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Ouvrage public et droit moral de l’auteur : quel juge compétent ?

Les ouvrages publics commandés à des architectes ou à des artistes, dans le cadre d’un marché public, soulèvent des enjeux croissants en matière de propriété intellectuelle. Lorsqu’une collectivité entend modifier une œuvre sans l’accord de son auteur ou de ses ayants droit, la question de la compétence juridictionnelle devient centrale : le juge judiciaire est-il compétent pour ordonner la réinstallation d’une œuvre déplacée ? Faut-il distinguer selon la mesure sollicitée ? Une décision récente de la Cour d’appel de Paris clarifie utilement cette articulation entre les deux ordres de juridiction.

Un contentieux sensible : le droit moral face aux impératifs publics

Un sujet de propriété intellectuelle intéresse tout particulièrement les personnes publiques et fait l’objet de nombreux contentieux : l’ouvrage public réalisé dans le cadre d’un marché public, confié à un artiste ou un architecte apportant une contribution personnelle et créative. Une telle œuvre peut revêtir un caractère utilitaire, comme une fontaine, un banc public, un abribus, une passerelle ou encore une aire de jeux. Elle peut également être dénuée de toute fonction pratique et relever d’une démarche purement artistique, telle une statue, une fresque murale ou un monument commémoratif.

Son auteur bénéficie de droits moraux, perpétuels, inaliénables et imprescriptibles, dont le droit au respect de l’œuvre, qui lui permet d’interdire toute dénaturation de son œuvre, et ce, même lorsque son œuvre est utilisée dans le cadre d’un marché public.

Cependant, une collectivité territoriale peut avoir des impératifs fonctionnels, de sécurité ou budgétaires qui imposent de modifier ou de rénover l’ouvrage.

Cette tension entre le droit moral de l’auteur et les besoins obligatoires de la personne publique est à l’origine de litiges parfois complexes.

C’est ainsi qu’en septembre 2006, le Conseil d’État annulait un arrêt de cour administrative d’appel et rendait un arrêt définitif condamnant la ville de Nantes pour avoir mené des travaux de rénovation et d’agrandissement des tribunes du stade de la Beaujoire en 1998, pour accueillir les matches de la coupe du monde de football, en méconnaissance des droits d’auteur de son architecte, qui l’avait créé en 1982… Il jugeait que la ville n’avait pas établi que la dénaturation de l’anneau intérieur des gradins de l’architecte était rendue strictement indispensable par les impératifs d’augmentation de la capacité d’accueil dont elle se prévalait ; d’autres solutions techniques existant selon un rapport d’expertise réalisé à ce sujet (CE 11 sept. 2006, n° 265174, Agopyan, Lebon ; AJDA 2006. 1696 ; ibid. 2189 , note J.-D. Dreyfus ; D. 2007. 129, obs. M.-C. de Montecler , note J. Charret ; RDI 2006. 486, obs. J.-D. Dreyfus ; RTD com. 2007. 100, obs. F. Pollaud-Dulian ).

Un cas récent : Les Piliers de la République déplacés sans concertation

Plus récemment, la Cour d’appel de Paris a eu à connaître d’un litige illustrant cette problématique.

La situation initiale était la suivante. M. Guy de Rougemont, décédé le 19 août 2021, était peintre, sculpteur, et membre de l’Académie des beaux-arts. Il est l’auteur de nombreuses réalisations architecturales à travers le monde. Parmi les...

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