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Pascale Robert-Diard et Stéphane Durand-Souffland, Jours de crimes

À travers une centaine de notices, Pascale Robert-Diard et Stéphane Durand-Souffland dessinent, dans ce passionnant ouvrage, le visage de la justice qu’ils vivent et observent depuis de longues années en tant que chroniqueurs judiciaires habitués des assises.

par Thibault de Ravel d’Esclaponle 18 janvier 2018

Le livre de Pascale Robert-Diard et de Stéphane Durand-Souffland est difficile à décrire ; on peine à le classer. Ce n’est d’ailleurs pas forcément un drame : le sujet dont ils se sont emparés, dans cette heureuse collaboration à quatre mains, se prête plutôt mal au classement. Pourtant, à y réfléchir, du moins à première vue, comme c’est de justice dont il s’agit, on peut avoir l’impression que celle-ci s’organise assez bien. La justice pénale s’articule autour des crimes, des délits (il n’est pas beaucoup question de contraventions dans cet ouvrage), des tribunaux correctionnels et des cours d’assises. Autant de catégories qui donnent l’apparence d’un ordre rationnel. Mais cela ne fait pas vraiment illusion très longtemps. L’humanité, dans ce qu’elle a de plus fascinant mais aussi de plus tragique, de plus beau comme de plus terrible, déborde de tous les interstices de la froideur de ces libellés. Elle est là, gonflée à bloc, cette humanité. Elle déborde dans cet impressionnant florilège d’une centaine de notices.

C’est peut-être là que réside l’un des intérêts de ce livre remarquable. Une fois sa lecture achevée, lorsque l’on tente d’y songer comme un tout, à la recherche du liant entre tous ces récits, c’est là qu’apparaît ce qui fait sa substance, au-delà des fragments de vie judiciaire qu’il donne à découvrir. L’humanité déborde, elle s’infiltre partout. Le lecteur comprend alors, le temps de ces quelques pages, pour quelles raisons les deux auteurs, dans leur métier de chroniqueur judiciaire, « se saoulent de mots et de visages », eux qui se définissent justement comme des « ripailleurs d’humanité » (p. 11). Oui, comme ils le remarquent si bien, le « etc. » (p. 117) dans la vie de nombreux accusés est essentiel. Les deux journalistes parviennent à en souligner l’importance fondamentale.

Une centaine de notices, donc, compose cet ouvrage. La structure retenue est celle d’entrées, comme dans un dictionnaire qui ne respecte pas – et c’est tant mieux – l’ordre alphabétique. La longueur est inégale, la teneur est particulièrement différente d’un texte à l’autre, certains d’entre eux étant plus intéressants que les autres. Mais toujours, l’on retrouve un joli sens de la formule, où la causticité et l’ironie sont mesurées, sans jamais verser dans l’outrance. Et cette centaine de fragments brosse le portait d’une justice passionnante qui se déroule sous les yeux de la presse judiciaire qui trouve ici une place importante. Dans son local au Palais, « cela sent comme dans les écoles d’autrefois, le bois, l’encre et le papier. Cela respire l’excitation, quand il faut se hâter vers la petite pièce du fond, s’asseoir sur un siège déglingué, écrire très vite un article attendu au journal » (p. 94). Avec ce qu’ils ont entendu depuis des années aux audiences, Pascale Robert-Diard et Stéphane Durand-Souffland nourrissent ces jours de crimes. Ils parviennent à restituer ces atmosphères qui s’emparent des affaires décrites ; ils leur confèrent une épaisseur. Les deux chroniqueurs célèbrent, avec toute la mesure qu’il convient, les avocats, ces hommes à robes noires qu’ils fréquentent quotidiennement. « Les avocats pénalistes authentiques (…) sont généreux, amusants, et ne détestent pas réunir autour d’eux quelques journalistes pour raconter leurs hauts faits » (p. 291). On sent, chez les deux auteurs, les années d’analyse de leurs us et coutumes, la longue observation de leur façon de plaider. De ce point de vue, le chapitre consacré aux « ficelles » que les avocats utilisent est édifiant. On perçoit le respect qu’ils inspirent tout autant que l’on comprend que les deux journalistes ne sont pas dupes des artifices de certains. Les magistrats ne sont pas en reste avec cette même ambivalence que réserve la justice. « L’Amant » est un beau texte. Certes, dans cette affaire, « il venait de découvrir la laideur des assises lorsque l’on y confond juger avec souiller » (p. 53). Mais c’est aussi dans l’enceinte des tribunaux que nombre de jurés et de juges, dont la difficulté de la tâche est encore attestée par cet ouvrage, s’honorent, notamment lorsqu’à propos de la violence dont était victime une femme, « ils ont fait un moment de justice, si grand, si proche » (p. 78). De même, « la justice a montré le meilleur d’elle-même, en mettant sept jeunes hommes en demeure de se montrer à la hauteur de leur procureur et de leurs juges » (p. 99). Le personnel de justice n’est d’ailleurs pas oublié par l’œil exercé des deux chroniqueurs judiciaires. On ne rend pas assez compte du rôle essentiel que jouent l’huissier audiencier et le greffier. Deux entrées, dans le livre de Pascale Robert-Diard et Stéphane Durand-Souffland, tentent d’y remédier.

Et puis bien sûr, la figure de l’accusé. Beaucoup vont défiler dans ces pages. Beaucoup subissent « cette loi particulière de la gravitation », selon laquelle « plus l’audience avance, plus ils se tassent et disparaissent dans le box » (p. 87). Beaucoup sont coupables, d’autres non. Certains sont tragiques, d’autres sont effroyablement sinistres. Les deux journalistes en brossent de saisissants portraits.

Jours de crime est un vrai témoignage. C’est le témoignage de deux journalistes qui aiment la justice dans son exercice, qui aiment cette vie en qui en déborde. Dans l’une des notices, Pascale Robert-Diard et Stéphane Durand-Souffland rappellent combien « c’est important, ce moment où l’on met un visage sur des lignes de journal. La chair, c’est autre chose que l’encre » (p. 187). C’est très vrai. Mais, en un certain sens, l’encre c’est encore quelque chose, notamment quand elle permet de dessiner les contours de la chair. Et ils viennent de le démontrer parfaitement.

 

Pascale Robert Diard et Stéphane Durand-Souffland, Jours de crimes. Récits, L’Iconoclaste, 2018.