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À Paris, un furtif rassemblement sur les marches du palais contre « la loi de programmation sur la justice »

Il ne s’agissait en réalité que d’un rassemblement symbolique de toutes les professions de la justice, avant la grande manifestation du 11 avril. Néanmoins, les avocats parisiens se sont une fois de plus distingués par leur manque d’implication dans les mouvements sociaux.

par Julien Mucchiellile 2 avril 2018

Après qu’ils se furent rassemblés sur les marches du palais de justice de Paris, vendredi 30 mars à 13h, pour, disent-ils, « montrer leur désaccord complet avec la loi de programmation sur la justice », les avocats du barreau de Paris, au nombre de cinquante environ, ont quitté les lieux en toute discrétion, après 22 minutes de présence au cours desquelles certains ont même entonné des chants anti-réforme. Alors, seuls flottaient les drapeaux de l’Union syndicale des magistrats (USM) ou de l’UNSA Services judiciaires, qui, battus par les vents, étaient visibles jusqu’à 13h35 par les touristes venus baguenauder dans la cour du Mai – probablement reconnaissants d’avoir été gratifiés d’un spectacle si « typique » en ces lieux grandioses (il y eut même plusieurs interventions au mégaphone).

L’initiative émanait des syndicats de magistrats et de fonctionnaires de la justice, qui avaient appelé à des rassemblements, dans tout le pays, contre le projet de loi de réforme de la justice. Les avocats s’y sont joints pour « montrer que tous les métiers de la justice sont unis contre ce projet », a expliqué la bâtonnière Marie-Aimée Peyron (v. Dalloz actualité, 21 mars 2018, art. J. Mucchielli isset(node/189779) ? node/189779 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189779 ; ibid., 12 mars 2018, art. T. Coustet isset(node/189579) ? node/189579 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189579).

Manifestement déterminée à poursuivre la mobilisation, Me Peyron a dénoncé, une fois de plus, le « retour en arrière » que constituerait une telle réforme, notamment en matière de procédure pénale. Elle s’inquiète également des réformes prévues en procédure civile, qui visent, selon elles, à ce que « les justiciables ne saisissent plus la justice », notamment par la suppression de nombreuses démarches physiques (la « dématérialisation »). L’expérimentation des « tribunaux criminels », juridiction à cinq magistrats qui remplaceront les cours d’assises, en première instance, pour juger les crimes punis de vingt ans de réclusion, suscite également des inquiétudes.

Sur le plan de la mobilisation, Madame le bâtonnier a expliqué qu’il s’agissait ce jour de montrer une présence et d’alerter en prévision de la mobilisation du 11 avril, qui devrait noircir la place Dauphine, mais « la nature de la manifestation n’est pas encore décidée ».

Fabrice Loiseau, greffier syndiqué à l’UNSA, espère que ce rassemblement très faible, voire furtif, ne présage pas d’un découragement pour le 11 avril – date prévue pour une manifestation nationale dans les rues de Paris (un départ est prévu place Dauphine, derrière le Palais de justice). Il évoque principalement la réforme de la carte judiciaire, qui instaurerait des tribunaux départementaux dits « de pleine compétence », reléguant les autres tribunaux du même département à quelques contentieux déterminés. Délestés en effectif, ces tribunaux seraient pourvus en fonctionnaires et magistrats « volants », basés dans le tribunal départemental. « Nous pensons à tous les fonctionnaires, mais aussi aux justiciables, qui se seront privés d’un accès à la justice », explique Fabrice Loiseau. Il espère qu’une grande mobilisation incitera le gouvernement à revenir sur certains points.

Le principe d’action de cette journée du 30 mars, annonçaient les syndicats, était le « renvoi de toutes les audiences », sauf lorsque l’incarcération était en jeu - ce qui est fréquent en contentieux pénal. La plupart des avocats, arguant de l’intérêt prioritaire du client, ont plaidé leurs dossiers, dans toutes les chambres. À la 23e chambre néanmoins, où l’on juge les comparutions immédiates, la présidente Françoise Quilès a renvoyé d’office un dossier (qui venait sur renvoi), dans lequel un prévenu comparaissait libre. Elle a justifié cette décision par la mobilisation intersyndicale, et ni les procureures (elles étaient deux sur l’estrade), ni la défense ne s’y sont opposées. Une excellente occasion de dégarnir le rôle de cette audience toujours surchargée, et de faire trembler le gouvernement dans le même temps.

Dans les autres tribunaux, des corbillards étaient préparés pour transporter symboliquement la « justice » dans son tombeau, des mannequins parés d’une robe noire étaient pendus dans des salles de pas perdus. Le tribunal de Bobigny, dont le parvis était jonché de couronnes mortuaires, annonçait une grève dure et le renvoi de toutes les comparutions immédiates. À Nanterre, les avocats tractaient en nombre devant le tribunal. Paris a su une nouvelle fois se démarquer par le désintérêt patent de ses avocats, non pour le sujet en lui-même, mais pour la mobilisation.

Malgré la présence de la bâtonnière et de son second Basile Ader, de membres de l’Union des jeunes avocats, du Syndicat des avocats de France, et de quelques avocats réputés hostiles à la réforme (dont le président de l’association des avocats pénalistes Christian Saint-Palais), la ferveur dans les rangs du premier barreau de France ne s’est pas manifestée par le nombre. Me Saint-Palais semble s’en être rendu compte. Il a tweeté : « Quand je vois la mobilisation des confrères partout en France, je me dis que nous, avocats du barreau de Paris, Il nous faudra savoir, un jour, présenter des excuses. » 

Le gouvernement maintient néanmoins le cap de la réforme. La Chancellerie assure par ailleurs que, contrairement à ce qui a été dit, les contacts avec les instances de la profession d’avocat notamment ont été réguliers.