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« Paquet anticorruption » de l’Union européenne : vers un nouveau corpus européen ? Contexte, enjeux et perspectives

« Aujourd’hui, je voudrais attirer l’attention sur la corruption, sous tous ses visages. Qu’elle prenne le visage d’agents étrangers qui tentent d’influencer notre système politique. Ou celui de sociétés ou fondations écrans qui détournent des fonds publics. (…) La corruption sape la confiance placée dans nos institutions. Nous devons donc la combattre avec toute la force du droit ».

par Vincent Filhol, Magistratle 17 juillet 2023

C’est par ces mots, prononcés par la présidente de la Commission Ursula von der Leyen le 14 septembre 2022 devant le Parlement européen, qu’une réforme d’ampleur anticorruption au niveau de l’Union européenne a été annoncée il y a moins d’un an. Ce discours sur l’état de l’Union 2022 faisait ainsi état de l’importance de renforcer l’arsenal anticorruption de l’Union européenne, et annonçait plusieurs mesures en la matière (« Nous durcirons nos normes pour des délits tels que l’enrichissement illicite, le trafic d’influence et l’abus de pouvoir, au-delà des délits plus classiques comme le versement de pots-de-vin. Et nous proposerons en outre d’inclure la corruption dans notre régime de sanctions en matière de droits de l’homme, notre nouvel outil de protection de nos valeurs à l’étranger »). Ainsi, le 3 mai dernier, la Commission européenne a présenté son nouveau « paquet anticorruption », comme une réponse directe à l’Eurobaromètre publié en juillet 2022, selon lequel 68 % des citoyens européens (et 62 % des entreprises établies dans l’UE) estiment que la corruption est encore répandue dans leurs pays, plus particulièrement dans les institutions publiques, tandis qu’un autre baromètre de 2022 établit que plus d’un tiers des entreprises établies dans l’Union européenne considèrent la corruption comme une difficulté dans la vie des affaires.

Ces annonces fortes sont avant tout le fruit d’une impulsion particulière prise par la « Commission von der Leyen », depuis son entrée en fonction fin 2019. Dès 2020, la Commission a ainsi voulu présenter un rapport annuel sur l’état de droit, faisant le point sur la situation de l’état de droit dans chaque État membre, notamment en matière d’anticorruption. Le dernier rapport, récemment publié, fait le point sur les progrès réalisés et restant à accomplir.

Un corpus européen déjà existant

L’Acte du Conseil du 27 septembre 1996 établissant un Protocole à la Convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes a voulu spécifiquement incriminer les actes de corruption (passive et active) commis par les fonctionnaires communautaires ou d’États membres, portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés européennes. En outre, l’Acte du Conseil du 26 mai 1997 établissant la Convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés ou des fonctionnaires des États membres de l’Union européenne, établit des règles concernant les actes de corruption dans lesquels sont impliqués des fonctionnaires des Communautés ou des fonctionnaires des États membres en général. En complément, une décision-cadre 2003/568/JAI du Conseil du 22 juillet 2003 relative à la lutte contre la corruption dans le secteur privé vise à faire en sorte que la corruption active et passive dans le secteur privé constitue des infractions pénales dans les États membres.

Surtout, la directive (UE) 2017/1371 sur la protection des intérêts financiers de l’Union de 2017 rappelle l’importance de la lutte contre la corruption et demande aux États membres, d’incriminer les faits de corruption active et passive qui portent atteinte aux intérêts financiers de l’Union. Cette directive constitue le socle de compétence matérielle du Parquet européen, et selon le rapport annuel de ce dernier pour l’année 2022, 87 enquêtes ont été ouvertes pour corruption publique active et passive depuis son entrée en fonction, en plus des nombreuses enquêtes ouvertes pour détournements et fraudes liées aux marchés publics.

Enfin, d’autres instruments de l’Union à visée plus transversale permettent de lutter contre la corruption : directive (UE) 2019/1037 sur les lanceurs d’alerte, directive 2014/42/UE sur le gel et la confiscation du produit du crime (en cours de refonte), directive (UE) 2018/1673 sur la lutte contre le blanchiment de capitaux, réglementation concernant les visas et passeports « dorés »,…

Un corpus international déjà étoffé

Si la Commission veut légitimement impulser une nouvelle dynamique anticorruption au sein des États membres de l’UE, force est de constater que ces derniers sont, depuis plus de vingt ans, parties à plusieurs conventions internationales prévoyant des mesures très concrètes de lutte contre la corruption.

La Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, adoptée en 1997 et incriminant la corruption active d’agent public étranger, a ainsi été ratifiée par la quasi-totalité des États membres de l’Union (tous sauf Chypre, la Croatie, Malte et la Roumanie).

La Convention des Nations unies contre la corruption de 2003, dite Convention de Merida, la plus universelle et la plus détaillée, a été ratifiée par tous les États membres de l’Union, et par l’Union européenne elle-même.

Enfin, tous les États membres de l’Union sont membres du Groupe d’États contre la corruption du Conseil de l’Europe (GRECO), qui est l’organisme en charge de faire respecter un large référentiel anticorruption du Conseil de l’Europe, et notamment la Convention pénale sur la corruption du Conseil de l’Europe, en vigueur depuis 2002.

Un nouveau corpus européen original

Le corpus européen présenté il y a quelques semaines est hybride en ce qu’il s’inspire fortement de l’existant (reprise d’éléments de fond d’instruments internationaux rappelés ci-avant), tout en faisant preuve d’innovations (éléments de prévention et création d’un nouveau régime de sanctions).

Communication de la Commission

Cette communication, publiée le 3 mai 2023, annonce notamment la création d’un réseau anticorruption au niveau européen, avec des points de contact nationaux, ainsi que des actions de cartographie et de sensibilisation. Une stratégie européenne anticorruption est également annoncée, sans plus de détails à ce stade sur son contenu.

Le projet de directive relative à la lutte contre la corruption

Un volet répressif déjà annoncé

Le projet de directive, qui couvre la corruption publique et privée, prévoit plusieurs incriminations pénales devant être adoptées par les États membres (avec une harmonisation des définitions), afin de favoriser la coopération pénale internationale. De manière assez classique, sont détaillées les incriminations de : corruption active et passive dans le secteur public (art. 7) et privé (art. 8), détournement de fonds publics et privés (art. 9), trafic d’influence (art. 10), abus de fonctions (art. 11), entrave au bon fonctionnement de la justice (art. 12), enrichissement lié aux infractions de corruption (art. 13), incitation, complicité et tentative (art. 14). Pour toutes ces infractions, des sanctions minimales applicables aux personnes physiques sont détaillées (art. 15).

Le projet rappelle également le principe de la responsabilité pénale des personnes morales, « lorsque (les infractions) sont commises à leur profit par toute personne physique, agissant soit à titre individuel, soit en tant que membre d’un organe de la personne morale, qui exerce un pouvoir de direction en son sein », et « lorsque le défaut de surveillance ou de contrôle de la part d’une personne visée au paragraphe 1 a rendu possible la commission, y compris par une personne placée sous son autorité, de l’une des infractions pénales définies par les articles 7 à 14 au profit de ladite personne morale ». Des sanctions spécifiques sont prévues pour les personnes morales, notamment avec pourcentage minimal du chiffre d’affaires mondial total de l’acteur en cause (art. 16 et 17). S’agissant de la compétence territoriale, il est notamment prévu qu’elle doit être établie par un État membre quand « l’infraction a été commise au profit d’une personne morale établie sur son territoire » (art. 20).

Des circonstances aggravantes sont énumérées, ainsi, quand l’auteur a « obtenu un avantage considérable ou l’infraction a causé un préjudice considérable », mais aussi des circonstances atténuantes, par exemple, quand les personnes en cause ont volontairement révélé les faits ou collaboré avec les autorités, ou « mis en œuvre des programmes efficaces de contrôle interne, de sensibilisation à l’éthique et de conformité afin de prévenir la corruption avant ou après la commission de l’infraction » (art. 18). Enfin, il est prévu d’instaurer des délais minimums de prescription de l’action publique (art. 21), ainsi que des règles de protection pour les personnes qui dénoncent des faits de corruption ou qui concourent à l’enquête (art. 22).

Un volet préventif récemment apparu

Le projet de texte contient un volet relatif à la prévention de la corruption, ce qui n’était pas le cas dans les annonces de septembre 2022. Or, en avril 2023, le comité européen d’éthique, réunissant douze autorités de pays membres de l’Union européenne actives sur les sujets d’intégrité publique (dont la HATVP), s’est exprimé sur le sujet, en demandant que des mesures de prévention de la corruption soient incluses dans le nouveau paquet, à côté du volet civil et pénal. En outre, les consultations réalisées depuis l’automne dernier ont confirmé cette demande de volet préventif.

L’article 3 du projet de directive contient donc un volet « prévention de la corruption », avec des aspects de sensibilisation et d’éducation, des cartographies des risques à réaliser par les États, et une cartographie commune des risques à réaliser d’ici 2024 par la Commission en concertation étroite avec les États. Si le texte demande aux États membres de prendre toutes mesures possibles pour prévenir la corruption dans le secteur public comme dans le secteur privé (y compris en matière de gestion des conflits d’intérêts et de déclarations de patrimoine des agents publics), il n’impose pas comme la loi dite « Sapin 2 » en France, de programmes de conformité applicables aux entreprises d’une certaine taille. Enfin, l’article 4 se concentre sur les organes spécialisés anticorruption et notamment ceux dédiés à la prévention, en demandant qu’ils soient « fonctionnellement indépendants du gouvernement » et qu’ils bénéficient de ressources suffisantes.

L’extension du régime de sanctions « PESC » à certains faits de corruption

Le projet consiste en une extension du régime de sanctions déjà existant (lié à la politique étrangère et de sécurité commune), à certains faits de corruption. Il s’appliquerait aux faits de corruption active, corruption passive, et détournement de fonds publics, commis par des personnes dans des pays tiers, et portant atteinte aux objectifs de la PESC (notamment, protection de la démocratie, de l’État de droit et de la stabilité politique). Les sanctions applicables seraient les mêmes que celles déjà pratiquées de manière générale par l’Union européenne (gel des avoirs, interdictions de séjour pour les auteurs et complices…).

Perspectives

Quelques semaines à peine après les annonces de la Commission Ursula von den Leyen de septembre 2022, éclatait le scandale du Qatargate, rendant urgente pour beaucoup la nécessité d’une refonte de l’arsenal anticorruption, non pas au niveau des États, mais des institutions européennes elles-mêmes.

Ainsi, dès sa prise de fonction en 2019, la présidente de la Commission avait appelé de ses vœux la création d’un organe éthique indépendant, chargé de contrôle la « transparence et l’intégrité » des institutions européennes. Quelques mois après le Qatargate, le premier projet d’organe éthique européen a été présenté le 12 juin dernier, et cet organe aurait notamment la charge des problématiques des conflits d’intérêts et du lobbying, au sein des institutions européennes. Un accord interinstitutionnel devra statuer sur son établissement et ses attributions précises, d’autant plus que le 13 juillet, les eurodéputés ont demandé à ce que le projet soit revu en faveur d’un organe réellement indépendant et bénéficiant de plus de pouvoirs.

Une autre avancée institutionnelle majeure serait l’adhésion de l’Union européenne au GRECO, alors qu’aujourd’hui, l’Union n’a qu’un statut d’observateur, contrairement à la Convention de Merida où elle est partie.

Enfin, nul ne doute que le Parquet européen, qui a acquis, en deux ans d’existence, une véritable légitimité sur la lutte contre les fraudes portant atteinte aux intérêts de l’Union, pourrait être impacté par un renforcement global de la répression européenne contre la corruption.