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Tout en soulignant généralement que la contribution des magistrats à la diffusion du droit s’inscrit dans le cadre de leurs fonctions, la Cour européenne des droits de l’homme constate, dans l’affaire Wolter Kluwers France tranchée par la Cour de cassation le 28 février 2018 (n° 16-50.015), que les relations professionnelles de trois conseillers avec l’une des parties à la procédure étaient régulières, étroites et rémunérées, ce qui suffit à établir qu’ils auraient dû se déporter et que les craintes des requérants quant à leur manque d’impartialité pouvaient passer pour objectivement justifiées en l’espèce. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme.
L’arrêt de condamnation de la France récemment rendu par la Cour européenne des droits de l’homme à l’unanimité n’est pas de principe. Il n’est pas de ceux qui viennent modifier les équilibres de la matière du droit processuel ou reconfigurer d’une quelconque façon l’exigence d’impartialité découlant de l’article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme. Il n’en est pas moins intéressant à bien des égards. Il rappelle opportunément que le rôle du juge dans la Cité ne se limite pas à trancher les litiges qui lui sont présentés – rappel d’une particulière importance aujourd’hui. Il rappelle en contrepoint que l’exigence d’impartialité objective ne doit pas être sacrifiée sur cet autel. Enfin, il vient sans doute clore une triste séquence qui a agité le microcosme juridique français, séquence dans laquelle la Cour de cassation française ne s’est pas montrée sous son meilleur jour non plus qu’une partie de la doctrine travailliste.
L’affaire est connue ; on en rappellera les grandes lignes. Le groupe Wolters Kluwer (avec lequel le soussigné collabore occasionnellement au demeurant) procède à une restructuration d’envergure en 2007. L’opération aboutit à priver de participation les salariés du groupe, qui s’en remettent dès lors à justice par la voie de leurs syndicats. La Cour d’appel de Versailles juge l’opération frauduleuse et déclare en conséquence la manœuvre inopposable dans ses effets (Versailles, 2 févr. 2016, n° 15/01292, Dr. soc. 2016. 756, étude P. Adam ; RDT 2016. 335, obs. G. Auzero ). La société Wolters Kluwer France (WKF) et sa holding se pourvoient en cassation avec succès : la chambre sociale casse sans renvoi en formation de section (Soc. 28 févr. 2018, n° 16-50.015, Dalloz actualité, 19 mars 2018, obs. W. Fraisse ; D. 2018. 1953 , note S. Jubé ; RDT 2018. 606, obs. P. E. Berthier ; JCP S 2018. 1145, comm. J. Kovac et G. Loiseau ; Les Cahiers sociaux, 1er avr. 2018. 212, obs. G. Auzero). L’arrêt fait débat parmi les travaillistes quant à sa rectitude juridique, notamment en ce qu’il semble déroger au sacro-saint principe fraus omnia corrumpit, selon lequel la fraude corrompt tout (v. outre les notes préc., P. Sargos, La fraude licite, JCP 2018. 1151 ; J.-F. Cesaro, A. Martinon et R. Vatinet, La fraude imaginaire, JCP S 2018. 1251). Le débat se déplace cependant – ou plus exactement s’élargit – à la faveur de révélations médiatiques.
En effet, en avril 2018, le Canard enchaîné et le magazine Alternatives économiques révèlent que trois des conseillers ayant participé à la formation de jugement collaborent régulièrement avec WKF en assurant notamment des formations rémunérées à destination des professionnels du droit. Précisons ici que ces trois juges avaient voix délibératives et non des moindres : l’un était président de chambre ; l’autre doyen ; le dernier conseiller « lourd » (pour reprendre l’épithète habituellement employé à la Cour pour désigner les conseillers ayant toujours voix délibérative). La doctrine s’agite (Des juges dans la Cité, Dr. soc. 2018. 680 , signé par un collectif d’auteurs ; J.-J. Dupeyroux, Des juges dans la Cité (II), Dr. soc. 2018. 772 ; E. Dockès, Conflit d’intérêts à la chambre sociale de la Cour de cassation et dérive des temps, D. 2018. 1930 ) ; elle regarde alors différemment l’arrêt rendu et en vient à s’interroger sur (les raisons de) l’originalité de sa solution.
Quant à la Cour de cassation, elle réagit à chaud aux révélations. Le jour même de leur publication, le premier président Louvel prend la défense des magistrats au moyen d’un communiqué de presse encore disponible sur le site de la Cour. Il réalise une « mise au point » pour reprendre ses mots (qui sonnent aujourd’hui bizarrement au regard de la mise au point finalement réalisée par la CEDH et, avant elle, par le CSM). Selon le premier président, l’arrêt rendu par la chambre sociale est on ne peut plus classique. En outre, le premier président souligne qu’il est usuel pour les magistrats de la Cour de cassation en général et de la chambre sociale en particulier de procéder à la diffusion de sa jurisprudence dans le cadre de...
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Auteur(s) : Pierre Callé, Laurent Dargent