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Pensions alimentaires : généralisation de l’intermédiation financière à compter du 1er mars 2022

Un renforcement de l’aide apportée aux personnes confrontées à des impayés de pension alimentaire ou des retards découle de la généralisation de l’intermédiation financière des pensions alimentaires, dispositif prévu par la loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022. Cette intermédiation est rendue automatique par le décret d’application n° 2022-259 du 25 février 2022 (JO 27 févr.) qui en définit les modalités. Pour permettre l’entrée en vigueur des nouvelles règles concernant les paiements prévus à l’occasion des divorces judiciaires ou des conventions homologuées par le juge, la circulaire du 28 février 2022 présente la réforme en complétant la dépêche diffusée le 12 janvier 2022.

En cas de séparation d’un couple avec enfants, la question du non-paiement de la pension alimentaire fait partie des contentieux les plus fréquents et plus oppressants. Le devoir d’entretien est une conséquence obligatoire de l’établissement du lien de filiation car « qui fait l’enfant le nourrit » et il vise tous les enfants mineurs, ainsi que les jeunes majeurs encore dans le besoin (C. civ., art. 371-2). En cas de séparation au sein du couple parental ou entre le couple et leur enfant, la contribution à son entretien et à son éducation prend généralement la forme d’une pension alimentaire, somme forfaitaire destinée à couvrir les besoins de l’enfant (C. civ., art. 373-2-2), mais le couple peut aussi s’accorder sur la mise à disposition d’un bien immobilier par exemple.

Ne pas payer la pension alimentaire due peut conduire à une condamnation pour abandon de famille, sauf si la personne parvient à prouver être dans une impossibilité absolue de verser la contribution à l’entretien et à l’éducation de ses enfants (Crim. 19 janv. 2022, n° 20-84.287, Dalloz actualité, 3 févr. 2022, obs. M. Dominati ; D. 2022. 168 ; AJ fam. 2022. 62, obs. Léa Mary ; AJ pénal 2022. 89 et les obs. ; ibid. 97 et les obs. ). En effet, l’obligation de subvenir à l’entretien et à l’éducation des enfants ne peut cesser que si les parents démontrent qu’il leur est impossible de s’en acquitter mais non « en cas de disparité sensible de leurs facultés contributives » (Civ. 1re, 21 nov. 2018, n° 17-27.054, Dalloz actualité, 22 janv. 2019, Q. Guiguet-Schielé ; D. 2018. 2306 ; AJ fam. 2019. 35, obs. M. Saulier ).

Pour soutenir les familles et simplifier les démarches de recouvrement des impayés, le législateur a mis en place une intermédiation financière des pensions alimentaires, dispositif affiné au fil des années pour que davantage de personnes puissent en profiter, car les statistiques montrent en la matière que beaucoup de pensions devant être versées demeurent impayées. Dans un communiqué de presse du 1er mars, date de l’entrée en vigueur du nouveau dispositif, Éric Dupond-Moretti, Olivier Véran, Élisabeth Moreno et Adrien Taquet ont en effet rappelé que près d’un million de familles sont concernées par le versement d’une pension alimentaire, sachant que 30 % d’entre elles familles souffrent d’impayés : « au 1er février 2022, plus de 73 000 demandes d’intermédiation ont été déposées auprès de l’Aripa ».

Les difficultés relatives au paiement des pensions alimentaires

Le recouvrement des pensions alimentaires est un point sensible car, une fois le couple parental séparé, le parent chez lequel est fixée la résidence habituelle de l’enfant devient un parent solo, élevant l’enfant dans une famille monoparentale de fait et avec des ressources qui ont forcément diminué. En cas de séparation des parents, celui qui n’accueille pas leurs enfants chez lui est tenu d’aider l’autre à assumer les charges financières liées au quotidien des enfants mineurs, voire jeunes majeurs dans le besoin.

En pareille circonstance, il est très douloureux de ne pas percevoir la pension alimentaire due par l’autre parent. Depuis longtemps, le législateur a été sensibilisé à ces questions et, pour soutenir les familles, il a introduit des mesures pour renforcer la prévention et la lutte contre les impayés de pension alimentaire.

Il était prévu au départ que le parent débiteur verse les sommes dues directement au créancier. Face aux situations d’impayés ou de retard, les textes avaient mis en place un dispositif d’aide au recouvrement des créances alimentaires (L. n° 84-1171, 22 déc. 1984), puis des mesures d’exécution, notamment diligentées par l’intermédiaire d’un huissier de justice, mais aussi depuis janvier 2017, entrée en vigueur de la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016, par l’Agence de recouvrement des impayés de pension alimentaire (ARIPA). La loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 a ensuite créé un véritable service public de versement des pensions alimentaires confié à l’ARIPA (D. Everaert-Dumont, Le nouveau service public de versement des pensions alimentaires. D’une logique de récupération à une logique de prévention, Dr. fam. juin 2020, p. 10 ; A. Schaaf, Le service public des pensions alimentaires des CAF : au plus près des besoins des familles, AJ fam. 2020. 555 ), les décrets n° 2020-1201 et n° 2020-1202 du 30 septembre 2020 précisant les modalités de mise en œuvre (I. Corpart, Nouvelle aide accordée aux parents séparés en cas d’impayés des pensions alimentaires, RJPF 2020-12/18). Désormais, la caisse d’allocation familiale (CAF) et la mutuelle sociale agricole (MSA) proposent un service public des pensions alimentaires, géré par l’ARIPA, afin de venir en aide aux parents qui se retrouvent seuls à élever des enfants, tout en misant sur la prise en compte de l’intérêt de l’enfant. Le législateur a en effet œuvré pour étendre cette intermédiation, laquelle vise tous les parents séparés (C. Rieubernet, Extension de l’intermédiation financière des pensions alimentaires, LPA, 5 mai 2021, n° 160s2, p. 12). Comme le rappelle la circulaire du 28 février 2022, cette intermédiation « consiste pour le parent débiteur d’une pension alimentaire à en verser mensuellement le montant à l’organisme débiteur des prestations familiales (la CAF ou la caisse de la MSA), qui se charge de le reverser au parent créancier ». Cela permet de prévenir les retards de paiement et, pire encore, les impayés, « en incitant au versement régulier et à bonne échéance de la pension alimentaire ». Si le débiteur ne paye pas, la CAF entame des démarches pour recouvrer la dette, et verse en attendant à l’autre parent une allocation minimale.

La nouveauté, c’est que, depuis le 1er mars 2022, ce système d’intermédiation financière est devenu automatique.

Le fonctionnement de l’intermédiation financière du versement des pensions alimentaires (IFPA)

L’intermédiation financière des pensions alimentaires des organismes débiteurs des prestations familiales (CAF et MSA) prévue pour soutenir les parents solos a été étendue grâce au décret du 25 février 2022, complété par la circulaire du 28 février 2022. Dans une logique de prévention des impayés, prévoir que le versement de la pension sera fait par un tiers est sécurisant.

Complétant l’article 100 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, ce décret définit les modalités de mise en œuvre de la systématisation de l’intermédiation. Optant pour une généralisation du dispositif, ce texte prévoit désormais que, pour toutes les pensions alimentaires fixées par décision judiciaire, l’organisme des prestations familiales devra collecter le montant de la pension alimentaire auprès du débiteur et le transmettre le lendemain au créancier. Dès que la pension alimentaire sera fixée par le juge, le greffe transmettra la décision de justice directement à l’ARIPA et la CAF ou la MSA organiseront l’intermédiation financière. Les parents n’auront plus de démarche à accomplir dans la mesure où les professionnels de justice vont transmettre directement les décisions aux caisses, de façon dématérialisée.

En conséquence, l’un des parents n’a plus à verser directement la somme prévue à l’autre, même quand le couple entretient encore de bonnes relations, sauf si les parents avaient fait part au juge de leur opposition à ce dispositif ou s’il avait été écarté par le juge (C. civ., art. 373-2-2, II). Cette intermédiation financière est très précieuse lorsque de graves conflits subsistent au sein du couple, notamment en cas de violences conjugales ou familiales, auquel cas l’IFPA est obligatoire.

Le système applicable change car, jusqu’à présent, le versement par les CAF et MSA supposait que l’un au moins des parents en ait fait la demande ou que ce soit sur décision du juge en cas de violences au sein de la famille (Liens entre les violences conjugales et l’intermédiation financière des pensions alimentaires. Décr. n° 2020-1797, 29 déc. 2020, JO 31 déc., RJPF 2021-3/30). Rendre le dispositif obligatoire évitera de fragiliser des familles et de devoir traiter ensuite des dossiers de mise en place de l’IFPA à la demande de parents rencontrant de graves difficultés familiales.

Ce service public gratuit bénéficiera aux intéressés tant qu’une pension alimentaire devra être versée, sauf si les parents se réconcilient ou encore si un décès intervient au sein de la famille (de l’autre parent ou de l’enfant).

L’entrée en vigueur de la généralisation de l’intermédiation financière

La lutte contre les impayés en matière de pensions alimentaires a été affinée au fil des réformes, les avancées en la matière se faisant étape par étape. Précisément, instaurée par le décret n° 2022-259 du 25 février 2022, la généralisation de l’intermédiation financière a démarré dès le 1er mars 2022 dans le cadre des décisions judiciaires de divorce rendues à compter de cette date (divorces en cours ou à venir). Elle vise dorénavant les pensions alimentaires instaurées dans le cadre d’un divorce rendu par le juge, y compris lorsqu’il homologue la convention dans le cadre d’un divorce par consentement mutuel. L’intermédiation est automatique maintenant, sauf si elle a été expressément écartée. Elle peut l’être soit par le couple parental, soit par le juge aux affaires familiales dans le cadre de l’article 373-2-2, II, 1° et 2°. Selon ce texte, le versement de la pension fixée en numéraire passe par l’intermédiaire de l’organisme débiteur des prestations familiales conformément aux modalités prévues par le chapitre II du titre VIII du livre V du code de la sécurité sociale (CSS, art. R. 582-5 à 582-11 ; dossier AJ fam. 2020. 551 ). Dans tous ces cas, les CAF et MSA se voient confier le rôle d’intermédiaires dans le versement de la somme due au parent qui élève l’enfant. Si la généralisation ne vise pas les pensions fixées antérieurement à cette date, il reste néanmoins possible aux intéressés de contacter directement le service de l’ARIPA.

Il faudra attendre encore un peu pour élargir encore le champ d’application. En effet, c’est à compter du 1er janvier 2023 que la généralisation concernera l’exécution des autres décisions judiciaires rendues à compter de cette même date, ainsi que des titres mentionnés aux 2° à 6° du I de l’article 373-2-2 du code civil émis à compter du 1er janvier. L’IFPA sera dès lors mise en œuvre pour les divorces par consentement mutuel sans juge, en cas de décision judiciaire relative à l’autorité parentale, notamment pour des couples non mariés ou des époux n’envisageant pas de divorcer, mais aussi en présence d’actes reçus en la forme authentique par un notaire ou de titres exécutoires délivrés par les CAF ou les MSA. Elle visera tous les cas de versement de pensions alimentaires pour un enfant, sauf si les deux parents s’y opposent ou encore si le juge écarte l’IFPA, sachant que, dans un contexte de violences conjugales ou familiales, ce dispositif sera obligatoirement mis en place.

Cette réforme est à saluer en termes de soutien à la parentalité et de protection des familles les plus fragiles. Aider les familles est essentiel, notamment sur le plan financier et une telle avancée permet de bien faire valoir le droit du parent et du ou des enfants avec lesquels il cohabite. Les parents, en particulier les mères, qui élèvent seuls un enfant appartiennent de fait à une famille monoparentale, laquelle est souvent fragile et précaire. Le fait d’avoir parachevé la création du service public des pensions alimentaires, grâce à l’extension de l’IFPA, montre que le gouvernement est sensible aux difficultés rencontrées par les familles monoparentales.

Garantir le versement d’une pension alimentaire est un enjeu économique majeur. C’est important aussi pour les enfants car le non-paiement entraîne des tensions au sein du couple parental et cette situation risque de rejaillir sur l’enfant, perturbant son éducation et nuisant à son bien-être.

Pour accompagner les juridictions dans la mise en œuvre de cette réforme, Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, garde des Sceaux, a obtenu une autorisation exceptionnelle de recrutement de deux cents emplois de greffe, qui permettra de renforcer dès le 1er mars 2022 les tribunaux judiciaires et cours d’appel (www.solidarités-sante.gouv.fr). L’amélioration de la situation financière des parents solos est donc en bonne voie.