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Paiement des heures de délégation en situation de dispense d’activité

En cas de dispense d’activité d’un salarié titulaire d’heures de délégations, il convient de se référer aux horaires que le salarié aurait dû suivre s’il avait travaillé, ce dernier pouvant prétendre au paiement des heures de délégation prises en dehors du temps de travail résultant de son planning théorique.

par Loïc Malfettesle 15 mars 2021

Un salarié d’une société automobile, qui était par ailleurs élu membre du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), avait présenté à son employeur une demande d’adhésion au dispositif du congé de maintien de l’emploi des salariés seniors, lui permettant de bénéficier d’une période de travail à temps partiel fin de carrière, suivie d’une période totale de dispense d’activité rémunérée avant la liquidation d’une retraite à taux plein. Les parties convinrent alors d’un avenant au contrat prévoyant le passage de l’intéressé à temps partiel fin de carrière, puis une période de dispense d’activité le conduisant jusqu’à la date de liquidation de sa pension de retraite.

Le salarié, soutenant que les heures de délégations relatives à son mandat de membre du CHSCT devaient lui être versées en sus de la rémunération qui lui était versée pendant cette dernière période, a saisi les juridictions prud’homales dans la perspective d’obtenir leur paiement.

Les juridictions firent droit à la demande du salarié, estimant que celui-ci pouvait effectivement prétendre au paiement de ses heures de délégation dans la mesure où l’employeur n’avait pas défini les heures de travail théoriques du salarié placé en situation de dispense d’activité avec maintien de sa rémunération. L’employeur insatisfait de cette décision et contestant la possibilité pour le salarié de cumuler sa rémunération avec le paiement d’heures de délégation, lesquelles devaient être considérées comme intégrées à celle-ci, s’est alors pourvu en cassation.

La chambre sociale de la Cour de cassation, saisie de la question, va rejeter le pourvoi et valider le raisonnement tenu par la cour d’appel. Les hauts magistrats vont en effet rappeler le principe poser par l’article L. 4614-6 (anc.) du code du travail selon lequel l’utilisation des heures de délégation ne doit entraîner aucune perte de salaire pour le représentant du personnel, de sorte que lorsque les heures de délégation sont prises en dehors du temps de travail, en raison des nécessités du mandat, elles doivent être payées en plus des heures de travail.

La chambre sociale complète et précise le principe dans le cas d’une dispense d’activité, où la Haute juridiction affirme qu’il convient de se référer aux horaires que le salarié aurait dû suivre s’il avait travaillé, de sorte que ce dernier peut prétendre au paiement des heures de délégation prises en dehors du temps de travail résultant de son planning théorique.

Or l’employeur n’avait en l’espèce pas pris la précaution de fixer un planning théorique. Et mal lui en a pris puisque les juges en tirent la conséquence que les heures de délégations réalisées doivent être payées en sus de la rémunération versées.

Une solution rigide pour l’employeur

La solution se révèle rigoureuse pour l’employeur. Faute en effet de pouvoir déterminer si les heures de délégations ont été réalisées pendant ou en dehors des heures de temps de travail, l’application de l’ancien article L. 4614-6 conduit à devoir les régler en plus, alors que la formule de cet article se bornait à prévoir que « Le temps passé en heures de délégation est de plein droit considéré comme temps de travail et payé à l’échéance normale ».

La présente solution n’est toutefois pas sans cohérence avec la ligne jurisprudentielle antérieure. De cette formule en avait été déduit que les heures de délégation prises en dehors de l’horaire de travail doivent non seulement être rémunérées mais doivent encore l’être lorsqu’elles sont réalisées en raison des nécessités du mandat en qualité d’heures supplémentaires (Soc. 25 juin 2008, n° 06-46.223, RJS 11/2008, n° 1096). Pour la Cour de cassation en effet, ce temps de délégation est « un accessoire nécessaire du contrat de travail en cours et impliquant des contraintes qui doivent être spécialement rémunérées, lorsque les heures de délégation ne s’imputent pas sur le temps de travail effectif » (Soc. 20 mars 2002, n° 99-45.516 P, D. 2002. 1237 ). Mais quid lorsque le temps de travail effectif en question demeure théorique et n’est pas réalisé dans les faits ?

C’est là le principal apport de l’arrêt qui vient compléter la jurisprudence antérieure en faisant peser sur l’employeur la charge de définir les heures théoriques de travail du salarié placé en dispense d’activité avec maintien de sa rémunération. Cette solution s’explique par l’obligation qu’a l’employeur de fixer l’horaire de travail. Ces horaires sont en effet nécessaires pour apprécier si les heures de délégations ont été prises pendant ou hors temps de travail effectifs et méritent donc – ou non – une rémunération supplémentaire.

Or dès lors que ces horaires théoriques ne sont pas définis, la sanction est radicale et conduit au paiement des heures de délégations du salarié en sus du maintien de sa rémunération de base ». Il eut été plus avantageux pour l’employeur de retenir une solution présumant – dans la mesure où le salarié considéré n’exerce pas d’activité professionnelle en raison de la dispense dont il bénéficie – que celui-ci est libre d’effectuer sa mission de représentant du personnel pendant des horaires normaux de travail. La présente solution reviendrait à l’inverse à présumer, en l’absence de fixation des horaires théoriques par l’employeur, que les heures de délégations sont exercées en dehors du temps de travail théorique.

Or il avait déjà été jugé que l’obligation de payer à l’échéance normale le temps alloué aux membres du CHSCT pour l’exercice de leurs fonctions ne les dispense pas d’indiquer l’utilisation faite du temps pour lequel ils ont été payés (Soc. 4 févr. 2004, n° 01-46.478 P, RJS 4/2004, n° 421). Il eut été concevable de décider que le salarié qui sollicite le paiement d’heures de délégation en sus de la rémunération qui lui est versée pendant sa dispense d’activité soit dans l’obligation de justifier de la réalisation effectives de telles heures de délégation sur des périodes contraintes par l’exercice de sa mission ; ou encore de réserver l’hypothèse d’un paiement supplémentaire, en présence d’un salarié dispensé d’activité, au seul cas où il aurait été contraint de se rendre à des réunions à l’initiative de l’employeur pendant la période considérée, sauf pour lui à faire état de circonstances exceptionnelles justifiant le dépassement du crédit d’heures de délégation. La chambre sociale ne s’est toutefois pas aventurée sur ce terrain dans cet arrêt du 3 mars 2021.

Une exigence formaliste en présence d’une dispense d’activité

Les employeurs devront donc se montrer particulièrement vigilant lorsqu’un salarié titulaire d’un mandat s’engage dans un processus de retraite progressive le conduisant à une dispense d’activité avec maintien de sa rémunération, ou plus largement dans toutes circonstances impliquant une telle dispense d’activité. Faute pour eux de s’assurer de la preuve de la fixation d’un horaire de travail théorique au salarié concerné par la dispense d’activité, ils s’exposeront à une possible condamnation au paiement d’heures de délégation. Cette exigence peut sembler manquer de pragmatisme en ce qu’il n’est pas commun de délivrer un planning avec un horaire de travail qui n’a pas vocation à être réalisé. Elle prend néanmoins son sens et parait difficilement contournable lorsque l’on combine les deux obligations pesant sur l’employeur : celle de rémunérer les heures de délégations réalisées hors temps de travail et celle de fixer l’horaire de travail du salarié, qui ne disparait donc pas en cas de dispense d’activité et sans laquelle l’appréciation de la première obligation apparaît compromise.

L’article fondant la solution retenue, qui concernait le feu CHSCT, est désormais abrogé mais retrouve sa substance dans l’article L. 2315-10 du code du travail concernant les heures de délégations du Comité social et économique (CSE). La formulation de celui-ci étant reprise, force est d’admettre que la présente décision aura vocation à s’appliquer aux titulaires d’heures de délégation au titre de leur mandat de membre du CSE.