Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Pas de déclaration de créance requise pour opposer au débiteur l’inexécution de son obligation

Le créancier d’une obligation de faire n’a pas besoin de déclarer sa créance pour s’opposer au paiement du prix de la prestation qui est restée inexécutée et que lui réclame le liquidateur judiciaire : les juges du fond apprécient souverainement que le procès-verbal de réception signé par les parties mentionnait que les travaux en cause n’avaient pas été réalisés, et donc qu’aucune créance n’était donc née de cette inexécution.

Une société Gray menuiserie agencement a été mise en liquidation judiciaire le 26 mars 2015. Le 12 août 2019, sur requête du liquidateur judiciaire désigné, le président d’un tribunal a rendu une ordonnance portant injonction à la société City Rock de payer la somme de 30 508,80 € TTC au titre du solde d’un marché de travaux de menuiserie. Contestant la somme réclamée au motif qu’elle correspondait à des travaux qui n’avaient pas été réalisés, la société City Rock a formé opposition à l’encontre de l’ordonnance.

Par un arrêt du 6 juin 2023, la Cour d’appel de Poitiers a débouté le liquidateur judiciaire de toutes ses demandes et l’a condamné à payer à la société City Rock la somme de 3 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le liquidateur judiciaire a formé un pourvoi en cassation en faisant valoir, par un moyen unique, que la cour d’appel avait violé l’article L. 622-24 du code de commerce, dans sa version antérieure à la loi PACTE du 22 mai 2019, car, selon lui, la société City Rock ne pouvait pas se prévaloir d’une inexécution contractuelle pour s’opposer au paiement du solde du prix, faute d’avoir déclaré sa créance au passif de la procédure collective de la société Gray menuiserie agencement, puisque l’obligation de faire incombant au débiteur en liquidation judiciaire, par suite de l’exécution incomplète ou défectueuse des travaux, ne peut se résoudre qu’en dommages et intérêts. On y reviendra.

La Cour de cassation a néanmoins rejeté le pourvoi, en jugeant que la cour d’appel, devant laquelle la société City Rock n’invoquait aucune créance née de l’inexécution et n’avait pas l’obligation de le faire pour s’opposer à la demande en paiement, a « retenu, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, que la somme réclamée correspondait au prix de travaux mentionnés dans le procès-verbal de réception signé par les parties comme n’ayant pas été réalisés, et que le liquidateur n’établissait pas la réalité de la prestation dont il demandait le prix ». La cour d’appel en a donc exactement déduit que la demande en paiement formée par le liquidateur devait être rejetée.

L’arrêt pose ainsi la question de savoir si un créancier, appelé en paiement du solde d’un prix par le liquidateur judiciaire, peut se prévaloir d’une inexécution contractuelle pour s’opposer au paiement, même s’il n’a pas préalablement déclaré sa créance au passif de la procédure collective du débiteur. La réponse est positive, et il n’y a pas là, semble-t-il, de raisons de s’en émouvoir, dans le principe. L’arrêt ne semble toutefois pas répondre à toutes les questions qui se posaient dans cette affaire, à savoir, la transformation potentielle d’une obligation de faire en obligation de payer, et l’impact d’un contrat en cours.

L’absence d’exigence d’une déclaration de créance en l’absence de « créance »

La solution s’impose sans aucun doute, parce que la société City Rock n’était pas créancière de la société débitrice : elle n’avait donc pas à déclarer sa créance (v. cep., Com. 25 nov. 1997, n° 96-10.858 P, qui semble indiquer que le cédé pourrait opposer au cessionnaire d’une créance l’exception d’inexécution de la dette du cédant à la condition d’avoir déclaré sa créance contre le cédant dans la procédure ouverte contre ce dernier).

Aux termes de l’article L. 622-24 du code de commerce (applicable en liquidation judiciaire en vertu de l’art. L. 641-3, al. 4), à partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d’ouverture, à l’exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire (ou liquidateur) judiciaire dans des délais fixés par décret en Conseil d’État. Quel est donc ce « créancier » visé par le texte ?

La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que l’obligation de déclarer les créances n’incombe qu’à certains créanciers du débiteur, qui peuvent exiger du débiteur l’exécution d’un engagement personnel de ce dernier, ce qui exclut les bénéficiaires d’une sûreté réelle conférant un droit spécial sur un ou plusieurs biens du débiteur (Com. 17 juin 2020, n° 19-13.153 P, D. 2020. 1357 ; ibid. 1857, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ; ibid. 1917, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. P. Roussel Galle et F. Reille ; RTD civ. 2020. 671, obs. C. Gijsbers ; RTD com. 2020. 951, obs. A. Martin-Serf ; JCP 2020. 1398, obs. P. Simler et P. Delebecque ; JCP E 2020. 1353, obs. P. Pétel et A. Tehrani ; RDBF 2020. 113, obs. C. Houin-Bressand ; RDC déc. 2020, n° 117f6, p. 94, obs. F. Danos ; Gaz. Pal. 3 nov. 2020, n° 390b7, p. 31, obs. M.-P. Dumont ; BJS oct. 2020, n° 121g7, p. 45, obs. J.-J. Ansault ; BJE sept. 2020, n° 118b4, p. 24, obs. C. Favre-Rochex). Ce n’est que depuis l’ordonnance du 15 septembre 2021, que l’article L. 622-25 du code de commerce, qui précise le contenu de la déclaration, invite le déclarant à indiquer « le cas échéant si la sûreté réelle conventionnelle a été constituée sur les biens du débiteur en garantie de la dette d’un tiers ». Ce faisant, le texte impose au bénéficiaire d’une sûreté réelle pour autrui l’obligation de déclarer sa sûreté dans la procédure collective du constituant, afin qu’elle y soit prise en compte : c’est dire que l’article L. 622-24 n’y...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :