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Pas de notification du droit de se taire devant les juridictions de l’application des peines

Les dispositions de l’article 406 du code de procédure pénale relatives au droit de se taire devant les juridictions pénales, qui ont pour objet d’empêcher qu’une personne prévenue d’une infraction ne contribue à sa propre incrimination, ne sont pas applicables devant les juridictions de l’application des peines.

par Margaux Dominatile 22 septembre 2022

Puisque la « justice ne saurait s’arrêter à la porte des prisons », la Cour de cassation, le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel œuvrent de concert afin d’offrir aux personnes condamnées des garanties procédurales (presque) équivalentes à celles dont disposent les prévenus comparaissant devant les juridictions pénales (CEDH 28 juin 1984, Campbell et Fell c. Royaume-Uni, nos 7819/77 et 7878/77, § 69, série A, n° 80). La normalisation des procédures d’application des peines a ainsi permis, au travers de la jurisprudence européenne et interne, d’affirmer l’existence de garanties procédurales au bénéfice de la personne condamnée et détenue : convocation obligatoire de l’avocat, droit de présenter des observations, voire de comparaître personnellement dans certaines situations strictement définies (v. par ex. Crim. 5 janv. 2022, n° 21-83.378, Dalloz actualité, 13 janv. 2022, obs. M. Dominati ; 17 juin 2020, n° 20-80.240, Dalloz actualité, 16 juill. 2020, obs. M. Dominati ; D. 2020. 1299 ; AJ pénal 2020. 423 ; Dr. pénal 2020, n° 9, obs. E. Bonis ; v. égal. Y. Carpentier, De la comparution personnelle du condamné devant les juridictions de l’application des peines, Dr. pén. n° 4, avr. 2017, étude 8). Si l’on pourrait le souhaiter, une transposition de toutes les garanties du procès pénal en droit de l’application des peines est-elle encore réalisable ? Rien n’est moins sûr, en témoigne l’arrêt ici étudié. En effet, la chambre criminelle de la Cour de cassation était invitée à évaluer l’opportunité d’une transposition du droit de se taire (et de sa notification) devant le juge de l’application des peines. Et la solution retenue, bien qu’elle n’aille pas dans le sens d’un accroissement des garanties du condamné, fait pourtant preuve d’une logique évidente.

L’intégration mesurée des garanties procédurales devant la juridiction d’application des peines

Depuis la juridictionnalisation de l’application des peines par la loi du 15 juin 2000 (L. n° 2000-516, 15 juin 2000) et sa rationalisation par la loi du 9 mars 2004 (L. n° 2004-204, 9 mars 2004), le maintien des procédures dérogatoires en droit de l’application des peines ne semble plus trouver de justification (M. Giacopelli, La pénétration des règles du procès pénal devant les juridictions de l’application des peines : état des lieux, RSC 2015. 799 ). En effet, elles sont autant de signes de l’effectivité partielle des droits processuels des personnes condamnées et détenues et de la pérennisation regrettable d’une distance entre l’application des peines et les autres phases du procès pénal (v. S. Fucini, « L’exercice des droits processuels au sein des lieux de privation de liberté », in E. Putman et M. Giacopelli [dir.], Les droits fondamentaux des personnes privées de liberté, Mare & Martin, coll. « Droit privé et sciences criminelles », 2015, p. 245-260).

L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, socle du droit à un procès équitable, n’est applicable qu’aux contentieux relevant de la question du « bien-fondé d’une accusation en matière pénale ». Par principe, l’application des peines en est donc exclue, puisque « les questions relatives aux modalités d’exécution d’une peine privative de liberté ne tombent pas sous le coup de l’article 6, § 1 » (CEDH 3 avr. 2012, Boulois c. Luxembourg, n° 37575/04, Boulois c. Luxembourg, AJ pénal 2012. 352, obs. M. Herzog-Evans ; pour une application en droit interne, v. Crim. 21 sept. 2016, n° 15-83.954, D. 2017. 1274, obs. M. Herzog-Evans ; AJ pénal 2017. 49 ; v. égal. CEDH 3 sept. 2019, Robert c. France, n° 1652/16, Robert c. France, AJ pénal 2020. 38 ; RSC 2020. 151, obs. D. Roets ).

Certes, la Cour européenne des droits de l’homme s’interroge parfois, et seulement au cas par cas, sur l’applicabilité de l’article 6, § 1, à certaines mesures d’application des peines (v. par ex. CE 24 oct. 2014, n° 368580,