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En contentieux de la tarification, à moins que les parties ne soient tenues d’accomplir une diligence particulière mise à leur charge par la juridiction, la direction de la procédure leur échappe. Elles n’ont, dès lors, pas de diligences à accomplir en vue de l’audience à laquelle elles sont convoquées par le secrétariat de la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail. En particulier, il ne saurait leur être imposé de solliciter la fixation de l’affaire à une audience à la seule fin d’interrompre le cours de la péremption, laquelle ne peut leur être opposée pour ce motif.
par Martin Plissonnier, Maître de conférences à l'Université Paris Nanterrele 6 novembre 2024
L’assouplissement de la procédure civile se poursuit à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation. En voici une nouvelle illustration autour de la péremption d’instance. Bien que la solution de cet arrêt soit rendue dans un domaine particulier, sa portée semble plus large (v. par ailleurs, une autre décision relative à la péremption du même jour mais reprenant une jurisprudence constante, Civ. 2e, 10 oct. 2024, n° 22-20.384, D. 2024. 1783 ).
En l’espèce, une CPAM a pris en charge la maladie d’un salarié et fixé son taux d’incapacité permanente. L’employeur a contesté cette décision devant le tribunal du contentieux de l’incapacité. En cause d’appel, devant la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail (CNITAAT), l’employeur soulève un incident de péremption d’instance, laquelle s’appliquait devant cette juridiction par renvoi de l’article R. 143-20-1 du code de la sécurité sociale (CSS), alors en vigueur.
Par un arrêt du 12 janvier 2022, la CNITAAT a rejeté cet incident aux motifs que la CPAM « avait fait une demande d’état d’avancement [du dossier] ». Selon les juges du fond, cette demande constituait une diligence interruptive du délai biennal de péremption d’instance (C. pr. civ., art. 386).
Au soutien du pourvoi formé contre cette décision, l’employeur avançait dans un premier moyen que la « simple demande de renseignement adressée au greffe sur l’état d’avancement du dossier, sans demander la fixation de l’affaire, ne constitu[ait] pas une diligence de nature à faire progresser l’affaire susceptible d’interrompre le délai de péremption ».
L’arrêt commenté est à la cassation, mais sur le fondement d’un second moyen intéressant le fond de l’affaire (la problématique de l’opposabilité de la décision attributive de la rente accordée). En revanche, sur le premier moyen relatif à la péremption qui seul nous intéresse, la Cour de cassation est au rejet par substitution de motifs. Au lieu de se prononcer sur le caractère interruptif de la demande de renseignement, la Cour de cassation positionne le débat sur la nécessité, pour les parties, d’avoir à accomplir des diligences interruptives lorsqu’elles ont effectué l’ensemble des charges pesant sur elles.
Elle substitue ainsi aux motifs critiqués les motifs suivants : « …à moins que les parties ne soient tenues d’accomplir une diligence particulière mise à leur charge par la juridiction, la direction de la procédure leur échappe. Elles n’ont, dès lors, pas de diligences à accomplir en vue de l’audience à laquelle elles sont convoquées par le secrétariat de la Cour nationale ». En conséquence, « il ne saurait leur être imposé de solliciter la fixation de l’affaire à une audience à la seule fin d’interrompre le cours de la péremption, laquelle ne peut leur être opposée pour ce motif » (§§ 11-12).
De prime abord, cet arrêt se présente comme un arrêt aux conséquences limitées au vu du domaine dans lequel il s’inscrit. La procédure suivie est singulière et concerne une juridiction qui n’existe plus. La CNITAAT a en effet été supprimée par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. Elle a été remplacée au 1er janvier 2019 par une cour d’appel à compétence territoriale nationale (la Cour d’appel d’Amiens) statuant en premier et dernier ressort sur l’ensemble du « contentieux technique de la Sécurité sociale » (COJ, art. L. 211-16, L. 311-16 et D. 311-12). La CNITAAT est seulement restée compétente pour traiter les dossiers dont elle était déjà saisie, et ce jusqu’au 31 décembre 2022 (Décr. n° 2020-155 du 24 févr. 2020 prolongeant la compétence de la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail). La présente affaire constitue un reliquat de cette compétence résiduelle temporaire.
Pourtant, l’arrêt commenté présente un intérêt plus grand.
Formellement, il s’agit d’un nouveau revirement de jurisprudence fondé sur l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, décidé en plénière de chambre et publié au Bulletin et à la Lettre de chambre.
Sur le fond, l’arrêt s’appuie ensuite explicitement sur les quatre arrêts du 7 mars 2024, lesquels ont été très largement (sinon unanimement) salués. La Cour de cassation y avait décidé que, en procédure d’appel avec représentation obligatoire, une fois que les parties ont accompli toutes les charges leur incombant (et notamment lorsqu’elles ont conclu dans les délais Magendie) et qu’elles attendent l’examen de l’affaire par le conseiller de la mise en état, le délai de péremption ne court plus à leur encontre (Civ. 2e, 7 mars 2024, n° 21-23.230, n° 21-19.475, n° 21-19.761 et n° 21-20.719, Dalloz actualité, 20 mars 2024, obs. M. Barba ; D. 2024. 860 , note M. Plissonnier ; AJ fam. 2024. 183, obs. F. Eudier ; RDT 2024. 277, chron. S. Mraouahi ; RTD civ. 2024. 490, obs. N. Cayrol ; Procédures 2024. Comm. 110, note R. Laffly ; JCP 2024. Doctr. 673, spéc. n° 2, obs. L. Veyre ; ibid. Act. 484, note F. Roger ; Gaz. Pal. 2024, n° 13, p. 46, note S. Amrani-Mekki ; ibid. n° 22, p. 40, note N. Hoffschir ; Dr. fam. 2024. Comm. 80, note V. Égéa ; RLDC 2024, n° 227, p. 26, note M.-C. Lasserre).
En transposant la solution des arrêts du 7 mars dernier à une procédure différente (celle suivie devant la CNITAAT), on peut se demander si cet arrêt ne vient pas concrétiser ou entériner un changement d’approche de la Cour de cassation à propos de la question du cours du délai biennal de péremption d’instance. Autour d’une idée simple : les parties assurent la direction de la procédure pour autant qu’elles sont tenues ou en mesure d’effectuer des diligences utiles à sa progression. Si tel n’est pas le cas, et dès lors que la direction appartient à la juridiction, la péremption ne court plus. Cette conception du cours du délai de péremption invite à s’interroger sur une transposition de l’arrêt à d’autres procédures.
Objet du revirement
Le moyen invitait la Cour de cassation à apprécier le caractère interruptif de la diligence effectuée. La notion est d’un contenu variable (Rép. pr. civ., v° Péremption d’instance, par L. Veyre, nos 32 s.) mais est généralement considérée comme interruptive la diligence qui témoigne d’une volonté des parties de « faire progresser l’affaire » (Civ. 3e, 20 déc. 1994, n° 92-21.536, RTD civ. 1995. 683, obs. R. Perrot ; Civ. 2e, 28 juin 2006, n° 04-17.992, D. 2006. 1989 ; RTD civ. 2006. 822, obs. R. Perrot ) ou qui traduit une « impulsion processuelle » (Civ. 2e, 2 juin 2016, n° 15-17.354, Dalloz actualité, 21 juin 2016, obs. M. Kebir ; D. 2017. 422, obs. N. Fricero ).
Il est toutefois délicat de caractériser une diligence interruptive lorsque la procédure est orale, comme c’est le cas devant la CNITAAT (CSS, art. R. 143-26). En effet, ces diligences sont, pour l’essentiel, accomplies par des actes écrits (R. Perrot, Procédure orale : interruption de la péremption,...
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