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La parité : finalité de l’obligation d’alternance entre candidats aux élections professionnelles

L’obligation d’alternance entre les candidats des deux sexes en début de liste est proportionnée à l’objectif de parité recherché par la loi.

par Valéria Ilievale 13 novembre 2019

Aux termes du premier alinéa de l’article L. 2314-30 du code du travail, pour chaque collège électoral, les listes des candidats aux élections professionnelles sont composées d’un nombre de femmes et d’hommes correspondant à la part de femmes et d’hommes inscrits sur la liste électorale. S’agissant de leur rang, la dernière phrase de ce même alinéa premier pose une obligation d’alternance, dès lors qu’il précise que ces listes sont composées alternativement d’un candidat de chaque sexe jusqu’à épuisement des candidats d’un des sexes.

Objet d’une question prioritaire de constitutionnalité sur laquelle s’est prononcée en l’espèce la Cour de cassation le 24 octobre 2019, cette règle de l’alternance instituée par la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, dite « loi Rebsamen » (loi préc., art. 7), n’est pas dénuée d’enjeux. En effet, en cas de manquement à celle-ci, l’élection de tout élu dont le positionnement sur la liste de candidats ne respecte pas ces prescriptions est annulée (Soc. 9 mai 2018, n° 17-14.088 P, Dalloz actualité, 5 juin 2018, obs. J. Cortot ; D. 2018. Actu. 1018 ; ibid. 1706, obs. Sabotier  ; Dr. soc. 2018. 921, note Petit ; RJS 7/2018, n° 491 ; JSL 2018, n° 456-1 ; JCP S 2018. 1219, obs. Bossu) – à moins que la liste corresponde à la proportion de femmes et d’hommes au sein du collège concerné et que tous les candidats de la liste aient été élus (Soc. 6 juin 2018, n° 17-60.263 P, D. 2018. Actu. 1261 ; RJS 8-9/2018, n° 553 ; JCP S 2018. 1248, obs. Bossu). Hormis ces hypothèses, il n’empêche qu’une méconnaissance de la règle de l’alternance oblige l’employeur à organiser des élections partielles (Cons. const. 13 juill. 2018, nos 2018-720 à 2018-726 QPC : D. 2018. Actu. 1498 ; Constitutions, 2018. 407. note Petit ; RJS 10/2018, n° 620).

La règle de l’alternance peut aussi susciter la controverse dès lors qu’elle aboutit, comme en l’espèce, à une surreprésentation du sexe minoritaire au sein du comité social et économique. À titre d’illustration, prenons un syndicat qui présenterait une liste composée de sept candidats et de trois candidates conformément à la part de femmes et d’hommes inscrits sur une liste électorale. En application de la règle de l’alternance, leur ordonnancement sur la liste des candidats doit être effectué en alternant entre chaque sexe. Dans notre exemple, bien que les femmes soient minoritaires dans l’entreprise, les trois candidates vont se retrouver en tête de liste du fait de cette règle. Ainsi, les femmes auront de meilleures chances d’être élues que les hommes.

La constitutionnalité d’une telle surreprésentation en raison de la règle de l’alternance était en l’espèce contestée par les requérants, à savoir l’Union départementale des syndicats FO du Val d’Oise et, il convient de le relever, par plusieurs hommes. De manière plus précise, ceux-ci soutenaient que la règle de l’alternance était incompatible avec le principe d’égalité devant la loi tel qu’il ressort du second alinéa de l’article 1er de la Constitution, aux termes duquel « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ». De même, était invoqué le grief tiré d’une méconnaissance du principe de participation garanti par l’alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

Exerçant son rôle de filtre, la Cour de cassation décide de ne pas transmettre la question formulée. Sans surprise, les magistrats commencent par observer que la question posée n’est pas nouvelle. En effet, rappelons que, dans une décision du 19 janvier 2018, le Conseil constitutionnel avait déjà statué en faveur de la conformité de la règle issue de l’article L. 2314-30, ex-article L. 2324-22-1 du code du travail, même si le Conseil avait assorti sa décision d’une réserve d’interprétation concernant la règle de l’arrondi (19 janv. 2018, décis. n° 2017-686 QPC, D. 2018. Actu. 119 ; Constitutions, 2018. 183 ; A. de Tonnac, Sur la conformité constitutionnelle de la représentativité proportionnée aux élections professionnelles, Lettre Actualités Droits-Libertés du CREDOF, 15 mars 2018). Il reste que, dans le cas ayant donné lieu à la décision du 19 janvier 2018, l’application de la règle de l’alternance avait abouti à une situation de sous-représentation des candidats du sexe minoritaire et non pas à une surreprésentation, comme en l’espèce.

Cette situation explique sans doute la diligence dont fait preuve en l’occurrence la Cour de cassation lorsqu’elle procède à l’examen des autres conditions nécessaires à la transmission de la question au Conseil constitutionnel, alors que l’absence de nouveauté de cette question aurait suffi, à elle seule, à justifier la décision de non-renvoi. Pour appuyer encore plus cette dernière, les magistrats décident également que l’invocation du second alinéa de l’article 1er de la Constitution, en vertu duquel « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes […] aux responsabilités professionnelles et sociales », ne consacre pas de liberté ou de droit garanti par la Constitution. Allant plus loin, la chambre sociale dénie enfin tout caractère sérieux à la question posée.

Concernant l’absence de liberté ou de droit garanti par la Constitution, de prime abord, la solution n’étonne guère. En effet, la Cour de cassation reprend une décision du Conseil constitutionnel du 24 avril 2015, dans laquelle il a été jugé que le second alinéa de l’article 1er n’instituait pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit, dont la méconnaissance pourrait être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité (Cons. const., 24 avr. 2015, n° 2015-465 QPC, consid. 14, Dalloz actualité, 5 mai 2015, obs. M.-C. de Montecler ; AJDA 2015. 836 ; ibid. 1552 , note A. Legrand ; D. 2015. 926 ; ibid. 2016. 915, obs. REGINE ; Constitutions 2015. 262, chron. O. Le Bot ). Cette même décision précisait toutefois que ceci n’interdit pas au Conseil d’en connaître, lorsqu’il examine la conciliation opérée par le législateur entre le principe d’égalité et l’objectif de parité (même décision, consid. 10). Sachant que la règle de l’alternance est un moyen permettant d’atteindre l’objectif de parité (rapport n° 2932, Ass. nat., XIVe législature de M.-C. Sirugue, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 1er juill. 2015, nouvelle lecture par l’Ass. nat. après la CMP, p. 27). La Cour de cassation aurait donc pu considérer que le principe d’égalité devant la loi était invocable à l’appui de la question prioritaire de constitutionnalité. Le fait qu’elle décide du contraire semble être un marqueur de l’importance qu’accordent les magistrats à l’objectif de parité recherché par le législateur au travers de la règle de l’alternance.

La reconnaissance prétorienne de la parité comme finalité de l’obligation d’alternance ressort d’autant plus avec l’examen du caractère sérieux de la question posée. À l’appui de l’absence d’une telle qualité, les juges rappellent qu’il est permis au législateur d’adopter des dispositions revêtant un caractère contraignant tendant à rendre effectif l’égal accès des hommes et des femmes à des responsabilités sociales et professionnelles. En creux, les juges reconnaissent la possibilité pour le législateur d’adopter des dispositions tendant à assurer la parité. Or l’obligation d’alternance des candidats de chaque sexe a été justement pensée par le législateur comme un moyen au service de la parité, compte tenu de la sous-représentation des femmes dans les instances représentatives du personnel (rapport n° 2792, Ass. nat., XIVe législature de M.-C. Sirugue, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 21 mai 2015, p. 141). En décidant que l’obligation d’alternance entre les candidats des deux sexes en début de liste est proportionnée à l’objectif de parité recherché par la loi, l’arrêt en l’espèce contribue à la reconnaissance de cette finalité qui n’est pas mentionnée à l’article L. 2314-30 du code du travail. En somme, la surreprésentation qui peut découler de l’application de la règle de l’alternance est conforme à la Constitution dès lors que cette même règle constitue un moyen approprié en vue d’atteindre la parité, seule à même de garantir l’effectivité de l’égal accès des hommes et des femmes à des responsabilités sociales et professionnelles.