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Panneaux photovoltaïques : une nouveau coup porté à la loi Littoral sur le point d’être voté ?

Le 22 février 2022 en séance publique, le Sénat examinera la proposition de loi portée par le sénateur vendéen Didier Mandelli enregistrée à la présidence du Sénat le 11 octobre dernier et visant à permettre l’implantation de panneaux photovoltaïques sur des sites dégradés. 

Après l’avoir présentée comme « consensuel politiquement et équilibré dans sa rédaction », la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable l’a validée dans son principe non sans avoir apporté de très légères modifications, à l’occasion de sa séance du 9 février dernier.

Une reprise de l’article 102 de la loi Climat invalidé par le Conseil constitutionnel

La proposition de loi Mandelli n’est pas innovante dans son contenu et il n’a pas fallu attendre longtemps pour que le sujet de l’application de la loi Littoral aux installations de panneaux photovoltaïques revienne dans l’hémicycle.

Elle se borne à reprendre mot pour mot l’article 102 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi « Climat », qui avait été écartée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2021-825 DC du 13 août 2021 sur le fondement de l’article 45 de la Constitution qui interdit les « cavaliers législatifs ».

Elle comporte un article unique consistant dans l’ajout d’un article L. 121-12-1 du code de l’urbanisme, rédigé en ces termes :
« À titre exceptionnel et par dérogation à l’article L. 121-8, des ouvrages nécessaires à la production d’électricité à partir de l’énergie radiative du soleil peuvent être autorisés dans une friche par l’autorité administrative compétente de l’État, après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites. Le silence de l’autorité compétente vaut refus.
L’instruction de la demande d’autorisation mentionnée au premier alinéa du présent article s’appuie notamment sur une étude d’incidence, réalisée par le maître d’ouvrage, démontrant que son projet satisfait mieux l’intérêt public qu’un projet favorisant la renaturation du site et qu’il n’est pas de nature à porter atteinte à l’environnement ou aux paysages, et démontrant l’absence d’atteinte à la salubrité ou à la sécurité publiques, en situation normale comme en cas d’incident.
La liste des friches dans lesquelles ces autorisations peuvent être délivrées est fixée par décret ».

À l’occasion de son passage en commission, la proposition a été très légèrement amendée : d’une part, son intitulé est accordé avec son contenu : dans l’un et l’autre, on parlera désormais de friches ; d’autre part, il est précisé que l’étude d’incidence devra démontrer que le projet n’est pas de nature à porter atteinte à la biodiversité et que la liste des friches sera dressée par décret après consultation du conservatoire du littoral.

Un régime dérogatoire inspiré de celui en vigueur pour les activités agricoles, forestières, marines, ainsi que pour les éoliennes

L’article L. 121-8 du code de l’urbanisme pose le principe selon lequel « l’extension de l’urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants » si bien que la notion d’extension de l’urbanisation s’est retrouvée au cœur du dispositif et que la question s’est très vite posée de savoir si certaines activités ne pouvaient pas échapper à la rigueur de la loi.

Le Conseil d’État n’a néanmoins pas tardé à y répondre en jugeant que la nature de l’activité ne saurait être prise en considération pour nier à tel ou tel projet le caractère d’extension de l’urbanisation :
« Considérant qu’aux termes du I de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme : « L’extension de l’urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement » ; que l’article L. 146-1 du code de l’urbanisme dispose que les articles L. 146-1 à L. 146-9 de ce code sont applicables « à toute personne publique ou privée pour l’exécution de tous travaux, constructions, défrichements, plantations, installations et travaux divers, la construction de lotissements et l’ouverture de terrains de camping ou de stationnement de caravanes, l’établissement de clôtures, pour l’ouverture de carrières, la recherche et l’exploitation de minerais. Elles sont également applicables aux installations classées pour la protection de l’environnement » ; qu’en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu interdire en principe toute opération de construction isolée, fût-ce à usage agricole, dans les communes du littoral ; que, par suite, en jugeant ces dispositions applicables à la construction des bâtiments litigieux, qui relèvent d’ailleurs de la législation sur les installations classées, la cour n’a pas commis d’erreur de droit » (CE 15 oct. 1999, n° 198578, Lebon ; RDI 2000. 33, obs. J. Morand-Deviller ).

Sur ce point, le Conseil d’État a suivi les conclusions de son commissaire du gouvernement Laurent Touvet, qui avait souligné que « le fait que le bâtiment projeté soit destiné à une utilisation agricole ne nous semble pas empêcher d’y voir une urbanisation […]. L’urbanisation ne se limite pas à la construction de locaux à usage d’habitation ou de services » mais consiste dans « la transformation du paysage par la construction de bâtiments, quel que soit leur usage ».

Quoique rigoureuse et conforme à la loi, cette situation n’était guère tenable puisqu’elle impliquait une cristallisation radicale des campagnes destinées à rester figer jusqu’à ce qu’elles soient rattrapées par les agglomérations voisines et c’est pourquoi le législateur, à travers la loi n° 99-574 du 9 juillet 1999 d’orientation agricole, a prévu une exception pour les activités agricoles et forestières incompatibles avec le voisinage ; plus récemment et allant encore plus loin, la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (loi ELAN) a ajouter à la liste des exceptions les cultures marines et supprimé toute notion d’exploitation incompatible avec le voisinage.

À ces régimes dérogatoires, venait également s’ajouter celui propre aux éoliennes, institué par l’article 138 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, et qui prévoit que par dérogation à l’article L. 121-8 « les ouvrages nécessaires à la production d’électricité à partir de l’énergie mécanique du vent qui sont incompatibles avec le voisinage des zones habitées peuvent être implantés après délibération favorable de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme ou, à défaut, du conseil municipal de la commune concernée par l’ouvrage, et après avis de la commission départementale compétente en matière de nature, de paysages et de sites. Les ouvrages mentionnés au premier alinéa du présent article ne peuvent pas être implantés s’ils sont de nature à porter atteinte à l’environnement ou aux sites et paysages remarquables. La dérogation mentionnée au même premier alinéa s’applique en dehors des espaces proches du rivage et au-delà d’une bande d’un kilomètre à compter de la limite haute du rivage ou des plus hautes eaux pour les plans d’eau intérieurs désignés à l’article L. 321-2 du code de l’environnement. Le plan local d’urbanisme peut adapter, hors espaces proches du rivage, la largeur de la bande d’un kilomètre mentionnée au troisième alinéa du présent article » (C. urb., art. L. 121-12).

L’implantation de panneaux photovoltaïques sont qualifiables d’extension de l’urbanisation ce qui limite considérablement leur développement en zone littorale

Mettant fin à certaines divergences des juges du fond sur le sujet, le Conseil d’État a jugé que l’installation de panneaux photovoltaïques devait être qualifiée d’extension de l’urbanisation et que rien, dans la loi Littoral, ne permettait de déroger au principe de l’extension en continuité des agglomérations et villages existants :
« Il résulte des dispositions des articles L. 146-4 et suivants du code de l’urbanisme que le législateur a entendu interdire toute construction isolée dans les communes littorales et a limitativement énuméré les dérogations à cette règle. Ainsi, l’implantation de panneaux photovoltaïques, qui doit être regardée comme une extension de l’urbanisation au sens du I de l’article L. 146-4, ne peut, dès lors que ces panneaux ne constituent ni une construction ou une installation liée aux activités agricoles ou forestières, ni une construction ou une installation prévue par l’article L. 146-8 du même code, et en l’absence, en tout état de cause, de délimitation par le document local d’urbanisme d’une zone destinée à accueillir un hameau nouveau, être autorisée que si elle est située en continuité avec une agglomération ou un village existant » (CE 28 juill. 2017, n° 397783).

Dans le droit fil de cette jurisprudence du Conseil d’État, le permis de construire d’une ferme photovoltaïque située à l’écart de l’agglomération, au sein d’une zone qui comporte « une décharge, un centre technique, un centre de traitement des ordures ménagères, une déchetterie, un centre de tri, une zone de stockage, une plateforme de compostage des déchets verts, un site de compostage des algues vertes, une usine de compostage des boues de stations d’épuration, un ensemble de voiries et réseaux desservant l’ensemble du pôle de valorisation et le centre », doit être suspendue sur le fondement de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme (TA Rennes, 9 sept. 2019, n° 1904228).

La dérogation à l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme permettrait donc de développer les fermes éoliennes sur le littoral, sans avoir à s’interroger sur la situation du projet par rapport aux agglomérations existantes et sur ce point, le législateur motive très largement sa proposition par rapport à des projets existants, notamment celui de l’ile d’Yeu (2.300 heures d’ensoleillement par an) qui pourrait s’implanter sur le site d’un ancien centre d’enfouissement technique de déchets.

Quels garde-fous pour cette nouvelle dérogation au principe de l’extension de l’urbanisation en continuité des agglomérations et villages existants ?

Une localisation : les friches

Il ne s’agit pas de permettre l’installation de fermes photovoltaïques sur l’intégralité du territoire des communes littoral mais de la limiter aux zones disqualifiées qualifiables de « friches », lesquelles ont été définies par l’article L. 111-26 du code de l’urbanisme introduit par la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi « Climat », qui prévoit : « Au sens du présent code, on entend par “friche" tout bien ou droit immobilier, bâti ou non bâti, inutilisé et dont l’état, la configuration ou l’occupation totale ou partielle ne permet pas un réemploi sans un aménagement ou des travaux préalables. Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret ».

Et, la proposition de loi prévoit que les friches devront être précisément identifiées par le pouvoir réglementaire, après concertation avec le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres mentionné à l’article L. 322-1 du code de l’environnement.

La définition des friches n’en demeure pas moins extrêmement large et imprécise puisqu’un site sera qualifiable de friche dès lors qu’il est inutilisé et que son réemploi nécessite un aménagement ou des travaux préalables : des conditions relativement aisées à établir. Partant, nous pouvons craindre que la liste des friches qui sera dressée par décret soit, soit extrêmement longue, soit s’allonge opportunément au gré des projets ; en toute hypothèse, l’établissement de la liste et le refus d’y inscrire certains sites sera à n’en pas douter l’occasion de prolongements contentieux.

Un avis : celui de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites.

L’autorité compétente pour délivrer le permis de construire une installation photovoltaïque est le préfet, en application de l’article R. 422-2 du code de l’urbanisme qui prévoit que : « Le préfet est compétent pour délivrer le permis de construire, d’aménager ou de démolir et pour se prononcer sur un projet faisant l’objet d’une déclaration préalable […] pour les ouvrages de production, de transport, de distribution et de stockage d’énergie lorsque cette énergie n’est pas destinée, principalement, à une utilisation directe par le demandeur ».

Préalablement à la délivrance du permis de construire sollicité, le préfet devra prendre le soin de consulter la commission départementale de la nature, des paysages et de sites et le silence gardé par le préfet vaudra décision implicite de rejet.

Une étude : celle de l’incidence du projet sur l’environnement

La demande de permis de construire devra comprendre une étude d’incidence réalisée par le maître d’ouvrage et dont l’objet sera de démontrer : i) que le projet satisfait mieux l’intérêt public qu’un projet favorisant la renaturation du site ; ii) qu’il n’est pas de nature à porter atteinte à l’environnement, notamment à la biodiversité, ou aux paysages ; iii) l’absence d’atteinte à la salubrité ou à la sécurité publiques, en situation normale comme en cas d’incident.

Il y a fort à parier que les études d’incidence qui seront dressées par les maitres d’ouvrages se borneront pour l’essentiel toutes à faire référence aux objectifs fixés par l’article 100-4 du code de l’énergie pour répondre à l’urgence écologique et climatique et que cela suffira. C’est d’ailleurs ce que laissent entrevoir les débats parlementaires à travers les propos de Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement : « L’installation de sources d’énergie renouvelable constitue un motif d’intérêt général. Si nous voulons atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, nous devons développer massivement les énergies renouvelables – les énergies fossiles représentent encore 63 % de la consommation d’énergie finale en France ».

Enfin, la proposition de loi prévoit expressément que la dérogation à l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme pour l’installation de panneaux photovoltaïques sur les communes littorales est « à titre exceptionnel » : loin de servir de garde-fou à un aménagement de la loi littoral, l’usage d’une telle expression ne vient que confirmer le fait que la loi littoral est de plus en plus victime d’une sorte de « mitage » qui en réduit considérablement la portée. La statue est toujours debout et a belle allure. Mais elle est rongée de l’intérieur.