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Pas de responsabilité de l’État dans l’affaire Merah

Le Conseil d’État a jugé que la responsabilité de l’État du fait des carences des services de renseignement dans l’évaluation de la dangerosité de Mohamed Merah ne pouvait être engagée qu’à raison d’une faute lourde. Ce qui n’a pas été le cas dans cette affaire.

par Jean-Marc Pastorle 20 juillet 2018

Seule une faute lourde est de nature à engager la responsabilité de l’État à l’égard des victimes d’acte de terrorisme à raison des carences des services de renseignement dans la surveillance d’un individu ou d’un groupe d’individus, vient de juger le Conseil d’État.

En mars 2012, sept meurtres ont été commis sur le sol national par un terroriste de nationalité française, Mohamed Merah. Parmi les victimes, le caporal-chef Abel Chennouf, assassiné à Montauban. Ses parents, son épouse et d’autres membres de sa famille ont estimé que cet assassinat trouvait l’une de ses causes réelles dans les carences et dysfonctionnements des services de renseignement français. Les consorts Chennouf ont présenté des demandes d’indemnisation préalables au ministre de l’Intérieur, pour la réparation du préjudice subi du fait de la perte de chance de survie de M. Abel Chennouf, causée par la décision de relâcher la surveillance autour de Mohamed Merah, à compter de novembre 2011.

Faute simple ou faute lourde ?

Convaincu que la décision d’abandonner toute surveillance de Merah, malgré les informations recueillies pendant plusieurs années sur son profil et son caractère hautement suspect, constituait une faute commise par les services de renseignement dans l’exercice de leur mission de prévention des actions terroristes et de surveillance des individus radicaux, le tribunal administratif de Nîmes avait retenu une faute simple (12 juill. 2016, n° 1400420, AJDA 2016. 1823 , concl. A. Fougères ). Celle-ci aurait « facilité » le forfait de Merah et empêché la détection de signes annonciateurs des intentions du terroriste. Le tribunal avait ainsi jugé qu’il y avait lieu de mettre à la charge de l’État la réparation du tiers des préjudices des requérants.

Le ministre de l’Intérieur avait relevé appel, en ne critiquant que le principe même de la responsabilité de l’État. La cour administrative d’appel de Marseille lui avait donné raison. Suivant son rapporteur public convaincu qu’une faute lourde est nécessaire en matière de risque terroriste, elle avait jugé que les méprises des services de renseignement ne pouvaient cependant pas caractériser une telle faute lourde de l’État (CAA Marseille, 4 avr. 2017, n° 16MA03663, Ministre de l’intérieur, AJDA 2017. 720 ; ibid. 1239 , concl. M. Revert ).

Difficultés inhérentes à la prévention des attentats terroristes

Saisi d’un pourvoi par les consorts Chennouf, le Conseil d’État estime qu’« en jugeant que seule une faute lourde était de nature à engager la responsabilité de l’État à l’égard des victimes d’acte de terrorisme à raison des carences des services de renseignement dans la surveillance d’un individu ou d’un groupe d’individus », la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit. Si les agents de la direction centrale du renseignement intérieur, induits en erreur par l’attitude dissimulatrice de Mohamed Merah, n’étaient pas parvenus à mettre en évidence son appartenance à un réseau djihadiste et l’existence de risques suffisamment avérés de préparation d’actes terroristes, la cour a retenu que « ni cette méprise sur la dangerosité de l’intéressé ni l’absence de reprise des mesures de surveillance qui en est résulté ne caractérisaient, eu égard aux moyens matériels dont disposaient les services de renseignement et aux difficultés particulières inhérentes à la prévention de ce type d’attentat terroriste, l’existence d’une faute lourde ». En statuant ainsi, la cour n’a pas commis d’erreur de qualification juridique.

Même raisonnement pour le tribunal administratif de Paris vis-à-vis des attentats de 2015

Le même jour, le juge administratif ,parisien a rejeté les recours formés par des victimes directes et ayants droit de victimes des attentats perpétrés à Paris et au stade de France, le 13 novembre 2015. Ils estimaient que les services de renseignement et les services chargés d’assurer la sécurité du territoire national avaient commis des fautes dans l’exercice de leurs missions et demandaient la condamnation de l’État à les indemniser de leurs préjudices. Pour le tribunal, aucun élément ne permettait d’établir, « dans le contexte d’absence de contrôle aux frontières intérieures de l’espace Schengen », que l’État aurait commis une faute lourde de nature à engager sa responsabilité consistant en un défaut de surveillance des individus à l’origine des attentats du 13 novembre 2015.

Les requérants soulevaient aussi le défaut de surveillance de la salle du Bataclan du fait que les services de renseignement français avaient été informés au mois d’août 2015 de ce qu’une salle de spectacle figurait parmi les cibles de Daech en Syrie. En 2007, 2008 et 2009, le Bataclan avait accueilli des galas de collecte de fonds pour les œuvres sociales des forces israéliennes et les services de renseignement français avaient alors été en possession d’une information indirecte des services de renseignement égyptiens et portant sur un projet d’attentat en 2009 contre cette salle. Mais, pour le tribunal, ces éléments ne suffisent pas pour établir l’existence d’une faute de l’Etat consistant en un défaut de protection de la salle de spectacle du Bataclan dès lors qu’aucun élément ne permettait alors d’estimer que cette salle était particulièrement visée.