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Pas de recours contre les notifications des griefs émanant du collège de l’AMF

La notification des griefs émanant du collège de l’AMF est un acte préparatoire insusceptible de recours. Elle ouvre la phase contradictoire de la procédure de sanction, qui se poursuit le cas échéant jusqu’à la décision rendue par la commission des sanctions sur le bien-fondé de cette accusation, laquelle peut, seule, faire l’objet d’un recours.

par Xavier Delpechle 13 janvier 2021

Voici une intéressante décision qui contribue à l’enrichissement du droit du contentieux des marchés financiers. Dans cette affaire, bien connue de ceux qui s’intéressent aux marchés financiers, il était question de l’ouverture d’une enquête par l’Autorité des marchés financiers (AMF) sur l’information financière et le marché du titre d’une société cotée (cette société était cotée sur le compartiment C d’Euronext Paris, qui s’adresse aux entreprises dont la capitalisation boursière est inférieure à 150 millions d’euros). Le président de l’AMF a, après examen du rapport d’enquête par le collège de cette autorité, notifié deux griefs à cette société. Il lui est notamment reproché, à la suite de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire et l’adoption d’un plan de continuation, l’absence de communication dès que possible au public de l’information privilégiée relative au non-paiement du quatrième dividende du plan à sa date d’échéance, en méconnaissance des dispositions de l’article 223-2 du règlement général de l’AMF.

La société mise en cause a saisi le président de l’AMF d’un recours gracieux tendant au retrait d’un des griefs notifiés, l’estimant dépourvu de toute motivation. Aucune suite n’ayant été réservée à ce recours, cette société a, le 11 janvier 2019, saisi la cour d’appel de Paris d’un recours en annulation contre la décision implicite de rejet de son recours gracieux. La Cour déclare son recours irrecevable, car, selon elle, la notification de griefs ne constitue pas un acte faisant grief indépendamment de la décision de la commission des sanctions et, par voie de conséquence, n’entre pas dans le champ de l’article L. 621-30 du code monétaire et financier (20 juin 2019, n° 19/07281, BJB 7-8/2019, p. 16, note B. Legris et P. Choquet). Selon le premier alinéa de l’article précité, en effet, « l’examen des recours formés contre les décisions individuelles de l’Autorité des marchés financiers autres que celles, y compris les sanctions prononcées à leur encontre […] est de la compétence du juge judiciaire ».

La société forme alors un pourvoi, dans lequel elle avance, en particulier, l’argument suivant : la notification de griefs émanant du collège de l’AMF ne constitue pas un acte préparatoire de la décision de la commission des sanctions, mais une décision individuelle pouvant faire grief et à ce titre susceptible d’un recours conformément aux dispositions de l’article L. 621-30 du code monétaire et financier, de sorte qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé ledit texte par refus d’application.

Pour qu’un tel recours soit ouvert, il importe donc que l’on soit en présence d’une « décision individuelle », c’est-à-dire d’une décision non seulement individuelle mais qui fasse grief. Pour rappel, une décision faisant grief est une décision qui a un impact sur la situation juridique d’une personne et qui peut en conséquence être contestée devant le juge (v. en ce sens Glossaire du Conseil d’État, v° Grief).

Cette notion de « décision individuelle » a été source de contentieux. Sans être exhaustif, il a ainsi été jugé que les communiqués que publie l’AMF à l’intention des investisseurs et épargnants, dans le cadre de sa mission de service public, ne constituent pas des décisions individuelles au sens des dispositions de l’article L. 621-30 (T. confl. 16 nov. 2015, n° 4026, Dalloz actualité, 24 nov. 2015, obs. M.-C. de Montecler ; Lebon ; AJDA 2015. 2241 : Banque et Dr. 1-2/2016, p. 53, obs. Chacornac ; RJDA 2016, n° 120 ; RDBF 2016, n° 46, obs. Pailler, à propos de « mises en garde » publiées par l’AMF sur son site internet). De même, la lettre du président de la commission des sanctions informant les conseils d’une société de la date de la séance de la commission les concernant ne constitue pas une décision individuelle entrant dans les prévisions de ce texte (Com. 24 juin 2014, n° 13-20.728 P, Dalloz actualité, 9 juill. 2014, obs. X. Delpech ; D. 2014. 1449 ; Rev. sociétés 2014. 729, note E. Dezeuze  ; RJDA 2014, n° 775).

Qu’en est-il de la notification des griefs ? Pour la cour d’appel de Paris, on l’a dit : c’est non ! La Cour de cassation, qui rejette le pourvoi de la société, confirme cette analyse dans un arrêt qui se veut de principe : « Le propre d’une notification de griefs est de formuler une accusation afin de mettre les personnes concernées en mesure de se défendre. C’est donc à bon droit qu’ayant rappelé que, conformément à l’article L. 621-15 du code monétaire et financier, la notification des griefs ouvre la phase contradictoire de la procédure de sanction, qui se poursuit le cas échéant jusqu’à la décision rendue par la commission des sanctions sur le bien-fondé de cette accusation, décision elle-même susceptible du recours prévu à l’article L. 621-30 du même code, la cour d’appel, qui n’a pas méconnu le sens et la portée de l’article L. 621-14-1 du même code et qui n’avait pas à effectuer la recherche inopérante invoquée par la troisième branche, en a déduit que cet acte ne pouvait faire l’objet d’un recours autonome devant elle ».

Tout comme l’arrêt d’appel, cet arrêt de rejet de la chambre commerciale de la Cour de cassation devrait être approuvé par la doctrine, et ce à double titre (B. Legris et P. Choquet, art. préc.). D’abord parce que la Cour de cassation s’aligne ainsi sur la jurisprudence du Conseil d’État en termes d’actes préparatoires non susceptibles de recours : selon une jurisprudence bien établie, les mesures préparatoires ne peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, faute de constituer la décision elle-même (v. par ex., en ce sens, CE 5 déc. 2001, n° 203591, Lebon ). Ensuite, cette solution préserve le déroulement de la procédure de sanction devant la commission des sanctions telle que prévue par les dispositions de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier.