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Pauvre débiteur : le créancier hors procédure ne subit pas les affres du temps

La créance de remboursement d’un prêt accordé à un débiteur en liquidation judiciaire naissant hors procédure, le principe de la non-reprise des poursuites individuelles ne s’applique pas, et, comme la banque ne pouvait pas être payée sur le gage commun des créanciers pendant la procédure, son action contre le débiteur, rendue impossible, n’était toujours pas prescrite à la clôture de la liquidation, intervenue vingt-et-un ans après l’ouverture de la procédure.

Voilà un arrêt qui pourrait donner raison aux chefs d’entreprise qui craignent le tribunal, voire le droit français, malgré tout ce qui est mis en œuvre pour dissiper ce sentiment et attirer les investissements ces temps-ci.

Dans cette affaire, un débiteur personne physique a été placé en liquidation judiciaire par un jugement du 18 décembre 1998. Alors que la liquidation judiciaire n’était pas clôturée, le 30 septembre 2002, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie (la banque) lui a consenti, ainsi qu’à son épouse, un prêt d’un montant de 97 600 €, remboursable en 180 échéances. La déchéance du terme a été prononcée le 8 novembre 2005 et la banque a déclaré sa créance le 16 juin 2006. Ce n’est que par un jugement du 10 juillet 2020, que la procédure de liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d’actif. Le 29 octobre 2020, la banque a fait délivrer un commandement aux fins de saisie-vente. Le débiteur a saisi le juge de l’exécution afin d’obtenir la nullité du commandement.

Le débiteur a formé un pourvoi en cassation en reprochant à la cour d’appel d’avoir retenu que les créanciers dont la créance est née après l’ouverture de la procédure collective peuvent poursuivre le recouvrement de celle-ci après clôture de la liquidation judiciaire, quand bien même elle serait intervenue pour insuffisance d’actif, sans caractériser l’un des cas prévus à l’article L. 643-11 du code de commerce qui permet, par exception, à certains créanciers de recouvrer leur droit de poursuite individuelle, en violation de ce texte. Il a également critiqué l’arrêt d’appel en ce que la cour d’appel n’avait pas recherché si le créancier s’était réellement trouvé dans l’impossibilité d’agir contre le débiteur pendant le temps de la procédure collective, privant sa décision de base légale au regard de l’article L. 622-25-1 du code de commerce, ensemble l’article 2234 du code civil.

La prescription court-elle à l’endroit d’un créancier dont la créance est née au mépris du principe du dessaisissement du débiteur placé en liquidation judiciaire ?

La Cour de cassation a répondu par la négative et a rejeté le pourvoi. Elle a retenu, par des motifs de pur droit, substitués à ceux critiqués, que la décision était légalement justifiée. La créance de la banque est née hors procédure, car le débiteur était dessaisi de l’administration et de la disposition de ses biens au profit du liquidateur au moment de la conclusion du contrat de prêt. Par conséquent, le principe de la non-reprise des poursuites individuelles ne s’appliquait pas à la banque, et comme la créance était hors procédure, elle ne pouvait pas être payée sur le gage commun des créanciers pendant la procédure, de sorte que le délai biennal de prescription de l’article L. 218-2 du code de la consommation a été suspendu jusqu’à cette clôture, et que l’action de la banque n’était pas prescrite le 20 octobre 2020.

Voilà un arrêt particulièrement riche, et difficilement critiquable sur le fond, même si l’on soutiendra qu’un tel arrêt ne devrait pas exister, en raison des causes qui ont conduit à son prononcé, mais aussi en raison des conséquences qu’il induit.

Une solution fondée sur la violation du dessaisissement du débiteur

L’arrêt ne devrait pas exister parce que, d’abord, il est rendu dans une affaire où un débiteur placé en liquidation judiciaire est parvenu à souscrire un prêt bancaire (de consommation) sans mettre en cause son liquidateur judiciaire. Pourtant, sous l’empire de l’article L. 622-9 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005, applicable à l’affaire, comme sous l’empire de l’article L. 641-9 actuel, le débiteur en liquidation judiciaire est dessaisi de l’administration et de la disposition de ses biens, de sorte que toutes les actions à caractère patrimonial sont exercées par le liquidateur pendant la durée de la procédure. S’il est vrai que la jurisprudence a jugé que certains actes échappent au dessaisissement du débiteur (les droits attachés à la personne du débiteur et les droits propres), cela ne concerne certainement pas la souscription d’un prêt bancaire, qui, plus que tout autre acte, est empreint d’un caractère patrimonial. C’est donc une violation nette du principe du dessaisissement, à l’époque des faits du moins. Aujourd’hui, en effet, un entrepreneur...

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