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Parité aux élections des représentants du personnel : le réalisme de la Cour de cassation

La Cour de cassation a été confrontée, dans deux affaires qui lui ont été soumises, à la règle de l’alternance entre les candidats des deux sexes, d’une part et, à celle de la présence de candidats reflétant la proportion d’hommes et de femmes au sein du collège électoral concerné.

par Julien Cortotle 5 juin 2018

La loi n° 2015-994 du 17 août 2015, relative au dialogue social et à l’emploi dite « Rebsamen » et applicable à compter du 1er janvier 2017, a entendu concrétiser les objectifs de représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les élections professionnelles. Le législateur a ainsi imposé, sous peine d’annulation de l’élection d’une partie des élus du sexe en surnombre, d’une part une concordance de composition entre le collège électoral et la liste présentée lors des élections et, d’autre part, une alternance de composition, les listes soumises au vote devant contenir alternativement un candidat de chaque sexe, jusqu’à épuisement des candidats d’un des sexes. Ces dispositions, prévues dans le code du travail aux articles L. 2314-24-1 pour les élections des délégués du personnel et L. 2324-22-1 pour celles des membres du comité d’entreprise, n’ont pas été modifiées à l’occasion de la création du comité social et économique par les ordonnances Macron. L’article L. 2314-30 du code du travail, qui reproduit le dispositif pour le comité social et économique (CSE), a par contre intégré une correction de la règle d’arrondi posée pour le calcul de la proportion d’hommes et de femmes (sur ce point, le Conseil constitutionnel a décidé, à propos des dispositions anciennes, d’une réserve d’interprétation allant dans le même sens, Cons. const. 19 janv. 2018, n° 2017-686 QPC, D. 2018. 119 ).

C’est à l’application de ces règles de concordance et d’alternance que la Cour régulatrice a été confrontée dans deux arrêts du 9 mai 2018.

Dans la première affaire (n° 17-60.133), une liste de candidats présentée dans le cadre d’une élection ne respectait pas la règle de l’alternance. C’est ainsi qu’une femme avait été élue en deuxième position sur la liste alors que c’est un homme qui aurait dû y figurer. La violation de la règle de l’alternance était établie et aurait donc dû conduire à l’annulation de l’élection de tout élu dont le positionnement sur la liste de candidats ne la respectant pas, ce que demandait en l’espèce un syndicat concurrent de celui ayant présenté la liste litigieuse.

La Cour de cassation ne remet pas en cause cette sanction mais tempère son application en refusant de l’appliquer inutilement, tout comme l’avait fait le juge d’instance saisi de l’affaire.

Elle considère, en effet, que l’annulation n’est pas encourue si la règle de la concordance entre la composition du collège et celle de la liste de candidats est, par ailleurs, respectée, et que tous les candidats de la liste ont été élus.

On est tenté d’approuver le raisonnement. En effet, dans ces circonstances, pourquoi annuler l’élection des candidats mal positionnés dès lors qu’ils ont tous été élus (et que la règle de concordance est respectée) ? L’objectif de parité est atteint et aucun candidat n’est lésé. Même si, de part le positionnement sur la liste ainsi validé par les juges du droit, l’« idéal de parité » que traduit la représentation équilibrée et en alternance peut paraître, sur la liste présentée, et donc sur le papier, intellectuellement bafoué, il est en pratique bien respecté. La seule véritable objection pourrait être de considérer que si la liste avait été présentée de manière différente – c’est-à-dire en respectant l’alternance entre candidats et candidates – peut-être aurait-elle obtenu moins de voix et, partant, moins d’élus. Tous les candidats de la liste n’auraient peut être alors pas obtenu un siège et une partie des élections auraient encouru l’annulation.

Dans la seconde affaire (n° 17-14.088), promise à la plus large diffusion, la chambre sociale a traité un problème inédit depuis l’application de la loi Rebsamen. Il s’agit de l’application de la règle de concordance (c’est-à-dire de la proportionnalité) alors qu’un seul candidat figure sur une liste, quand bien même plusieurs sièges étaient à pourvoir lors des élections. En l’espèce, et alors que deux sièges étaient à pourvoir, une liste syndicale ne comportait qu’un seul candidat (un homme). Les règles de calcul de la concordance entre les listes et le collège électoral considéré donnaient, pour les deux personnes à élire, un homme et une femme, ce dernier sexe étant majoritaire dans le collège (77 %).

On sait que traditionnellement la Cour de cassation ne s’oppose pas aux listes de candidats incomplètes ni même aux listes contenant un seul candidat bien que plusieurs sièges soient à pourvoir lors des élections ou si l’instance, comme c’est le cas du comité d’entreprise, est collégiale (Soc. 17 déc. 1986, n° 86-60.278, Bull. civ. V, n° 608 ; 10 janv. 1989, n° 87-60.309, Bull. civ. V, n° 6 ; 9 nov. 2016, n° 16-11.622).

Les règles de la représentation équilibrée remettent en cause, au moins pour partie, cette possibilité.

En l’espèce, le juge d’instance avait entendu rejeter la demande d’annulation, considérant la lettre du texte de l’article L. 2324-22-1 précisant que « les listes […] qui comportent plusieurs candidats sont composées d’un nombre de femmes et d’hommes correspondant à la part de femmes et d’hommes inscrits sur la liste électorale ». Il en déduisait, par un raisonnement a contrario, que cette obligation ne s’imposait pas aux listes ne comportant qu’un seul candidat. La Cour régulatrice écarte ce raisonnement, bien que parfaitement cohérent au regard de la loi.

Les juges du droit retiennent que deux sièges étant à pourvoir, l’organisation syndicale était tenue de présenter une liste conforme à l’article L. 2324-22-1 du code du travail, interprété conformément à la décision susvisée du Conseil constitutionnel, c’est-à-dire comportant nécessairement une femme et un homme, ce dernier au titre du sexe sous-représenté dans le collège considéré. Dans ces conditions, il était donc impossible de présenter une liste contenant une unique candidature.

La Cour de cassation justifie ce raisonnement par la volonté du législateur concernant la représentation équilibrée, volonté manifestement mal traduite dans les textes appliqués. Ainsi, dans sa note explicative de l’arrêt, la juridiction reprend-t-elle l’exposé des motifs du projet de texte législatif dont sera issue la loi Rebsamen, et plus spécifiquement le fait qu’il « vise à améliorer la représentation équilibrée des femmes et hommes dans les institutions représentatives du personnel. Il introduit l’obligation pour les listes aux élections professionnelles de comporter une proportion de femmes et d’hommes qui reflète leur proportion respective dans les collèges électoraux. Le non-respect de cette obligation entraîne l’annulation de l’élection du ou des candidats du sexe sur-représenté au regard de la composition sexuée que devait respecter la liste électorale ». La mise à l’écart d’une interprétation à la lettre du code du travail qu’a retenu le juge d’instance est ainsi justifiée par l’objectif visé par la loi.

Ainsi, non seulement la règle de concordance s’applique dans tous les cas mais elle exige, selon la décision, en présence de deux sièges à pourvoir, que la liste électorale contienne deux candidats dont le sexe respecte le principe de concordance. La Cour de cassation rejette, en effet, la possibilité de ne présenter qu’un candidat dont le sexe correspond à celui de la majorité du collège électoral, toujours sur le fondement de « l’objectif de mixité voulu par le législateur », peut-on lire dans la note explicative.

Au regard de la reprise des dispositions antérieures sur ces points, les décisions présentées sont transposables aux élections des membres du CSE.