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Pertes d’exploitation : le droit spécial de la clause formelle et limitée écarte l’obligation essentielle

Rappelant l’importance de la substance du fondement, la Cour de cassation décide de la priorité et de l’exclusivité du droit spécial : « après avoir jugé que la clause d’exclusion de garantie était formelle et limitée, sur le fondement de l’article L. 113-1 du code des assurances, la cour d’appel a violé, par fausse application, [l’article 1131 du code civil] ».

Le contrat d’assurance est un contrat spécial nommé qui obéit à son corps de règles propres, branche autonome. Pour autant, le droit commun, spécialement celui des obligations, n’est pas entièrement occulté. La question est alors celle de leur articulation (Adde F. Lesage, La place du droit commun des contrats et du droit des assurances dans les assurances obligatoires, thèse Montpellier 1, 2000 ; C. Goldie-Génicon,  préf. Y. Lequette, Contribution à l’étude des rapports entre le droit commun et le droit spécial des contrats, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », t. 509, 2009 ; N. Balat, Essai sur le droit commun, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », t. 571, 2016, [préf. M. Grimaldi] et À propos du nouveau droit commun des contrats, in Mélanges en l’honneur du professeur Michel Grimaldi, Defrénois-LGDJ, 2020, p. 27 ; P. Jestaz, Droit commun et droit spécial, RTD civ. 2022. 837 ).

Si le droit commun a partiellement vocation à jouer, il importe de savoir dans quelle mesure. En outre, le droit du contrat d’assurance peut également incorporer, le cas échéant, des dispositions en provenance d’autres branches spéciales comme le droit de la consommation. Destiné à la publication au Bulletin, l’arrêt sous analyse témoigne d’un problème de frontière ou de domaine, si l’on préfère.

Le cas d’ouverture à cassation sélectionné (§ 6 de l’arrêt) accueilli par la décision commentée est une violation de la loi par fausse application. La violation de la loi traduit la méconnaissance par le juge de toute règle de droit. Le juge du fond a commis une erreur vis-à-vis des textes applicables. La règle de droit a été appliquée à une situation de fait qu’elle ne devait pas régir ; une autre loi que celle applicable a été mise en œuvre à partir des faits matériellement établis, correctement qualifiés. En l’espèce, petite originalité, il n’y a pas eu refus d’application du droit spécial de l’assurance. C’est plutôt la fausse application de la règle de droit qui consiste pour le juge à appliquer la loi en dehors de son domaine (au-delà ou en deçà des prévisions de la loi). Les juges du fond se trompent de texte.

Tel est le cas, là, pour le jeu du droit commun des obligations, dès lors écarté. L’hypothèse reste particulière car la cour d’appel a surajouté le fondement du droit des obligations à l’examen du droit spécial ! Cette voie de cassation marque significativement la position de la Cour qui s’appuie sur la méthode traditionnelle issue d’une longue pratique stable, qui la préoccupe bien moins dans sa réflexion que ne le fait le sujet de l’évolution de son rôle institutionnel entre robe d’autorité et volonté de pouvoir créateur.

L’exclusion de garantie valable en droit des assurances

En l’espèce, une société exploitant un commerce de restaurant a cherché en vain à mobiliser la garantie « protection financière » de son contrat d’assurance « multirisque professionnel », par suite des mesures d’interdiction d’accueil du public prises lors de la crise sanitaire de la covid-19. Au titre de l’extension de garantie souscrite visant notamment l’épidémie, elle a fait valoir ses pertes d’exploitations en raison de l’ordre réglementaire de fermeture de l’établissement à deux périodes (§ 2). C’est encore le produit désormais bien connu de la société AXA France IARD qui est en cause, c’est-à-dire une extension de garantie pertes d’exploitation assortie d’une exclusion (§ 3). En cas de besoin, nous invitons le lecteur à s’y reporter pour un constat répétitif au regard de la jurisprudence abondante des dix derniers mois à ce sujet.

En effet, depuis décembre 2022, est bien connue et largement commentée la position de la Cour de cassation relative à la clause d’exclusion conventionnelle de garantie concernant les pertes d’exploitation pour fermeture d’établissements de restauration en raison de la crise sanitaire de la covid-19 (Civ. 2e, 1er déc. 2022, 4 arrêts, n° 21-19.341, n° 21-19.342, n° 21-19.343, n° 21-15.392, Dalloz actualité, 16 déc. 2022, obs. S. Porcher ; D. 2022. 2222 ; ibid. 2023. 915, chron. F. Jollec, C. Bohnert, S. Ittah, X. Pradel, C. Dudit et J. Vigneras ; ibid. 1142, obs. R. Bigot, A. Cayol, D. Noguéro et P. Pierre ).

Dans les affaires AXA, il était prévu une extension de garantie au regard d’une épidémie, la Haute Cour a admis la validité de l’exclusion jugée à la fois formelle et limitée (C. assur., art. L. 113-1, al. 1er). Elle a jugé que la clause d’exclusion n’est pas formelle lorsqu’elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation (v. pour l’interprétation écartée, Civ. 2e, 21 sept. 2023, nos 21-19.776 et 21-19.801 P, Dalloz actualité, 6 oct. 2023, obs. E. Petitprez ; D. 2023. 1649 ). Par parenthèse, lorsque « la clause d’exclusion litigieuse [est] claire et précise, l’assureur n’[est] pas tenu d’attirer l’attention de l’assuré sur son étendue » (Civ. 3e, 14 sept. 2023, n° 21-23.673). La Cour a ainsi fixé le mode d’appréciation du caractère compréhensible – son intelligibilité – de la stipulation privative de couverture comme la façon de rechercher si une garantie est ou non vidée de sa substance parce que zeste dérisoire après pression du contenu de la couverture.

Partant, selon la formule consacrée, une clause d’exclusion n’est pas limitée lorsqu’elle vide la garantie de sa substance, en ce qu’après son application elle ne laisse subsister qu’une garantie dérisoire. Il s’agit du point sur lequel la Cour se prononce ici.

La solution a depuis été répétée à l’identique en 2023 avec le visa de l’article L. 113-1, par plusieurs séries de décisions réitérant les règles dégagées, avec la même issue concrète d’un refus de couverture considéré comme justifié (Civ. 2e, 19 janv. 2023, nos 21-21.516 et 21-23.189 P, Dalloz actualité, 2 févr. 2023, obs. J. Delayen ; D. 2023. 176 ; ibid. 915, chron. F. Jollec, C. Bohnert, S. Ittah, X. Pradel, C. Dudit et J. Vigneras ; ibid. 1142, obs. R. Bigot, A. Cayol, D. Noguéro et P. Pierre ; AJDI 2023. 422 ; ibid. 393, point de vue R. Bigot et A. Cayol ; 25 mai 2023, 7 arrêts, n° 21-24.684, n° 21-23.805, n° 22-15.826, n° 22-15.935, n° 22-15.936, n° 22-16.479 et n° 22-16.480 ; 15 juin 2023, 4 arrêts, n° 22-18.300, n° 22-14.380, n° 22-12.986 et n° 22-12.987 ; 6 juill. 2023, 11 arrêts, n° 22-12.830, n° 21-24.037, n° 21-24.039, n° 22-15.825, n° 22-13.889, n° 22-12.988, n° 21-15.923, n° 21-15.922, n° 22-11.232, n° 22-16.759 et n° 22-16.928 ; 21 sept. 2023, 2 arrêts, n° 21-25.921 et n° 21-25.924).

Au-delà des appréciations juridiques variées qui ont pu être faites, ne saurait être occulté l’opportunisme d’une politique prétorienne qui conduit à étouffer dans l’œuf les espoirs d’un accueil judiciaire favorable de la critique de la validité de la clause d’exclusion sur le terrain du droit des assurances (v. D. Noguéro, Exclusions de risque en période de pandémie, in Le Printemps de l’Assurance, 2e éd., juin 2023).

Cette position contraste avec la résistance opposée par de nombreuses juridictions du fond qui n’ont pas jugé l’exclusion proportionnée, si l’on ose dire.

Il ne faut pas négliger la psychologie dans l’art de juger. Même de façon sous-jacente, elle peut avoir un impact sur le résultat obtenu comme peuvent le produire de pures considérations économiques. La présente affaire montre que certains juges acceptent mal qu’une couverture soit commercialisée (v. Garantie « pertes d’exploitation » : l’état des lieux de l’ACPR, communiqué de presse du 23 juin 2020) et choisie afin d’appréhender le risque d’une épidémie sur les pertes d’exploitation d’une entreprise mais que sa mise en œuvre soit particulièrement difficile en raison d’une exclusion d’une efficacité redoutable au regard des faits habituellement rencontrés.

Ici, sur le fondement de feue la cause, la Cour d’appel de Besançon a jugé que la clause d’exclusion de garantie devait être réputée non écrite et inopposable à la société assurée (§ 6), d’où le pourvoi de l’assureur. L’arrêt d’appel du 26 janvier 2022 est d’autant plus remarquable qu’il se situe avant la prise de position de la Haute Cour en ce domaine pour ces mêmes contrat et assureur. Pourtant, tout en validant l’exclusion parce que formelle et limitée, il en paralyse le jeu en procédant à un examen au regard du droit des obligations avant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, car le contrat d’assurance applicable a été souscrit le 16 juillet 2016, soit avant le 1er octobre de la même année, date d’entrée en vigueur de la réforme (Adde, Réforme du droit des obligations et assurance, dossier, RGDA nov. 2017. 114z6, p. 582 s. ; ibid. déc. 2017, 115b8, p. 639 s. ; ibid. janv. 2018. 115e3, p. 63 s.). Aussi, une provision à valoir sur indemnité définitive à fixer post expertise a été accordée.

La censure par une décision destinée à la publication au Bulletin intervient au visa de l’article 1131 du code civil dans sa rédaction antérieure à la réforme de 2016 et de l’article L. 113-1 du code des assurances. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation fournit dans sa motivation la substance des règles. D’abord, « l’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet » (§ 7). Ensuite, classiquement depuis les motifs rappelés des arrêts covid (encore, § 9), « les clauses d’exclusion de garantie qui privent l’assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées » (§ 8). Sont ainsi précisées la définition et les conditions de fond pour la validité d’une exclusion conventionnelle, qui exige également la forme des caractères très apparents (C. assur., art. L. 112-4, in fine), ici non discutée.

La Cour se prononce sur la décision fondée (en partie) sur l’article L. 113-1. Elle se concentre sur le caractère limité, à distinguer du caractère formel. Selon les neurosciences, l’illéisme permettrait de prendre de meilleure décision. Dans un exercice du genre (ou syndrome Alain Delon), il est indiqué : « Sur le fondement de ce dernier texte, la Cour de cassation juge qu’une clause d’exclusion n’est pas limitée lorsqu’elle vide la garantie de sa substance, en ce qu’après son application elle ne laisse subsister qu’une garantie dérisoire (Civ. 2e, 1er déc. 2022, n° 21-19.341, n° 21-19.342, n° 21-19.343, n° 21-15.392 P ; 19 janv. 2023, n° 21-21.516 P) » (§ 9).

On peut y voir le seul moyen de se référer à sa propre activité dans la production normative consistant là à fixer le sens de la disposition légale appliquée. La bouche de la loi donne la sonorité de sa texture par son interprétation (Cour de cassation, par L. Leroy-Gissinger, F. Besson, S. Ittah et J.-F. Zedda, Les exclusions de garantie en droit des assurances, Étude des deuxième et troisième chambres civiles, Recueil annuel des études, juill. 2023, p. 51-87 ; v. la pratique ante contentieux judiciaire, Rapport annuel 2022, La Médiation de l’assurance, p. 90, Une clause d’exclusion ne doit pas être discriminatoire, C. assur., art. L. 111-7).

Relevons que le juge est invité à rechercher ce qui demeure dans la couverture après le retranchement opéré par l’exclusion (Civ. 2e, 10 nov. 2021, n° 19-12.659, §§ 15 et 17), cela au regard de la garantie en cause et non au regard de l’ensemble des garanties visées au contrat d’assurance (Civ. 2e, 9 févr. 2023, n° 21-18.067, LEDA mars 2023, DAS201e2, p. 2, obs. P.-G. Marly ; RCA 2023.111, note V. Tournaire ; BJDA.fr 2023, n° 86, obs. A. Trescases ; RGDA mai 2023, RGA201i2, p. 16, note A. Pélissier ; Gaz. Pal. 11 juill. 2023, n° 23, GPL451x5, p. 49, note D. Noguéro).

Il doit motiver sa décision en ce sens pour permettre le contrôle. Il suffit de parvenir à une garantie dérisoire, c’est-à-dire réduite à l’extrême, point suffisante car insignifiante, au point négligeable qui la teinte de médiocrité ; a fortiori, est comprise l’hypothèse de la garantie totalement effacée. La quête a bien été menée. « Pour réputer non écrite la clause d’exclusion de garantie et condamner l’assureur à payer une provision, l’arrêt retient, d’abord, que cette clause est formelle et limitée au sens de l’article L. 113-1 du code des assurances, et qu’elle ne peut être réputée non écrite ou inopposable à ce titre » (§ 11). Sur la sanction (conjonction « ou »), nous avons déjà souligné le...

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