors qu’il constate que les mesures qu’il ordonne procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées (Civ. 2e, 7 janv. 1999, n° 95-21.934, Bull. civ. II, n° 4 ; D. 1999. IR 34 ; D. affaires 1999. 294, obs. V. A.-R. ; Procédures 1999, n° 60, note R. Perrot ; Bull. Joly 1999. 666, note Lucas). Les choses sont un peu différentes en ce qui concerne le secret bancaire consacré par L. 511-33 du code monétaire et financier. Le juge civil trouve parfois dans ce secret une limite à la faculté dont il dispose d’ordonner la production de tout document qu’il estime utile à la manifestation de la vérité (v. sur ce point Com. 25 févr. 2003, n° 00-21.184, Bull. civ. IV, n° 26 ; D. 2003. 1162 , obs. V. Avena-Robardet ; RTD civ. 2003. 477, obs. J. Hauser ; RTD com. 2003. 343, obs. D. Legeais ; JCP 2003. II. 10195, note Ayissi-Manga ; RD banc. fin. 2003, n° 59, obs. Crédot et Gérard ; Banque et Droit mai-juin 2003. 56, obs. Bonneau ; ibid. 90, obs. Guillot). Une banque à qui il est enjoint de produire un tel document peut donc invoquer le secret auquel elle est astreinte pour refuser de le produire ou le communiquer. Ce droit au refus renvoie aux dispositions de l’article 11 du code de procédure civile qui prévoit qu’un empêchement légitime peut faire échec à la demande de production forcée réclamée à un tiers (Soc. 27 janv. 1999, n° 96-44.460, Procédures mai 1999. 10, obs. J.-M. S.). Appliquant cette règle à la partie au litige et non uniquement aux tiers, la Cour de cassation a érigé le secret bancaire en empêchement légitime. Partant, l’établissement bancaire peut refuser de divulguer des informations confidentielles relatives à des tiers puisque le secret professionnel auquel il est tenu constitue un empêchement légitime opposable au juge civil » (Com. 21 sept. 2010, n° 09-68.994, RTD com. 2010. 761, obs. D. Legeais ; v. déjà Com. 8 juill. 2003, n° 00-11.993, D. 2003. 2170 , obs. V. Avena-Robardet ; RTD com. 2003. 783, obs. M. Cabrillac ). La solution s’applique à propos d’une mesure sollicitée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile (v. Versailles, 26 oct. 2011, nos 11/06040 et 11/06349, D. 2012. 2826, obs. J.-D. Bretzner ). Cet empêchement légitime, résultant du secret bancaire, ne cesse pas du seul fait que l’établissement financier est partie à un procès, dès lors que son contradicteur n’est pas le bénéficiaire du secret auquel le client n’a pas lui-même renoncé (Com., 10 févr. 2015, n° 13-14.779, D. 2015. 959).

Toutefois, l’opposabilité de ce secret au juge civil n’est pas absolue. La Cour de cassation a jugé que l’établissement bancaire ne pouvait pas toujours se prévaloir de ce secret lorsqu’il était partie à un procès intenté contre lui. Plus précisément, elle a précisé, par une formule reprise dans l’arrêt rapporté, que le secret professionnel n’est pas opposable lorsque la demande est dirigée contre la banque, non pas en sa qualité de tiers confident, mais en celle de partie au procès intenté contre elle (Com. 19 juin 1990, n° 88-19.618, Bull. civ. IV, n° 179 ; D. 1992. 32 , obs. M. Vasseur ; RD bancaire et bourse 1991, n° 27, obs. Crédot et Gérard). Il en est ainsi, en particulier, lorsqu’il s’agit d’établir la responsabilité du banquier lui-même (Com. 11 oct. 2011, n° 10-10.490, Dalloz actualité, 25 oct. 2011, obs. V. Avena-Robardet ).

Cette position revient à dire que l’établissement de crédit ne peut invoquer le secret professionnel au bénéfice de sa propre défense. En l’occurrence, si la société bénéficiaire du virement avait été partie au litige et que le juge des requêtes avait ordonné à la banque, en qualité de tiers, de fournir des informations couvertes par le secret, celle-ci aurait pu se retrancher derrière le secret. Autrement dit, la banque ne peut invoquer le secret que pour faire échec à la transmission d’une information lorsqu’elle est en position de « tiers confident » pour reprendre les termes employés dans l’arrêt rapporté. Or, ce n’était pas le cas en l’espèce puisque la banque était directement concernée par une éventuelle action en responsabilité.

Cette solution semble opportune en ce qu’elle évite que l’établissement ne se réfugie derrière le secret bancaire auquel il est soumis et qu’il l’érige en moyen de défense. Cela contreviendrait au sens premier du secret bancaire « (qui) n’existe pas dans l’intérêt du banquier » (D. 1992. 32, obs. M. Vasseur ).

L’arrêt rapporté démontre aussi que dans un certain nombre d’hypothèses, « le secret recule devant des intérêts jugés supérieurs » (Rép. pr. civ., Preuve, par F. Ferrand, n° 532), au rang desquels se trouve certainement le droit à la preuve.